La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/02/2024 | FRANCE | N°23DA00875

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 20 février 2024, 23DA00875


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux années.



Par un jugement n° 2300303 du 24 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a rej

eté sa demande.



Procédure devant la Cour :



Par une requête et un mémoire, enregist...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux années.

Par un jugement n° 2300303 du 24 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 mai 2023 et 10 juin 2023, M. C..., représenté par Me Norbert Clément, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de produire les échanges avec les autorités allemandes quant à son éloignement vers l'Allemagne et le cas échéant la décision de remise aux autorités allemandes ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit, d'une erreur de fait et d'un défaut d'examen sérieux et approfondi de sa situation personnelle : mineur de dix-huit ans, il ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ; la minorité doit être présumée, et la preuve peut être apportée par tout moyen ; la décision est aussi entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- compte tenu du doute sur la minorité de l'intéressé, le premier juge a méconnu les dispositions de l'article R. 771-2 du code de justice administrative en ne transmettant pas une question préjudicielle à l'autorité judiciaire ;

- le préfet ne pouvait sans commettre une erreur de droit prendre à l'encontre de l'intéressé, demandeur d'asile, une obligation de quitter le territoire français, qui n'a pas été abrogée et continue donc à produire ses effets ;

- il excipe de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire ;

- il excipe de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français et du refus d'octroi d'un délai de départ volontaire à l'encontre de la décision fixant le pays de destination ;

- la décision fixant le pays de destination est entachée d'une erreur de droit, la décision de remise d'une personne étrangère à un Etat membre de l'espace Schengen et la décision fixant le pays de destination étant régies par des dispositions distinctes ;

- il excipe de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et de la décision fixant le pays de destination à l'encontre de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français.

La requête a été communiquée au préfet du Nord, qui n'a pas produit de mémoire en défense, en dépit d'une mise en demeure qui lui a été faite le 21 août 2023.

Par une ordonnance en date du 17 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 novembre 2023 à 12 heures.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 avril 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) no 603/2013 relatif à Eurodac, la base de données de l'Union européenne pour la comparaison d'empreintes digitales des demandeurs d'asile ;

- le règlement (UE) n ° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., ressortissant marocain né le 25 août 2002 à Al Ayoun (Maroc), est entré sur le territoire national en 2021, selon ses déclarations. À la suite de son interpellation par les services de police le 11 janvier 2023 à la gare de Lille Flandres, il a été placé en rétention administrative au centre de rétention de Lesquin. Par un arrêté du même jour, le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire national pendant une durée de deux années. M. C... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annuler cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ". Aux termes de l'article L. 572-1 du même code : " (...) l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. (...) ". Le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Néanmoins, il y a lieu de réserver le cas de l'étranger demandeur d'asile, dont la situation n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais dans celui des dispositions de l'article L. 572-1 du même code en vertu desquelles la mesure d'éloignement en vue de remettre l'intéressé aux autorités étrangères compétentes pour l'examen de sa demande d'asile ne peut être qu'une décision de transfert.

3. M. C... fait valoir dans son dernier mémoire, enregistré le 10 juin 2023, qu'il est demandeur d'asile et ne pouvait, par conséquent, pas légalement faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a signalé au préfet du Nord le 30 janvier 2023, postérieurement à l'arrêté attaqué et au jugement frappé d'appel, qu'il était demandeur d'asile en Allemagne. Il ressort de la consultation du fichier Eurodac des empreintes digitales des demandeurs d'asile effectuée par le ministère de l'intérieur pour le préfet du Nord le 1er février 2023 que les empreintes de M. C... ont été relevées le 26 août 2018 par les autorités néerlandaises, le 20 août 2020 par les autorités danoises, le 24 août 2020 par les autorités suédoises et en dernier lieu le 24 juillet 2021 par les autorités allemandes. Saisies le 2 février 2023, les autorités allemandes ont informé le ministère de l'intérieur français le 7 février 2023 qu'elles acceptaient de reprendre en charge M. C... sur le fondement de l'article 18 I b du règlement n° 604/2014 dit " D... A... " susvisé. Le préfet du Nord a pris le 9 février 2023 un arrêté de transfert de M. C... aux autorités allemandes, qui a été exécuté le 23 février 2023. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord ait retiré ou abrogé l'arrêté du 11 janvier 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux années.

4. Il résulte de tout ce qui précède que la situation de M. C..., alors même qu'il n'avait pas indiqué être demandeur d'asile en Allemagne à la date de l'arrêté attaqué et du jugement frappé d'appel, n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais dans celui des dispositions de l'article L. 572-1 du même code en vertu desquelles la mesure d'éloignement en vue de remettre l'intéressé aux autorités étrangères compétentes pour l'examen de sa demande d'asile ne peut être qu'une décision de transfert, qui a, en l'espèce, été prise le 9 février 2023 et exécutée le 23 février 2023. Par suite, la décision du 11 janvier 2023 portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit, et doit donc être annulée.

5. Par voie de conséquence, les décisions du 11 janvier 2023 refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, doivent être annulées.

6. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté 11 janvier 2023.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Postérieurement à l'introduction de la requête, le préfet du Nord a produit les échanges avec les autorités allemandes quant au transfert de M. C... vers l'Allemagne et l'arrêté du 9 février 2023 de transfert aux autorités allemandes. Ainsi, les conclusions de M. C... tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord de produire ces documents sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

8. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Clément, avocat de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Clément de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2300303 du 24 janvier 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille et l'arrêté du 11 janvier 2023 du préfet du Nord sont annulés.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. C....

Article 3 : L'Etat versera à Me Clément une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer au préfet du Nord et à Me Norbert Clément.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : M. E...La présidente de chambre,

Signé : M.P. Viard

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

Anne-Sophie VILLETTE

2

N°23DA00875


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00875
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : CLEMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;23da00875 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award