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05/03/2024 | FRANCE | N°23DA00443

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 05 mars 2024, 23DA00443


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Institut médico-éducatif (IME) d'Ecouis à lui verser la somme totale de 64 630,86 euros, assortie des intérêts à compter du 24 août 2020 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices résultant de sa maladie professionnelle.



Par un jugement n° 2004474 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a condamné l'IME d'Ecouis à lui verser la somme

de 500 euros et a rejeté le surplus de sa demande.



Procédure devant la cour :



Par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Institut médico-éducatif (IME) d'Ecouis à lui verser la somme totale de 64 630,86 euros, assortie des intérêts à compter du 24 août 2020 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation des préjudices résultant de sa maladie professionnelle.

Par un jugement n° 2004474 du 17 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a condamné l'IME d'Ecouis à lui verser la somme de 500 euros et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 mars 2023, 14 septembre 2023 et 17 octobre 2023, Mme A..., représentée par Me Languil, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 17 janvier 2023 en tant qu'il a limité le montant de la condamnation à la somme de 500 euros ;

2°) de condamner l'IME d'Ecouis à lui verser la somme totale de 64 630,86 euros, assortie des intérêts à compter du 24 août 2020 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l'IME d'Ecouis une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa créance résultant de la souffrance endurée pendant son arrêt de travail, du déficit fonctionnel permanent à l'issue de cet arrêt et de son manque à gagner en raison de primes de service non perçues, n'était pas prescrite à la date de sa demande préalable, en l'absence de décision arrêtant la date de sa consolidation et alors qu'elle n'a eu connaissance de cette date qu'en 2016 ;

- la responsabilité sans faute de l'administration est engagée, lui permettant d'obtenir, en dépit de l'allocation d'une rente viagère, une indemnisation complémentaire réparant les préjudices patrimoniaux et personnels en lien avec sa maladie professionnelle ;

- la responsabilité de l'administration est engagée pour faute dès lors qu'aucune proposition de reclassement ne lui a été faite entre 2013 et 2016, qu'un poste d'adjoint des cadres était disponible en 2015, et que ses refus d'accepter les postes proposés en 2016 et 2017 étaient justifiés par l'incompatibilité de ces postes avec son état de santé ;

- l'administration a également commis une faute en omettant de l'informer de ses droits au report des congés payés relatifs aux années 2012 à 2016 et en l'empêchant de bénéficier effectivement de ces mêmes congés ;

- à cet égard, il résulte de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, que l'ensemble des congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise ou, en cas de rupture, doivent faire l'objet d'une indemnisation ;

- ses souffrances endurées pendant sa période d'arrêt de travail doivent être évaluées à la somme de 5 000 euros ;

- son déficit fonctionnel permanent, évalué entre 10 et 15 %, doit être réparé par l'allocation d'une somme de 20 000 euros ;

- la perte de chance de bénéficier de ses congés payés est à l'origine d'un préjudice financier évalué à la somme de 9 907,56 euros ;

- elle a été privée du versement de la prime de service, au cours des années 2015 et 2016, pour un montant de 6 926,23 euros ;

- le refus de la réintégrer dans ses fonctions avant 2017 l'a privée de l'allocation temporaire d'invalidité pendant trois ans, pour un montant de 10 332,72 euros ;

- ce refus a été à l'origine d'une perte de chance d'obtenir un avancement au grade de cadre supérieur de santé paramédical, la privant d'éléments de salaire pour un montant de 2 559,28 euros et d'un complément de pension de retraite, pour un montant de 9 905,07 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2023, l'institut médico-éducatif (IME) d'Ecouis, représenté par Me Gillet, conclut au rejet de la requête, à l'annulation du jugement en tant qu'il le condamne à verser une somme de 500 euros à Mme A..., au rejet de la demande présentée par la requérante devant le tribunal administratif et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'intéressée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés ;

- la demande indemnitaire relative aux primes de service dont la requérante soutient avoir été privée est irrecevable, en l'absence de liaison du contentieux ;

- la créance se rapportant aux primes de service de l'année 2015 est prescrite ;

- la requérante ne peut utilement soutenir que l'employeur aurait omis de l'informer de son droit au report des congés payés accumulés pendant son congé de maladie en 2016, dès lors qu'elle était en mesure d'en demander le bénéfice après son retour au service ;

- son droit au report des congés payés de l'année 2016 expirait le 17 février 2018, de telle sorte que ces congés ne pouvaient plus donner lieu à indemnisation lors de la rupture du lien de travail le 30 avril 2019.

Par une ordonnance du 11 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 10 novembre 2023, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 2002-8 du 4 janvier 2002 ;

- le décret n° 2005-442 du 2 mai 2005 ;

- le décret n° 2012-1466 du 26 décembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Languil, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., née le 19 mai 1957, a été recrutée par l'institut médico-éducatif (IME) d'Ecouis (Eure) en 1982 comme psychomotricienne. Elle a été nommée en 2002 dans le corps des cadres de santé paramédicaux de la fonction publique hospitalière et affectée en 2008 dans l'emploi de chef des deux services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) des Andelys et de Pont-Saint-Pierre de l'IME d'Ecouis. Mme A... a été placée en congé de maladie à compter du 3 octobre 2012, pour une pathologie dont l'imputabilité au service a été reconnue par une décision du 2 décembre 2013. Après plusieurs expertises médicales et avis de la commission de réforme se prononçant pour une reprise d'activité dans un poste adapté sans aucun contact avec les SESSAD et leurs agents, elle a été réintégrée au sein du service le 18 septembre 2017 et affectée à la même date sur un poste en surnombre de cadre socio-éducatif sans encadrement, puis, à compter du 1er septembre 2018, sur le poste de responsable de l'institut médico-pédagogique (IMP) de l'IME d'Ecouis. Par une décision du 1er avril 2019, Mme A... a été admise à la retraite à compter du 1er septembre suivant. Elle a saisi son employeur le 24 août 2020 d'une demande tendant à l'indemnisation de ses préjudices, en invoquant l'obligation qui incombe à l'administration de garantir ses agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions, ainsi que diverses fautes commises dans le cadre de son reclassement et le report de ses congés payés. Cette demande ayant été rejetée par une décision du 5 octobre 2020, Mme A... a saisi le tribunal administratif de Rouen, en sollicitant la condamnation de l'IME d'Ecouis à lui verser une indemnisation globale de 64 630 euros. Par un jugement du 17 janvier 2023, le tribunal administratif, retenant une faute dans l'absence d'information de l'intéressée sur son droit au report des congés payés, a condamné l'IME d'Ecouis à verser la somme de 500 euros à Mme A... et a rejeté le surplus de sa demande. Mme A... relève appel de ce jugement en tant qu'il limite le montant de la condamnation à la somme de 500 euros, et reprend devant la cour l'ensemble de ses conclusions indemnitaires. En défense, l'IME d'Ecouis conclut au rejet de la requête et demande l'annulation du jugement en tant qu'il le condamne à verser la somme de 500 euros à la requérante.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

2. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice.

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Pour l'application de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, s'agissant d'une créance indemnitaire détenue sur une collectivité publique au titre d'un dommage corporel engageant sa responsabilité, le point de départ du délai de la prescription quadriennale est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées à ce dommage ont été consolidées. Il en est ainsi pour tous les postes de préjudice, aussi bien temporaires que permanents, qu'ils soient demeurés à la charge de la victime ou aient été réparés par un tiers, tel qu'un organisme de sécurité sociale, qui se trouve subrogé dans les droits de la victime.

4. Il ressort des rapports d'expertise médicale des 9 décembre 2014, 9 juillet 2015 et 14 avril 2017, que l'état de santé de Mme A... est consolidé depuis le 4 juin 2014. Mme A... n'apporte à l'instance aucun élément de nature à contester la date retenue par les médecins pour la consolidation des séquelles résultant de sa pathologie. Si l'administration n'a pris aucune décision pour entériner la date de consolidation, cette circonstance est sans conséquence sur l'application de la règle rappelée au point précédent, dont il résulte que le point de départ du délai de la prescription quadriennale est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées au dommage corporel ont été consolidées. Par ailleurs, la maladie de Mme A... a été reconnue imputable au service par une décision du 2 décembre 2013, permettant à l'intéressée de connaître tant l'existence que l'origine de son dommage et lui ouvrant dès ce moment le droit d'engager une action contre l'IME d'Ecouis, sans attendre sa consolidation. En outre, Mme A... a été reçue le 9 décembre 2014 par un expert médical qui a constaté sa consolidation lors de l'examen tenu en sa présence. Dans ces conditions, si la requérante soutient avoir reçu en 2016 seulement les éléments médicaux faisant état d'une consolidation le 4 juin 2014, notamment le rapport d'expertise établi à la suite de la visite du 9 décembre 2014, ces allégations ne permettent pas de la regarder légitimement comme ayant ignoré, jusqu'en 2016, l'existence de sa créance, au sens de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968. Par suite, le délai de prescription de quatre ans, qui a commencé à courir le 1er janvier 2015, était expiré le 24 août 2020, lorsque l'IME d'Écouis a reçu la demande de Mme A... tendant à l'indemnisation des préjudices consécutifs à sa maladie professionnelle.

5. Il résulte de ce qui précède, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que Mme A... n'est pas fondée à demander l'indemnisation des préjudices personnels, tels le déficit fonctionnel permanent et les souffrances endurées, et des préjudices patrimoniaux autres que les pertes de revenus et l'incidence professionnelle, qu'elle impute à sa maladie professionnelle.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute, en raison des manquements allégués dans le reclassement de la requérante :

6. Aux termes de l'article 71 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, alors applicable : " Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état de santé, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état de santé. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps ou cadre d'emplois en priorité dans leur administration d'origine ou à défaut dans toute administration ou établissement public mentionnés à l'article 2 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. / Le reclassement est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé. Par dérogation, la procédure de reclassement peut être engagée en l'absence de demande de l'intéressé. Ce dernier dispose en ce cas de voies de recours ".

7. Il ressort de l'avis rendu par la commission de réforme le 31 octobre 2013 et des conclusions des experts médicaux qui se sont prononcés sur la situation de Mme A... les 9 décembre 2014 et 9 juillet 2015 qu'une reprise du travail pouvait être envisagée comme cadre de santé paramédicale en évitant tout contact avec les agents des SESSAD, ou comme psychomotricienne. Il résulte de l'instruction que, hormis l'ancien emploi occupé par Mme A..., l'IME d'Ecouis ne comporte que deux emplois de cadre administratif, correspondant au poste de responsable de l'institut médico-pédagogique (IMP) et à celui de responsable de l'institut médico-professionnel (IMPro). Il n'est pas contesté que seul ce second poste est devenu vacant, alors que la requérante était dans l'attente d'un reclassement entre 2013 et 2017, en raison du départ à la retraite de son titulaire prévu le 1er octobre 2016. L'IME d'Ecouis a proposé ce poste le 13 juin 2016 à la requérante, qui l'a refusé par un courrier du 20 juin suivant. Aucun poste de psychomotricien ne s'est trouvé vacant au sein de l'établissement de 2013 à 2017, en dehors de ceux implantés dans les SESSAD. Si Mme A... soutient qu'un poste d'adjoint des cadres, disponible en 2015, ne lui a pas été proposé, elle ne conteste pas que ce poste correspond à un emploi de la catégorie B, d'un niveau inférieur à celui dont relève le corps des cadres de santé paramédicaux. Au demeurant, l'intéressée a indiqué, dans son courrier précité du 20 juin 2016, qu'une reprise d'activité dans l'établissement lui paraissait inconcevable, quel que soit le poste envisagé. Par un courrier du 23 juin 2016, l'IME d'Ecouis a d'ailleurs proposé à Mme A... d'engager des recherches pour un détachement, avec l'assistance des services de l'agence régionale de santé. Un emploi de cadre de santé à Héricourt-en-Caux lui a ainsi été proposé le 26 juin 2017, qu'elle a refusé. Mme A... a repris son activité à l'IME d'Ecouis à compter du 18 septembre 2017, de façon progressive, sur un poste de catégorie A sans encadrement d'équipe, avec pour mission le traitement de dossiers, dont le projet d'établissement, en lien avec l'équipe des cadres. Contrairement à ce qu'elle soutient, il n'est pas établi que l'IME d'Ecouis, qui comporte environ soixante-cinq agents toutes catégories et tous métiers confondus, se répartissant entre trois services, aurait pu lui proposer ce même poste de cadre dès l'année 2015. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'administration est à l'origine d'un retard fautif dans son reclassement. Par suite, elle n'est pas plus fondée à demander la réparation des préjudices résultant du retard allégué, tiré de l'absence de versement de l'allocation temporaire d'invalidité pendant trois ans, du défaut de versement d'une prime de service en 2015 et 2016 et des pertes de revenus et de droits à pension en lien avec une prétendue perte de chance de bénéficier d'un avancement de grade.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute, en raison des manquements allégués dans les reports de congé :

8. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ". Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ces dispositions font obstacle à ce que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de cette période s'éteigne à l'expiration de celle-ci. Le droit au report des congés annuels non exercés pour ce motif n'est toutefois pas illimité dans le temps. Si, selon la Cour, la durée de la période de report doit dépasser substantiellement celle de la période au cours de laquelle le droit peut être exercé, pour permettre à l'agent d'exercer effectivement son droit à congé sans perturber le fonctionnement du service, la finalité même du droit au congé annuel payé, qui est de bénéficier d'un temps de repos ainsi que d'un temps de détente et de loisirs, s'oppose à ce qu'un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives, puisse avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période.

9. Aux termes de l'article 1er du décret du 4 janvier 2002 relatif aux congés annuels des agents des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Tout fonctionnaire d'un des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée en activité a droit, dans les conditions et sous les réserves précisées aux articles ci-après, pour une année de service accompli du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel d'une durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service (...) ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle accordée par l'autorité investie du pouvoir de nomination. Les congés non pris au titre d'une année de service accompli peuvent alimenter un compte épargne temps, selon des modalités définies par décret. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ". Ces dispositions réglementaires, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, sont, dans cette mesure, incompatibles avec les dispositions de l'article 7 de la directive citée au point 1 et, par suite, illégales.

10. En l'absence de dispositions législatives ou réglementaires fixant ainsi une période de report des congés payés qu'un agent s'est trouvé, du fait d'un congé maladie, dans l'impossibilité de prendre au cours d'une année civile donnée, le juge peut en principe considérer, afin d'assurer le respect des dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, que ces congés peuvent être pris au cours d'une période de quinze mois après le terme de cette année. La Cour de justice de l'Union européenne a en effet jugé, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, qu'une telle durée de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l'article 7 de la directive. Toutefois ce droit au report s'exerce, en l'absence de dispositions, sur ce point également, dans le droit national, dans la limite de quatre semaines, prévue par cet article 7.

11. Il résulte de ce qui précède que les congés payés que Mme A... s'est trouvée dans l'impossibilité de prendre au cours des années 2012, 2013, 2014 et 2015 en raison de son congé de maladie devaient être pris au plus tard, respectivement, les 31 mars de chacune des années 2014 à 2017. Dès lors, la circonstance que la requérante n'a pas été informée des conditions dans lesquelles ses droits à congés des années 2012 à 2015 pouvaient faire l'objet d'un report ne l'a privée d'aucune chance d'en bénéficier dès lors qu'elle a repris ses fonctions le 18 septembre 2017, à une date où il ne lui était plus possible de solliciter un tel report afin de bénéficier de ses congés annuels.

12. En revanche, Mme A..., qui n'a pu prendre ses congés de l'année 2016 en raison de congés de maladie, était en droit d'en obtenir le report jusqu'au 31 mars 2018. Il ne résulte pas de l'instruction que l'IME d'Ecouis aurait mis la requérante en mesure de reporter les congés de l'année 2016 afin qu'elle puisse en bénéficier après sa reprise le 18 septembre 2017, et a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité. La requérante est donc fondée à soutenir que ce manquement lui a fait perdre une chance de prendre les congés auxquels elle avait droit au titre de l'année 2016, ainsi que l'ont estimé les premiers juges. Ni Mme A..., ni l'administration ne contestent devant la cour l'évaluation du préjudice retenue par les premiers juges qui ont alloué à ce titre la somme de 500 euros à la requérante.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a limité à la somme de 500 euros le montant de l'indemnisation allouée en réparation du préjudice résultant de ce qu'elle a été privée de ses jours de congés au titre de l'année 2016 et a rejeté le surplus de sa demande. Il résulte également de ce qui précède que l'IME d'Ecouis n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen l'a condamné à verser cette somme de 500 euros.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'IME d'Ecouis, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont Mme A... demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme dont l'IME d'Ecouis demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : L'appel incident de l'IME d'Ecouis et ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à l'institut

médico-éducatif d'Ecouis.

Délibéré après l'audience publique du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mars 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. ViardLe greffier,

Signé : F. Cheppe

La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier

F. Cheppe

2

N° 23DA00443


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00443
Date de la décision : 05/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SCP EMO AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-05;23da00443 ?
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