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20/02/2024 | FRANCE | N°23DA00528

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 20 février 2024, 23DA00528


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme F... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler en toutes ses dispositions la décision prise à son encontre le 8 décembre 2020 par le directeur des ressources humaines et des formations du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen et d'enjoindre à l'établissement de la réintégrer dans ses fonctions antérieures, dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir.



Par un jugement n° 2102097 du 26 janvier 2023, le t

ribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler en toutes ses dispositions la décision prise à son encontre le 8 décembre 2020 par le directeur des ressources humaines et des formations du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen et d'enjoindre à l'établissement de la réintégrer dans ses fonctions antérieures, dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 2102097 du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 mars 2023, Mme B..., représentée par Me Fabrice Legloahec, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 8 décembre 2020 ;

3°) d'enjoindre au CHU de Rouen de la réintégrer dans ses fonctions antérieures, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge du CHU de Rouen le paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente dès lors qu'il n'est pas établi que le directeur des ressources humaines ait été absent ou empêché au moment où elle a été prise et que la délégation dont il dispose ne s'étend pas aux sanctions disciplinaires ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation dès lors qu'elle ne comporte pas les considérations de fait et de droit qui constituent son fondement ;

- la motivation du jugement attaqué sur ces moyens est insuffisante et caractérise une omission à statuer ;

- la décision attaquée constitue une sanction déguisée et, de ce fait, procède d'un détournement de pouvoir et d'une violation de la procédure disciplinaire ; en effet, d'une part, les termes de la décision révèlent sans ambiguïté l'intention répressive de son auteur et, d'autre part, elle a des incidences notables sur sa situation professionnelle, financière, familiale et sociale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2023, le CHU de Rouen, représenté par Me Violaine Lacroix, conclut au rejet de la requête d'appel et à ce que le versement d'une somme de 2 000 euros soit mis à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête présentée en première instance par Mme B... était irrecevable dès lors que la décision attaquée présente les caractères d'une mesure d'ordre intérieur ;

- en tout état de cause, aucun des moyens soulevés par Mme B... en première instance comme en appel n'est fondé.

Par ordonnance du 31 octobre 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 1er décembre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 2007 -1188 du 3 août 2007 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Elsa Rajbenbach, représentant le CHU de Rouen.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., aide-soignante titulaire, exerçait ses fonctions depuis 2014 au sein d'une équipe de nuit du service de gériatrie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rouen. En raison de difficultés relationnelles rencontrées avec ses collègues et ses responsables hiérarchiques directs, elle a été convoquée, le 3 décembre 2020, à un entretien avec le directeur-adjoint des ressources humaines et des formations et le directeur des soins de l'établissement. Par courrier du 8 décembre 2020, le directeur des ressources humaines et des formations l'a informée de sa décision de l'affecter sur un poste en équipe de jour. Le recours gracieux qu'elle a formé à l'encontre de cette décision le 2 février 2021 a été rejeté par une décision explicite du 30 mars suivant. Mme B... relève appel du jugement n° 2102097 du 26 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 8 décembre 2020 et demande à la cour qu'il soit enjoint au CHU de Rouen de la réintégrer dans ses fonctions antérieures.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si Mme B... a fait valoir en première instance, au soutien de son moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée, qu'il n'était pas établi que le délégataire principal ait été absent ou empêché à la date à laquelle la décision attaquée a été signée, c'est par une argumentation proportionnée à sa propre argumentation que le tribunal administratif de Rouen a écarté cet argument, en mentionnant que le signataire disposait " pour ce faire " d'une délégation régulièrement publiée de la directrice générale du CHU de Rouen. Si au soutien du même moyen Mme B... a également fait valoir que la délégation produite par le CHU de Rouen en défense excluait les sanctions disciplinaires, le tribunal administratif de Rouen a écarté cet autre argument en exposant au point 6 de son jugement, par des motifs précis et suffisants, que la décision attaquée ne revêtait pas cette qualification. Enfin, le tribunal administratif, en opposant au point 3 de son jugement que les décisions de mutation dans l'intérêt du service ne sont pas au nombre de celles qui doivent être obligatoirement motivées, a de la même manière suffisamment motivé son jugement en écartant le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée comme inopérant. Dès lors, à supposer même que Mme B... puisse être regardée comme soulevant l'irrégularité du jugement attaqué, les moyens tirés de ce que ce jugement est entaché d'insuffisances de motivation conduisant à des omissions à statuer doivent être écartés.

Sur le moyen tiré d'une sanction disciplinaire déguisée :

3. Si l'administration a le pouvoir de gérer les affectations de ses fonctionnaires en fonction des besoins du service, une mutation revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.

4. Il ressort des pièces du dossier que l'attitude et le comportement de Mme B... dans son service ont fait régulièrement l'objet de remarques et de réserves à partir de 2014. Cette année-là, un différend avec une de ses collègues a donné lieu à la rédaction d'un rapport circonstancié de sa hiérarchie, à un entretien de Mme B... avec le directeur des soins de l'établissement et à la décision de procéder à un changement de roulement. En avril 2017, plusieurs collègues de l'intéressée ont adressé des courriers à la direction pour dénoncer les difficultés relationnelles rencontrées avec elle ainsi que son manque de respect. Une altercation survenue entre Mme B... et une de ses collègues le 20 avril 2017 a nécessité l'intervention du cadre du service. Des faits similaires ont encore été rapportés par une autre collègue de travail de Mme B... en juin 2018, conduisant à l'établissement par sa hiérarchie d'un second rapport circonstancié le 18 octobre 2018, préconisant déjà un passage en équipe de jour. A compter de mars 2020, Mme B... ne s'est plus départie d'une attitude acrimonieuse à l'égard non seulement de ses collègues mais aussi de ses responsables hiérarchiques directs dont elle a systématiquement contesté les directives. En septembre 2020, est survenu un conflit sur les affectations dans les étages du service, Mme B... refusant de se soumettre aux affectations décidées par ses responsables et imposant ses choix à l'ensemble de son équipe, conduisant ainsi à des relations très dégradées au sein de celle-ci. Dans la nuit du 5 octobre 2020, elle a interpellé une nouvelle fois les cadres de nuit sur ce sujet lors d'un échange virulent, conduisant à l'établissement d'un troisième rapport circonstancié de sa hiérarchie préconisant toujours son affectation en équipe de jour.

5. Il résulte des faits exposés au point précédent qu'à la date de la décision attaquée, Mme B... doit être regardée comme ayant été à l'origine d'un dysfonctionnement de l'équipe à laquelle elle était intégrée, susceptible de nuire à la qualité du service et à celle des soins dispensés. Cette circonstance justifiait dès lors son affectation à d'autres fonctions, dans l'intérêt même du service. Si le courrier du 8 décembre 2020 que lui a adressé le directeur des ressources humaines et de la formation de l'établissement précisait également que son comportement était susceptible de faire l'objet d'une procédure disciplinaire, il ressort des pièces du dossier que le motif tenant à l'intérêt du service est à l'origine de la décision de la changer d'affectation, la direction ayant suivi en cela les préconisations constantes des responsables hiérarchiques directs de Mme B... depuis 2018. En outre, l'affectation à un poste de nuit ne constitue pas une prérogative qu'une aide-soignante tire de son statut, la perte des indemnités qui en résulte ayant au demeurant été compensée par la progression d'échelon de Mme B... survenu à la même période. Le poste auquel elle a été effectivement affectée à la suite de la décision attaquée correspond aux missions statutaires des aides-soignants, telles que celles-ci résultent des dispositions de l'article R. 4311-4 du code de la santé publique et du décret n° 2007-1188 du 3 août 2007, et elle ne subit donc pas de perte de responsabilité. Les considérations d'ordre personnel qu'elle invoque, tenant à la perturbation de sa vie privée du fait des modalités de garde partagée de son fils, sont sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Il en résulte qu'à la date à laquelle elle a été décidée, son affectation en équipe de jour ne peut être regardée ni comme procédant d'une intention répressive du CHU de Rouen, ni comme emportant une dégradation de sa situation professionnelle.

6. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient Mme B..., la décision du 8 décembre 2020 doit être regardée comme une décision d'affectation dans l'intérêt du service et non comme une sanction disciplinaire déguisée.

Sur les autres moyens :

7. En premier lieu, par décision n° 2019-5 du 2 janvier 2019, Mme G... H..., directrice générale du CHU de Rouen, a donné délégation à M. E... C..., directeur adjoint des ressources humaines et des formation, signataire de la décision attaquée, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de M. A... D..., directeur des ressources humaines et des formations, " tous les actes de gestion courante se rapportant à sa direction ". Cette délégation a été régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Seine-Maritime n° 76-2019-02 du 11 janvier 2019. Mme B... n'apporte aucun élément de nature à établir que M. D... n'aurait pas été absent ou empêché à la date de la décision attaquée. Si cette délégation exclut les " sanctions disciplinaires des groupes 2, 3 et 4 relevant du conseil de discipline ", il résulte de ce qui a été dit précédemment que la décision attaquée n'a pas le caractère d'une sanction disciplinaire mais d'une mutation dans l'intérêt du service, de telles décisions étant au nombre des " actes de gestion courante " pour lesquels la délégation a été consentie. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté comme manquant en fait.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; / 2° Infligent une sanction ; / 3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; /5° Opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ; / 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire ". Les décisions de mutation des fonctionnaires dans l'intérêt du service n'entrent dans aucune des catégories énoncées par les dispositions précitées et n'ont, par suite, pas à être obligatoirement motivées. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision du 8 décembre 2020, qui ainsi qu'il a été dit précédemment ne peut pas être regardée comme constituant une sanction disciplinaire déguisée, doit dès lors être écarté comme inopérant.

9. En troisième lieu, dès lors que la décision du 8 décembre 2020 doit être regardée comme constituant une mutation dans l'intérêt du service, les moyens tirés de ce que le CHU de Rouen aurait méconnu les garanties de la procédure disciplinaire et commis un détournement de pouvoir doivent être écartés.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par le CHU de Rouen, que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté l'ensemble de ses conclusions.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHU de Rouen, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu en revanche de mettre à la charge de celle-ci la somme que le CHU de Rouen demande au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du CHU de Rouen présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... B... et au centre hospitalier universitaire de Rouen.

Délibéré après l'audience publique du 6 février 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLa première vice-présidente de la cour,

Signé : M-P. Viard

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

Anne-Sophie VILLETTE

2

N°23DA00528


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00528
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : MINIER MAUGENDRE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;23da00528 ?
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