Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 14 juin 2023 du préfet du Nord en tant qu'il l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement.
Par un jugement n°2305943 du 22 septembre 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 décembre 2023, Mme B... A..., représentée par Me Sophie Danset-Vergoten, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 14 juin 2023 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixation du pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle ne respecte pas le principe des droits de la défense ;
- elle méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en ce que le collège des médecins de l'OFII n'a pas été consulté et en ce qu'elle est entachée d'une erreur d'appréciation de son état de santé ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle ne procède pas d'un examen particulier de sa situation.
En ce qui concerne la décision fixant le pays d'éloignement :
- elle a été prise sur le fondement d'une décision illégale portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 février 2024, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 novembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
La clôture de l'instruction a été fixée au 19 février 2024 à 12 heures par une ordonnance du 1er février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A..., ressortissante camerounaise née le 11 janvier 1995, a demandé l'asile en France. Sa demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 8 août 2022, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 8 novembre 2022. Par un arrêté du 14 juin 2023, le préfet du Nord a refusé de lui délivrer une carte de résident au titre de l'asile et un titre de séjour mention " vie privée et familiale ", l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement. Mme A... a demandé l'annulation de cet arrêté, en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français et fixe le pays d'éloignement, au tribunal administratif de Lille qui a rejeté sa demande par un jugement du 22 septembre 2023. Mme A... interjette appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de motivation :
2. La décision contestée vise les textes dont elle fait application. Elle comporte également les considérations de fait qui en constituent le fondement. En particulier, elle relève que les éléments produits par l'intéressée ne permettent pas d'établir qu'elle ne pourrait pas bénéficier de soins dans son pays d'origine. La décision fait aussi état de la présence du père de l'intéressée en France. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré du non-respect du principe des droits de la défense :
3. Lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Ainsi, à l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous les éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique sur l'obligation de quitter le territoire français qui sont prises concomitamment et en conséquence du refus d'admission au séjour. Il en est également ainsi lorsque l'étranger demande l'asile.
4. Mme A..., qui avait formulé le 20 octobre 2020 une demande d'asile et le 7 décembre 2020 une demande de titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " au titre de son état de santé, ne pouvait ignorer qu'elle était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement en cas de rejet de ses demandes et pouvait faire valoir auprès de l'autorité préfectorale compétente en matière d'éloignement tous éléments s'opposant à cette mesure. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des droits de la défense ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de saisine du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) :
5. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable: " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'elle envisage de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger, l'autorité préfectorale n'est tenue, en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration que si elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir que l'intéressé présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une telle mesure d'éloignement.
7. Mme A... a adressé, le 7 décembre 2020, au préfet du Nord un courrier pour solliciter que sa demande de titre de séjour soit également examinée au titre de son état de santé. Elle indiquait dans ce courrier qu'elle souffrait d'une pathologie d'une exceptionnelle gravité dont le traitement quotidien n'était pas disponible dans son pays d'origine. Toutefois, ce courrier n'était accompagné d'aucun certificat médical. Le préfet du Nord a également produit en première instance une attestation du 8 mars 2021 d'une association de lutte contre les maladies infectieuses qui indique que l'intéressée " est accompagnée par [ses] services dans le cadre de sa démarche de soins pour une pathologie chronique grave " et qu'" elle a entamé un protocole de soins en partenariat avec (...) un hôpital ". Si le préfet disposait ainsi d'éléments de nature à établir que l'intéressée souffrait d'une pathologie dont le défaut de prise en charge pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il n'avait aucun élément suffisamment précis de nature à laisser présumer qu'elle ne pouvait effectivement accéder à un traitement approprié dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le préfet du Nord n'était pas tenu de saisir le collège de médecins de l'OFII afin de constater l'état de santé de Mme A....
En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur d'appréciation de l'état de santé :
8. Lorsque l'étranger produit des éléments suffisamment précis de nature à démontrer que le défaut de prise en charge médicale peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que le traitement n'est pas disponible dans le pays d'origine, il appartient à l'administration, en l'absence d'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, d'apporter des éléments probants pour démontrer que les dispositions de l'article L. 611-3 précité ne sont pas méconnues.
9. Mme A... a produit un certificat médical établi le 11 septembre 2023, postérieurement à l'arrêté attaqué mais révélant une situation préexistante, dans lequel un praticien hospitalier atteste qu'elle est suivie pour une maladie infectieuse depuis novembre 2020, qu'elle a besoin d'un traitement lourd afin de ne pas engager son pronostic vital et que l'interruption de ce traitement peut entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Le même certificat indique que son fils né le 24 septembre 2022 bénéficie également d'un suivi hospitalier compte tenu de la maladie infectieuse de sa mère. Si ce certificat non contesté par le préfet établit que le défaut de prise en charge médicale de Mme A... peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé, il ne se prononce pas sur l'absence de disponibilité au Cameroun d'un traitement approprié. La requérante ne produit aucun autre élément établissant cette indisponibilité qu'elle ne soutient d'ailleurs pas de manière circonstanciée. Dans ces conditions, le préfet du Nord n'a pas fait une inexacte application du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en obligeant Mme A... à quitter le territoire français.
En ce qui concerne les moyens tirés de l'atteinte à la vie privée et familiale et à l'intérêt supérieur de l'enfant :
10. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
11. Si Mme A... fait état de la présence en France de son père, qui est titulaire d'une carte de séjour valable jusqu'au 4 avril 2024 et réside en région parisienne, elle ne démontre pas la stabilité et l'intensité de ses liens avec celui-ci. Elle ne produit aucun autre élément pour démontrer son insertion dans la société française, alors qu'elle n'est arrivée en France qu'en janvier 2020, après avoir résidé dans son pays d'origine jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. Si le 22 septembre 2022 elle a donné naissance en France à un enfant qui est suivi médicalement sur le territoire, elle n'apporte aucun élément démontrant que ce suivi ne serait pas possible dans son pays d'origine, ni que cet enfant aurait des attaches particulières en France en dehors de la présence de sa mère. Dans ces conditions, le préfet du Nord n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme A.... Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.
12. Compte tenu de ce qui précède, le préfet n'a pas non plus porté atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant de l'appelante. Le moyen tiré de la violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit également être écarté.
En ce qui concerne les moyens tirés du défaut d'examen particulier et de l'erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle :
13. Il ne résulte pas non plus des termes de la décision, compte tenu des pièces du dossier et de ce qui a été dit précédemment, que le préfet ne se serait pas livré à un examen attentif de la situation de Mme A.... Pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de l'intéressée doit également être écarté.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision fixant le pays d'éloignement :
14. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
15. Mme A... n'apporte aucune précision sur les craintes pour sa vie et sa sécurité qu'elle allègue en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 juin 2023 du préfet du Nord en tant qu'il lui fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixe le pays de destination.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
17. Les conclusions d'annulation étant rejetées, les conclusions présentées par Mme A... aux fins d'injonction et d'astreinte doivent également être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par Me Danset-Vergotten, avocate de Mme A..., et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Sophie Danset-Vergoten.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 29 février 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Isabelle Legrand, présidente assesseure assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Denis Perrin, premier conseiller,
- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2024.
Le rapporteur,
Signé : D. Perrin
La présidente de la formation de jugement,
Signé : I. Legrand
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°23DA02245 2