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28/03/2024 | FRANCE | N°22DA01827

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 28 mars 2024, 22DA01827


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen la décharge des cotisations primitives d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017 et des pénalités correspondantes.



Par un jugement n° 2003311 du 20 juin 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le

19 août 2022 et un mémoire, non communiqué, enregistré le 27 janvier 2023, Mme B..., représentée par Me Percheron, demande à ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen la décharge des cotisations primitives d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 2003311 du 20 juin 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 19 août 2022 et un mémoire, non communiqué, enregistré le 27 janvier 2023, Mme B..., représentée par Me Percheron, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a pas eu la libre disposition des éléments retenus par l'administration pour déterminer son revenu imposable en application de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts ;

- les dépôts d'espèces sur des comptes bancaires, des achats payés en espèces ou des mandats ne constituent pas des sommes d'argent au sens de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts ;

- à titre subsidiaire, il convient de soustraire des achats pris en compte les opérations de retrait en espèces qu'elle a effectuées à hauteur de 500 euros en 2016 et de 10 000 euros en 2017 ;

- les tickets de caisse ou factures ne comportant pas son nom ne sauraient constituer un revenu imposable au sens de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts ;

- des remises de chèques effectuées sur les comptes de ses enfants ne peuvent pas être considérés comme des espèces et il n'est pas démontré que ces chèques proviendraient d'un rachat contre remise d'espèces ;

- elle n'a pas eu à sa disposition la somme de 6 000 euros correspondant à un mandat adressé à son compagnon.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 8 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 30 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Mme B... a été assujettie, au titre des années 2016 et 2017, à des cotisations primitives d'impôt sur le revenu résultant de la taxation de revenus présumés tirés de l'activité illicite de son compagnon, dont l'administration a estimé qu'elle en avait la libre disposition, notifiée sur le fondement de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts. Les compléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales résultant de ces redressements, établis suivant la procédure contradictoire, ont été assortis de la majoration de 80 % prévue à l'article 1758 du code général des impôts. Mme B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande de décharge de ces impositions et des majorations correspondantes.

Sur le bien-fondé des impositions :

2. Aux l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts : " 1. (...) Lorsqu'il résulte des constatations de fait opérées dans le cadre d'une des procédures prévues aux articles 53, 75 et 79 du code de procédure pénale et que l'administration fiscale est informée dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101 ou L. 135 L du livre des procédures fiscales qu'une personne a eu la libre disposition d'une somme d'argent, produit direct d'une des infractions visées au 2, cette personne est présumée, sauf preuve contraire appréciée dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 10 et L. 12 de ce même livre, avoir perçu un revenu imposable égal au montant de cette somme au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée. La présomption peut être combattue par tout moyen et procéder notamment de l'absence de libre disposition des sommes mentionnées au quatrième alinéa, du caractère non imposable de ces sommes ou du fait qu'elles ont été imposées au titre d'une autre année. Lorsque plusieurs personnes ont la libre disposition des biens ou de la somme mentionnés respectivement au premier et au quatrième alinéas, la base du revenu imposable est, sauf preuve contraire, répartie proportionnellement entre ces personnes. 2. Le 1 s'applique aux infractions suivantes : a. crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-39 du code pénal ; (...) ".

3. Il résulte des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, éclairées par les travaux préparatoires, que lorsqu'une personne n'a eu que la garde temporaire d'une somme d'argent, produit direct d'une des infractions visées au 2 de cet article, elle doit être regardée comme n'en ayant pas eu la libre disposition au sens de ces dispositions.

4. D'une part, le ministre relève, sans être contesté, que Mme B... a été mise en cause pour des faits de non-justification de ressources par une personne en relation habituelle avec l'auteur d'une infraction à la législation sur les stupéfiants et, d'autre part, il est constant que le compagnon de Mme B... a commis l'une des infractions en lien avec le trafic de stupéfiants visées au a du 2 de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts.

5. L'administration, qui a eu communication sur le fondement de l'article L. 135 L du livre des procédures fiscales du procès-verbal de l'audition le 5 juin 2019 de Mme B... par les services de police en charge de la procédure suivie à l'encontre de son compagnon, a estimé, au vu des indications fournies par Mme B... elle-même, que son compagnon lui a remis des sommes d'argent, provenant directement d'une infraction en lien avec le trafic de stupéfiants, dont elle a disposé librement en les déposant sur ses comptes bancaires ou ceux de ces enfants, en effectuant des achats et en adressant un mandat à son compagnon alors qu'il se trouvait en Thaïlande. En conséquence, l'administration a rehaussé le revenu imposable de Mme B... d'un montant de 85 109 euros au titre de l'année 2016 et de 71 725 euros au titre de l'année 2017 en application des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts.

En ce qui concerne les dépôts d'espèces :

6. Il résulte des déclarations faites par Mme B... au cours de la procédure pénale et corroborées par celles de son compagnon, que ce dernier lui a remis des sommes d'argent en espèces, dont il n'est pas contesté qu'elles sont directement le produit d'une infraction en lien avec le trafic de stupéfiants, s'élevant à un montant total de 14 600 euros en 2016 et de 2 000 euros en 2017, que l'intéressée a ensuite déposées sur ses propres comptes bancaires. Ces sommes ont ainsi été à la libre disposition de Mme B... au sens de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts.

7. La somme d'argent visée par les dispositions de cet article, qui s'entend de celle utilisée comme monnaie d'échange de l'infraction en cause, ne saurait être limitée, contrairement à ce que soutient la requérante, à la seule hypothèse d'espèces découvertes au domicile du contribuable à l'occasion d'une perquisition.

8. Dès lors, l'administration était fondée, en application de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, à réintégrer au revenu imposable de Mme B... des années 2016 et 2017 les sommes respectives de 14 600 euros et de 2 000 euros.

En ce qui concerne les achats réglés au moyen d'espèces :

9. Il résulte des mentions de la proposition de rectification du 13 novembre 2019, que l'administration a réintégré au revenu imposable de Mme B... pour 2016 et 2017 les sommes respectives de 51 509,30 euros et de 31 589,12 euros correspondant au montant d'achats réglés en espèces dont les factures, ou documents en tenant lieu, ont été découverts par les enquêteurs au cours de perquisitions effectuées au domicile de Mme B... et de son compagnon ainsi qu'à celui des parents de la requérante et ont été identifiés comme appartenant à l'intéressée.

10. Pour combattre la présomption qui résulte des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, Mme B... produit des extraits de l'ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation devant la cour d'assises spécial du Nord, de requalification et de renvoi devant le tribunal correctionnel, par laquelle le juge d'instruction a relevé, au vu des éléments issus de la procédure pénale, que le compagnon de Mme B... a reconnu " s'être acquitté de la majorité des nombreuses factures découvertes lors des perquisitions de son domicile et de celui de ses beaux-parents ", notamment " avoir versé la somme de 40 000 euros en espèces le 3 septembre 2016 à la société Veranda rideau " et " quant aux nombreux achats auprès de l'enseigne Louis Vuitton, il précisait avoir été fréquemment accompagné par sa femme ".

11. Toutefois, ces éléments tirés des seules déclarations du compagnon de l'intéressée ne suffisent pas à démontrer que Mme B... n'a pas pu disposer librement des sommes d'argent que lui avait remises son compagnon, dont il n'est pas contesté qu'elles provenaient directement d'une infraction en lien avec le trafic de stupéfiants, pour effectuer des achats dont les factures ont été émises au nom de la requérante. Si Mme B... fait valoir qu'il convenait de déduire du montant de ces achats des retraits d'espèces qu'elle a effectués sur ses comptes bancaires, elle n'apporte aucun élément de nature à établir que ces retraits auraient permis de s'acquitter, en tout ou partie, des achats en cause.

12. En revanche, Mme B... est fondée à soutenir que, s'agissant des factures non nominatives ou qui avaient été émises au nom de tiers, l'administration, en se bornant à relever qu'elles ont été trouvées à l'occasion de perquisitions effectuées au domicile de l'intéressée et de ses parents, n'apporte pas d'éléments suffisants issus de la procédure pénale permettant d'établir la présomption résultant de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts. Dès lors, Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a considéré qu'elle avait eu la libre disposition, au sens de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, des sommes d'argent utilisées pour procéder à ces achats et a, sur ce fondement, réintégré au revenu imposable de Mme B... les sommes de 499,99 euros au titre de l'année 2016 et de 14 670 euros au titre de l'année 2017.

En ce qui concerne les sommes versées sur les comptes bancaires ouverts au nom des enfants de Mme B... :

13. Le service vérificateur a estimé que des sommes de 13 000 euros et de 35 404,74 euros versées sur les comptes des enfants de Mme B... au titre respectivement des années 2016 et 2017 au moyen d'espèces ou de chèques émis par des sociétés contre la remise d'espèces du même montant constituaient des sommes d'argent, dont la requérante avait la libre disposition, et provenant directement de l'infraction en lien avec le trafic de stupéfiants dont son compagnon était l'auteur.

14. Il résulte des éléments versés par le ministre en appel issus de la procédure pénale, qui ne sont pas sérieusement contredits par Mme B..., que les chèques en cause étaient établis sans indication d'ordre par des sociétés auxquelles le compagnon de la requérante remettait, en contrepartie, des espèces d'un même montant. Il n'est pas contesté par la requérante que ces sommes d'argent, fournies en contrepartie de la remise de chèques, étaient directement le produit d'une infraction en lien avec le trafic de stupéfiants.

15. Au cours de son audition, Mme B... a expressément reconnu avoir elle-même déposé sur les comptes bancaires de ses enfants l'ensemble de ces chèques, établis sans ordre et qui lui avaient été remis par son compagnon. Mme B... a ainsi eu la libre disposition des chèques en cause.

16. Il suit de là que, contrairement à ce que soutient la requérante, l'administration a pu légalement estimer que les sommes libellées sur ces chèques constituaient, au sens de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, des sommes d'argent résultant directement d'une infraction en lien avec le trafic de stupéfiants.

En ce qui concerne la somme correspondant au versement d'un mandat :

17. L'administration a réintégré au revenu imposable de Mme B... au titre de l'année 2016, sur le fondement de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, une somme de 6 000 euros correspondant à un mandat en espèces qu'elle a adressé à son compagnon.

18. Si Mme B... a indiqué lors de son audition, ainsi que l'a relevé l'administration, que son compagnon lui avait remis une somme de 6 000 euros avant son départ pour la Thaïlande, elle fait valoir qu'elle n'a assumé qu'un rôle d'intermédiaire en reversant cette somme, par le biais d'un mandat, à son compagnon alors qu'il se trouvait dans ce pays. Dès lors, Mme B... doit être regardée, ce que ne conteste pas l'administration, comme n'ayant eu que la garde temporaire de cette somme.

19. Par suite, il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'elle ne saurait être regardée comme en ayant eu la libre disposition au sens des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts.

20. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions tendant à la décharge de la fraction des cotisations primitives d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017 en conséquence de la réintégration, dans son revenu imposable, de revenus d'un montant de 6 499,99 euros en 2016 et de 14 670 euros en 2017, ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur les frais liés au litige :

21. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Mme B... est déchargée des cotisations primitives d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que des pénalités correspondantes dans la mesure d'une réduction de 6 499,99 euros et de 14 670 euros de la base de l'impôt sur le revenu qui lui a été assignée au titre respectivement des années 2016 et 2017.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 20 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme B..., y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. A...La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

2

N°22DA01827


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01827
Date de la décision : 28/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : PERCHERON

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-28;22da01827 ?
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