Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier " Bertinot Juel " de Chaumont-en-Vexin, d'une part, à lui verser une somme de 50 000 euros, majorée des intérêts au taux légal, en réparation de son préjudice lié à l'exposition à l'amiante et, d'autre part, à l'indemniser de ses préjudices liés à l'absence d'évolution de sa carrière au sein de l'établissement.
Par un jugement n° 2002472-2101828 du 8 décembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande et a mis à sa charge le versement au centre hospitalier " Bertinot Juel " de Chaumont-en-Vexin d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 7 février 2023, Mme B..., représentée par Me Ahmed Akaba, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le centre hospitalier " Bertinot Juel " de Chaumont-en-Vexin à lui verser une somme de 50 000 euros, majorée des intérêts au taux légal, en réparation de son préjudice lié à l'exposition à l'amiante ;
3°) de condamner le centre hospitalier " Bertinot Juel " de Chaumont-en-Vexin à lui verser une somme de 100 000 euros, majorée des intérêts au taux légal, en réparation de ses préjudices liés à l'absence d'évolution de sa carrière au sein de l'établissement ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier " Bertinot Juel " de Chaumont-en-Vexin le paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est compétente ;
- sa requête est recevable dès lors qu'elle a préalablement lié le contentieux ;
- le centre hospitalier " Bertinot Juel " a manqué à son obligation de préservation de la sécurité de ses agents en l'exposant à l'amiante ; en effet, la chambre de garde utilisée par les médecins a été exposée à des poussières d'amiante lors des travaux de désamiantage qui ont été réalisés dans l'établissement fin 2017 ; l'étude du cabinet " ATEK Conseil " dont se prévaut l'établissement ne suffit pas à apporter la preuve contraire ; la direction de l'établissement a refusé l'utilisation d'un autre logement ; elle a développé des symptômes pulmonaires ; elle est, dès lors, fondée à demander une indemnité de 50 000 euros au titre du préjudice subi ;
- le centre hospitalier " Bertinot Juel " a commis une faute en la privant d'une évolution significative de carrière ; en effet, ses contrats de travail ont été établis en méconnaissance des articles R. 6152-402 et R. 6152-403 du code de la santé publique ; aucun poste de praticien hospitalier ne lui a été proposé malgré la réussite du concours, ce qui l'a conduite à en perdre le bénéfice ; des missions qu'elle assurait en toute conscience professionnelle et sans qu'aucun manquement ne puisse lui être reproché lui ont été retirées ; c'est l'absence de toute perspective d'évolution professionnelle qui l'a contrainte à la démission ; contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle avait lié le contentieux sur ce point dans sa demande préalable ; dès lors qu'elle chiffre son préjudice à 100 000 euros dans le cadre de la présente instance d'appel, la fin de non-recevoir soulevée en première instance par l'établissement ne peut plus être accueillie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2023, le centre hospitalier " Bertinot Juel " de Chaumont-en-Vexin, représenté par Me Frédéric Brazier, conclut au rejet de la requête d'appel et à ce que le versement d'une somme de 3 000 euros soit mis à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête d'appel est irrecevable à défaut d'être accompagnée de la copie du jugement attaqué ;
- la requête déposée devant le tribunal administratif d'Amiens le 21 mai 2021 était tardive et, par suite, irrecevable ;
- les demandes indemnitaires présentées par Mme B... sont tardives pour avoir été présentées au-delà d'une durée d'un an suivant leurs faits générateurs ;
- la demande d'indemnisation du préjudice de carrière est irrecevable pour n'avoir pas été présentée à l'établissement avant l'introduction du recours devant le tribunal et pour n'avoir pas été chiffrée dans ce recours ; Mme B... n'a pu régulariser cette cause d'irrecevabilité en chiffrant sa demande pour la première fois en appel ;
- en tout état de cause, l'établissement n'a commis aucune faute dans le déroulement de la carrière de Mme B... ; en effet, celle-ci ne précise pas clairement la nature des illégalités qu'il aurait commises non plus que la nature des incidences qu'elles auraient eues sur sa situation ; l'établissement lui a offert une progression tant dans les statuts occupés que dans ses échelons ; il lui a proposé un poste de praticien hospitalier qu'elle a refusé ; il a accédé à la demande d'exercer à temps partiel dont elle l'avait saisie ;
- l'établissement n'a pas exposé Mme B... à l'amiante, cette dernière n'apporte d'ailleurs ni la preuve des préjudices qu'elle invoque, ni celle du lien de causalité avec les travaux de désamiantage réalisés dans l'établissement ; en effet, ces travaux ont été réalisés par une entreprise spécialement qualifiée à cet effet ; le plan de retrait a été transmis aux autorités compétentes ; le suivi du déroulement des travaux a été confié à un organisme spécialisé ; les prélèvements ont été effectués par un laboratoire agréé ; il en ressort que la chambre de garde du 3ème étage utilisée par les médecins n'a pas été affectée par des poussières d'amiante ; Mme B... n'apporte pas la preuve des affections qu'elle dit avoir contractées ; elle ne l'a d'ailleurs jamais saisi d'une demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail.
Par ordonnance du 12 septembre 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 13 octobre 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., médecin, a exercé au sein du centre hospitalier " Bertinot Juel " de Chaumont-en-Vexin (Oise) depuis le mois de décembre 2000, en dernier lieu sous le statut de praticien attaché contractuel. Par un courrier du 20 janvier 2018, elle a présenté sa démission, laquelle a pris effet le 30 avril suivant. Elle relève appel du jugement n° 2002472-2101828 du 8 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à ce que le centre hospitalier soit condamné à l'indemniser, d'une part, des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son exposition à l'amiante et, d'autre part, de ceux résultant de l'absence d'évolution de sa carrière au sein de l'établissement.
Sur les conclusions indemnitaires relatives à son préjudice de carrière :
2. Si Mme B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, dans ses requêtes introductives d'instance, de condamner le centre hospitalier " Bertinot Juel " à l'indemniser du préjudice de carrière qu'elle estime avoir subi au cours de son exercice professionnel dans l'établissement, elle n'a pas chiffré ses conclusions. Ses conclusions n'étaient pas davantage chiffrables avec certitude par la seule application d'un texte. Alors qu'elle a reçu communication, les 17 mai 2021 et 7 septembre 2022, des mémoires en défense du centre hospitalier " Bertinot Juel " opposant une fin de non-recevoir pour ce motif, Mme B... n'a, en réplique, toujours pas précisé le montant du préjudice qu'elle estime avoir subi. Il s'ensuit que ses conclusions étaient irrecevables et qu'elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif les a rejetées pour ce motif. En outre, si Mme B... chiffre son préjudice à 100 000 euros pour la première fois devant la cour, ces conclusions, nouvelles en appel, ne sont pas plus recevables, ainsi que le fait valoir le centre hospitalier " Bertinot Juel " en défense. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres fins de non-recevoir opposées en défense, les conclusions tendant à ce que le centre hospitalier soit condamné à lui verser 100 000 euros au titre du préjudice de carrière qu'elle estime avoir subi doivent, en tout état de cause, être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires relatives à l'exposition à l'amiante :
3. Aux termes de l'article L. 4111-1 du code du travail : " (...) les dispositions de la présente partie sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'aux travailleurs. / Elles sont également applicables : / (...) / 3° Aux établissements de santé, sociaux et médico-sociaux mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ". Aux termes de l'article L. 4121-1 du même code : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ". Aux termes de l'article R. 4412-100 du même code : " La concentration moyenne en fibres d'amiante, sur huit heures de travail, ne dépasse pas dix fibres par litre. Elle est contrôlée dans l'air inhalé par le travailleur ". Aux termes de l'article R. 4412-101 du même code : " L'employeur s'assure du respect de la valeur limite d'exposition professionnelle pour l'ensemble des travailleurs exposés, compte tenu de l'évaluation des risques ".
4. Il résulte de l'instruction que le centre hospitalier " Bertinot Juel " a fait réaliser, à compter du dernier trimestre de l'année 2017, des travaux de désamiantage au premier et au deuxième étage du bâtiment principal de l'établissement. Mme B... soutient que la chambre de garde utilisée par les médecins pendant leur service a de ce fait nécessairement été exposée à des poussières d'amiante et que l'établissement n'a pas pris les mesures de prévention nécessaires, refusant même de mettre à disposition d'autres solutions d'hébergement. Toutefois, il résulte de l'instruction que la chambre de garde mise à disposition des médecins est située au troisième étage du bâtiment, lequel n'a pas été directement concerné par les travaux. Les travaux réalisés aux deux étages inférieurs l'ont été par une entreprise spécialement qualifiée à cet effet, suivant un mode opératoire visant à prévenir la diffusion des poussières hors de la zone d'intervention. Le plan de retrait a été transmis aux autorités compétentes et le suivi du déroulement des travaux a été confié à un organisme spécialisé. A la suite des signalements effectués par Mme B... et un autre médecin, l'établissement a fait procéder à un prélèvement par un laboratoire agréé le 28 novembre 2017, à un lessivage des murs de la chambre de garde par l'équipe de bio-nettoyage le 10 janvier 2018, à une visite d'un médecin hygiéniste du centre hospitalier de Beauvais le 11 janvier 2018 et, le même jour, à un autre prélèvement par un laboratoire désigné par le médecin du travail. Bien que tous les résultats soient revenus conformes aux normes applicables, la direction de l'établissement a proposé des solutions alternatives aux médecins qui ne souhaitaient pas utiliser la chambre de garde, sans que Mme B... n'établisse leur caractère inapproprié. Enfin, si Mme B... soutient avoir développé des symptômes respiratoires à partir de cette période, elle ne l'établit par aucun document médical et il ne résulte pas de l'instruction qu'elle ait alors bénéficié d'arrêts de travail ou ait adressé à l'établissement une déclaration de maladie professionnelle ou d'accident de service.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le centre hospitalier " Bertinot Juel " a manqué à ses obligations de sécurité et à demander qu'il soit condamné à l'indemniser de ses prétendus préjudices liés à son exposition à l'amiante. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier " Bertinot Juel ", qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, au titre des mêmes dispositions, de mettre à la charge de cette dernière le versement au centre hospitalier " Bertinot Juel " de la somme de 2 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Mme B... versera au centre hospitalier " Bertinot Juel " une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au centre hospitalier " Bertinot Juel " de Chaumont-en-Vexin.
Délibéré après l'audience publique du 6 février 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 février 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLa première vice-présidente de la cour,
Signé : M-P. Viard
La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
Anne-Sophie VILLETTE
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N°23DA00228