Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 12 décembre 2019 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle de Hainaut Cambrésis a autorisé la société immobilière Grand Hainaut à procéder à son licenciement pour motif disciplinaire ainsi que la décision du 24 août 2020 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 2007559 du 17 mars 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 mai 2023 et le 1er septembre 2023, M. A..., représenté par Me Duriez, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 17 mars 2023 ;
2°) d'annuler les décisions des 12 décembre 2019 et 24 août 2020 ;
3°) de mettre à la charge de la société immobilière Grand Hainaut une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande d'autorisation de licenciement a été communiquée à l'inspectrice du travail plus de quinze jours après la consultation du comité social et économique en méconnaissance de l'article R. 2421-10 du code du travail ;
- la société immobilière Grand Hainaut a omis d'informer l'inspectrice du travail de son mandat de conseiller du salarié ;
- les faits reprochés ont été portés à la connaissance de l'employeur le 14 mai 2019 au plus tard et étaient prescrits, en application de l'article L. 1332-4 du code du travail, lorsqu'il a été convoqué à un entretien préalable au licenciement ;
- ces faits ne sont pas établis, ne lui sont pas imputables et ne revêtent aucun caractère fautif dès lors qu'aucune fiche de poste ne lui confiait le suivi et la réception des travaux d'adaptation ; son supérieur hiérarchique validait les bons de commande et les factures ; les manquements relevés trouvent leur origine dans une surcharge de travail ; l'employeur n'a pas tenu compte des difficultés rencontrées dans la facturation des marchés à bons de commande et ne lui a apporté aucune assistance dans le cadre de ses missions ; la société n'a subi aucun préjudice ; les écarts constatés entre les travaux facturés et les travaux réalisés résultent d'aléas techniques que le marché à bons de commande ne permet pas de prendre en compte ; il n'a jamais reconnu ne pas avoir procédé à la vérification des factures ;
- les faits reprochés, qui n'ont pas donné lieu à une mise à pied conservatoire ou à une modification de ses fonctions, ne revêtent pas un caractère de gravité suffisant pour justifier un licenciement ;
- son licenciement a un motif économique ;
- ce licenciement présente un lien avec l'exercice de ses mandats dès lors que la surcharge de travail en résultant a contribué à la survenue des manquements.
Par des mémoires en défense enregistrés le 20 juillet 2023 et le 3 octobre 2023, la société immobilière Grand Hainaut, représentée par Me Bailleul, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge du requérant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion qui n'a pas présenté d'observations.
Par une ordonnance du 6 novembre 2023, l'instruction a été close à la date du 5 décembre 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Bailleul, représentant la société immobilière Grand Hainaut.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a été recruté le 15 juillet 1996 pour exercer les fonctions de surveillant de chantier, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, par le groupement d'intérêt économique Hainaut développement, devenu en 2018 la société immobilière Grand Hainaut (SIGH), qui a pour activité la location de logements à loyers modérés. L'intéressé a été affecté le 22 janvier 2018 comme " responsable patrimoine et technique " de la direction des agences et de la proximité de l'agence Hainaut Nord puis, à compter du 1er septembre 2018, comme " responsable technique patrimoine " au sein du centre de services partagés de la direction des interventions techniques. Chargé de vérifier les travaux facturés par les entreprises intervenant dans les logements sociaux pour le compte de la SIGH, M. A... a été mis en cause par son employeur au cours de l'année 2019, des surfacturations ayant été constatées. Eu égard aux mandats syndicaux confiés à M. A..., l'employeur a saisi l'administration du travail, le 10 octobre 2019, en vue d'obtenir l'autorisation de le licencier. Cette autorisation a été accordée par une décision de l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle du Hainaut Cambrésis du 12 décembre 2019 contre laquelle M. A... a formé un recours hiérarchique, qui a été rejeté par une décision de la ministre chargée du travail du 24 août 2020. M. A... a demandé l'annulation des deux décisions des 12 décembre 2019 et 24 août 2020 au tribunal administratif de Lille. Il relève appel du jugement du 17 mars 2023 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-10 du code du travail : " La demande d'autorisation de licenciement d'un membre de la délégation du personnel au comité social et économique (...) est adressée à l'inspecteur du travail dans les conditions définies à l'article L. 2421-3. / Elle est accompagnée du procès-verbal de la réunion du comité social et économique. / Excepté dans le cas de mise à pied, la demande est transmise dans les quinze jours suivant la date à laquelle a été émis l'avis du comité social et économique (...) ".
3. S'il résulte des dispositions précitées que la demande d'autorisation de licenciement doit être présentée à l'inspecteur du travail dans un délai de quinze jours suivant la délibération du comité social et économique, ce délai n'est pas prescrit à peine de nullité. La demande d'autorisation de licencier M. A... a été présentée à l'inspecteur du travail le 10 octobre 2019, soit un mois suivant la date à laquelle le comité social et économique a délibéré le 11 septembre 2019. La SIGH soutient sans être contredite que le procès-verbal de la réunion du comité, constitué de onze pages et approuvé lors d'une séance ultérieure tenue le 29 septembre 2019, n'a été mis à sa disposition que le 27 septembre 2019. Dans ces conditions, et alors que la demande d'autorisation de licenciement doit être accompagnée de ce procès-verbal, le dépassement du délai prévu à l'article R. 2421-10 du code du travail ne présente aucun caractère excessif et n'a pas entaché d'illégalité la procédure d'autorisation de licenciement.
4. En deuxième lieu, pour opérer les contrôles auxquels elle est tenue de procéder lorsqu'elle statue sur une demande d'autorisation de licenciement, l'autorité administrative doit prendre en compte chacune des fonctions représentatives du salarié. Lorsque l'administration a eu connaissance de chacun des mandats détenus par l'intéressé, la circonstance que la demande d'autorisation de licenciement ou la décision autorisant le licenciement ne fasse pas mention de l'un de ces mandats ne suffit pas, à elle seule, à établir que l'administration n'a pas, comme elle le doit, exercé son contrôle en tenant compte de chacun des mandats détenus par le salarié protégé.
5. Il ressort des termes mêmes de la décision contestée du 12 décembre 2019, mentionnant le mandat de conseiller du salarié dont M. A... était titulaire, que l'inspectrice du travail en a tenu compte dans l'exercice de son contrôle avant d'autoriser le licenciement de l'intéressé. Dans ces conditions, la circonstance que la demande d'autorisation de licenciement omette de mentionner ce mandat ne suffit pas à établir un manquement de l'inspectrice du travail sur ce point. Si M. A... soutient avoir informé lui-même l'inspectrice du travail de l'existence de son mandat de conseiller du salarié, au cours de l'enquête contradictoire, cette circonstance est également sans conséquence sur la légalité de la décision d'autorisation.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ". Ce délai de deux mois commence à courir lorsque l'employeur a une pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié protégé.
7. Il ressort des pièces du dossier que, lors d'une visite de contrôle en compagnie de M. A... le 14 mars 2019, son supérieur hiérarchique a vérifié la qualité des travaux réalisés dans un appartement par la société Grim afin de l'adapter aux contraintes médicales du locataire et a constaté à cette occasion des anomalies dans les factures établies par cette société. L'employeur a alors procédé à un contrôle des dossiers de travaux suivis par M. A... depuis septembre 2018, qui a permis de constater, dans seize dossiers sur trente-trois, tous concernant la société Grim, que des matériels et équipements nécessaires aux travaux avaient donné lieu à une double facturation, que des travaux non réalisés avaient été facturés et que des quantités de matériaux avaient été surévaluées, conduisant encore à une surfacturation. La SIGH a communiqué les résultats de ses investigations à la société Grim au cours de deux réunions tenues les 14 mai et 6 juin 2019 en présence des responsables des deux sociétés. Par un courrier du 11 juin 2019 se référant à la dernière réunion, la société Grim a confirmé l'existence des écarts constatés entre les factures de travaux et les prestations réellement effectuées, n'a présenté aucune explication susceptible de justifier ces écarts, tenant notamment à une évolution des besoins des locataires ou à des difficultés techniques survenues au cours du chantier, et a proposé d'indemniser la SIGH. Dans ces conditions, l'employeur ne pouvait déduire de ses échanges avec la société Grim, avant le 6 juin 2019 au plus tôt, que les surfacturations constatées dans les dossiers de travaux suivis par M. A... résultaient de négligences de l'intéressé. Il ne ressort donc pas des pièces du dossier que l'employeur avait une pleine connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à M. A... avant le 6 juin 2019. Ces faits n'étant pas prescrits lorsque la SIGH a engagé des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. A... en le convoquant le 18 juillet 2019 à un entretien préalable prévu le 26 juillet 2019, le moyen tiré de leur prescription doit être écarté.
8. En quatrième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
9. D'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal du comité social et économique du 11 septembre 2019 et des constatations effectuées par l'inspectrice du travail lors de son contrôle, que M. A... avait pour mission, en tant que responsable technique du patrimoine, de suivre les travaux réalisés dans les appartements donnés en location par la SIGH, afin de les adapter à la situation de santé de leurs occupants. A ce titre, M. A... ne pouvait ignorer qu'il lui appartenait notamment, lors de la réception des travaux, d'en contrôler la qualité et la conformité aux documents contractuels et de vérifier les factures établies par les entreprises engagées par la SIGH pour leur réalisation. L'employeur produit à l'instance, pour seize opérations de travaux réalisées par la société Grim et suivies par M. A... de septembre 2018 à mars 2019, des tableaux financiers, étayés par des bons de commande et des factures, dont il ressort, ainsi qu'il a été dit plus haut, que des équipements ont donné lieu à une double facturation, que des travaux ont été facturés sans avoir été réalisés et que des matériaux ont été surévalués en quantité, conduisant encore à une surfacturation. A cet égard, les contrôles ont notamment révélé que la société Grim facturait, pour une même opération, des équipements de douche à la fois sous forme de kit et, article par article, pour l'ensemble des éléments constituant ce kit, ainsi que des travaux de mise en conformité électrique pourtant non réalisés. Si M. A... critique certains postes de travaux pris en compte dans trois des tableaux précités, il ne conteste pas sérieusement la réalité des écarts constatés par l'employeur, impliquant une différence de 23 229,58 euros entre les travaux payés et les travaux réellement effectués. Eu égard aux missions qui lui incombaient, incluant un contrôle des travaux réalisés et de leur facturation, il ne saurait se prévaloir de ce que son supérieur hiérarchique était chargé de le superviser en validant les devis et les factures de la société Grim. Au demeurant, il a admis au cours de l'enquête contradictoire avoir procédé à un contrôle insuffisant et commis des négligences dans l'exercice de ses fonctions. Ni les extraits de ses agendas, ni la note interne du 26 septembre 2019 réorganisant les fonctions des responsables techniques sur une base géographique ne sont de nature à établir que M. A... se trouvait dans une situation de surcharge professionnelle en raison des contraintes liées à l'exercice de ses fonctions représentatives et syndicales. Le requérant n'établit aucunement l'impossibilité de procéder à un contrôle visuel des travaux réalisés, tels le remplacement d'un lavabo, la pose d'un mitigeur ou d'un siège de douche ou la mise en place d'équipements ergonomiques. Il était en mesure de constater les doubles facturations résultant de la commande de mêmes matériels sous forme de kit et d'articles séparés. Les circonstances, au demeurant non démontrées, que le marché à bons de commande passé avec la société Grim suscitait des erreurs de codification dans l'établissement des devis et des factures ou que des aléas techniques ont pu conduire à la modification des travaux programmés, ne dispensaient pas M. A... de procéder aux contrôles de ces travaux. Si l'appelant fait état de deux chantiers pris en charge par la société Grim, pour lesquels il indique avoir relevé des anomalies au cours de l'année 2019 et obtenu de l'entreprise une correction de ses devis, il n'établit pas avoir procédé de même pour les opérations dans lesquelles il est mis en cause, ni même avoir informé son employeur des anomalies précitées. Interrogée sur les écarts constatés entre le montant des prestations effectuées et celui de ses factures, la société Grim n'a contesté aucun de ces écarts, proposant même à la SIGH un avoir d'un montant de 89 302,68 euros. Dans ces conditions, les faits reprochés à M. A... sont établis, lui sont imputables et revêtent un caractère fautif, ainsi que l'a estimé l'inspectrice du travail sans commettre d'erreur d'appréciation.
10. D'autre part, il résulte des pièces du dossier que les faits de négligence reprochés à M. A... se sont répétés sur plusieurs mois et, eu égard à son niveau de responsabilité, à son ancienneté et à la nature de ses fonctions, revêtent un caractère de gravité suffisant pour justifier son licenciement, ceci en dépit de l'absence de mise à pied conservatoire et du maintien en fonction de l'intéressé jusqu'à son licenciement. Sur ce point, et contrairement à ce que soutient M. A... qui ne produit aucun élément probant en ce sens, il n'est aucunement établi que son licenciement aurait en réalité un motif économique. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision autorisant son licenciement est entachée d'illégalité en raison de son caractère disproportionné au regard des faits reprochés.
11. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les fonctions représentatives ou l'appartenance syndicale de M. A... auraient conduit la SIGH à envisager son licenciement, que l'employeur justifie par les seules fautes commises par l'intéressé dans l'exécution de son contrat de travail. A cet égard, le requérant n'établit pas la situation de surcharge professionnelle à laquelle il impute les négligences qui lui sont reprochées et qui résulterait selon lui d'un temps de travail restreint par l'exercice de ses fonctions représentatives et syndicales.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SIGH, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont M. A... demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : M. A... versera une somme de 1 000 euros à la SIGH sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société immobilière Grand Hainaut et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Délibéré après l'audience publique du 5 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 mars 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
Le greffier,
Signé : F. Cheppe
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Le greffier
F. Cheppe
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N° 23DA00850