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14/03/2024 | FRANCE | N°23DA01094

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 14 mars 2024, 23DA01094


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté en date du 2 février 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a décidé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.



Par un jugement n° 2301019 du 19 avril 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille

a annulé l'arrêté du 2 février 2023 et a enjoint au préfet du Nord de délivrer une autorisation provisoi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté en date du 2 février 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a décidé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2301019 du 19 avril 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 2 février 2023 et a enjoint au préfet du Nord de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. D... le temps de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 juin 2023, le préfet du Nord, représentée par Me Nicolas Rannou, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. D... devant le tribunal.

Il soutient que :

- sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal : le visa maltais de M. D..., valable du 24 décembre 2022 au 6 février 2023, n'autorisait le séjour que pour une durée de dix jours ; entré dans l'espace Schengen en décembre 2022, il se maintenait donc en situation irrégulière sur le territoire français ;

- les moyens soulevés par le requérant en première instance ne sont pas fondés :

- le moyen tiré de l'exception d'illégalité ou du défaut de base légale doit être écarté, chaque décision étant régulière ;

- le signataire de l'acte était compétent pour le signer ;

- la décision est suffisamment motivée et a été prise après un examen de la situation personnelle de M. D... ;

- la décision d'éloignement n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le refus de délai de départ n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le pays de renvoi n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français est suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- par suite, les conclusions à fin d'injonction et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

La requête a été communiquée à M. D..., qui n'a pas produit de mémoire en défense, malgré une mise en demeure en ce sens.

Par ordonnance du 1er décembre 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 4 janvier 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CE) n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... D..., ressortissant algérien né le 21 août 1994 à Tizi Ouzou (Algérie), s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire en raison de son état de santé entre 2014 et 2021, dont il a demandé, le 9 avril 2021, le renouvellement. Par un arrêté du 2 février 2023, le préfet du Nord a obligé M. C... D... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an à compter de l'exécution de cette mesure. Le préfet du Nord relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 2 février 2023 et lui a enjoint de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. D... le temps de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) /2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ;(...). ".

3. Le préfet du Nord a fondé la décision d'éloignement contestée du 2 février 2023 sur la circonstance que M. D... était entré en France sous couvert d'un visa expiré et fait application des dispositions précitées. M. D... est entré en France en décembre 2022 muni d'un passeport revêtu d'un visa de type C délivré par les autorités consulaires maltaises d'Algérie valable du 24 décembre 2022 au 6 février 2023. Cependant, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'extrait du système Visabio produit par le préfet en première instance, que si le visa de M. D... avait une durée de validité de 44 jours et autorisait plusieurs entrées, la durée de séjour autorisée était seulement de dix jours. A la date de la décision contestée, le visa était donc expiré. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur le moyen tiré de l'erreur de droit que le préfet aurait commise en faisant application des dispositions du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler l'arrêté attaqué du 2 février 2023.

4. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif à l'encontre de l'arrêté du 2 février 2023.

Sur les moyens communs aux décisions attaquées :

5. Par un arrêté du 13 octobre 2022, publié le même jour au recueil n° 245 des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Nord a donné délégation à Mme A..., attachée d'administration de l'État, adjointe à la cheffe du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière, signataire de l'arrêté en litige, à l'effet de signer notamment les décisions attaquées. Il ressort des visas du jugement que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté a été abandonné à l'audience. En tout état de cause, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision litigieuse, qui manque en fait, doit être écarté.

6. Il ressort des termes de l'arrêté attaqué qu'il comporte les considérations de droit et de fait sur lesquelles reposent les décisions en litige, alors même qu'il ne reprend pas tous les éléments relatifs à la situation personnelle de l'intéressé. Le moyen tiré du défaut de motivation de cet arrêté doit donc être écarté.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. M. D... est entré en France en décembre 2022, et s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire après l'expiration de son visa. Il ressort du procès-verbal de son audition du 1er février 2023 à Lille qu'il est célibataire, sans enfant, sans domicile et sans profession, et qu'il n'est pas dépourvu d'attaches familiales en Algérie. Dans ces circonstances, compte tenu notamment de la durée et des conditions du séjour de M. D... en France, le préfet n'a pas, par la décision attaquée, porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'appelant une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.

9. Il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, que le préfet du Nord ait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de M. D....

En ce qui concerne la décision refusant un délai de départ volontaire :

10. Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

11. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce (...), qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...) ".

12. Compte tenu de la circonstance que M. D... s'est maintenu sur le territoire français après l'expiration de son visa et qu'étant sans domicile il ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, le préfet n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant qu'il existait un risque qu'il se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet et en décidant, pour ce motif, de refuser de lui accorder un délai de départ volontaire.

En ce qui concerne le pays de renvoi :

13. En premier lieu, il résulte de ce qui a été exposé précédemment que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire doit être écarté.

14. En deuxième lieu, si M. D... allègue que son éloignement vers son pays d'origine l'exposerait à des risques de traitements inhumains ou dégradants, il n'apporte aucun élément de nature à justifier qu'il encourrait des menaces personnelles et actuelles en cas de retour en Algérie. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

15. En premier lieu, il résulte de ce qui a été exposé précédemment que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire doit être écarté.

16. En second lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Et aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

17. Il résulte de ces dispositions que, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai, il appartient au préfet d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle. Seule la durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés à L. 612-10, à savoir la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire.

18. D'une part, compte tenu des circonstances de l'espèce, et notamment des motifs développés au point 8, M. D... ne justifie pas de circonstances humanitaires qui feraient obstacle à ce que l'obligation de quitter le territoire français sans délai dont il fait l'objet soit assortie d'une interdiction de retour sur le territoire national. D'autre part, compte tenu de la durée et des conditions de la présence de M. D... sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de l'existence, et nonobstant l'absence d'une précédente mesure d'éloignement non exécutée et de toute menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire, c'est sans méconnaître les dispositions de l'article L. 612-6 et L. 612-10 précitées, ni entacher sa décision d'une erreur d'appréciation que le préfet de la Somme a fixé à un an la durée de l'interdiction du territoire.

19. D'autre part, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment des motifs développés au point 8, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord ait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an sur la situation personnelle de M. D....

20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 2 février 2023 et a lui enjoint de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. D... le temps de procéder au réexamen de sa situation. Par conséquent, il y a lieu de rejeter les demandes présentées par M. D... devant le tribunal administratif de Lille.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2301019 du 19 avril 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie sera adressée au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience du 20 février 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : M. B...La présidente de la cour,

Signé : N. Massias

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

Anne-Sophie VILLETTE

2

N°23DA01094


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01094
Date de la décision : 14/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-14;23da01094 ?
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