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15/02/2024 | FRANCE | N°23DA01192

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 15 février 2024, 23DA01192


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 2 mai 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixation du pays de renvoi.



Par un jugement n° 2304110 du 24 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le Maroc comme pays de destination de la mesure d'éloignement et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.



Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 juin 2023, le préfet du Nord, représen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du préfet du Nord du 2 mai 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixation du pays de renvoi.

Par un jugement n° 2304110 du 24 mai 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le Maroc comme pays de destination de la mesure d'éloignement et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 juin 2023, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il annule la décision fixant le pays de destination et qu'il condamne l'Etat à verser la somme de 900 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- il pouvait fixer le Maroc comme pays de destination alors même qu'une procédure d'extradition à destination de ce pays était en cours, les deux procédures étant indépendantes ;

- la décision fixant le pays de destination ne méconnait pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision ne méconnaît pas non plus l'article 8 de cette convention ;

- aucun des autres moyens de première instance n'est fondée.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 septembre 2023, M. A..., représenté par Me Dominique Tricaud conclut au rejet de la requête, à l'annulation, par la voie de l'appel incident, du jugement du 24 mai 2023 en ce qu'il a rejeté ses demandes d'annulation des décisions du 2 mai 2023 par lesquels le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français et lui a refusé un délai de départ volontaire et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la fixation du Maroc comme pays de destination constitue un détournement de la procédure d'extradition ;

- la décision fixant le pays de destination méconnait le principe du contradictoire, tel qu'il est issu de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union ;

- cette décision est également entachée d'erreur de fait ;

- elle méconnait également les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnait le principe du contradictoire, tel qu'il est issu de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union ;

- la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.

Par une ordonnance du 21 décembre 2023, la clôture a été fixée au 20 janvier 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- et les observations de Me Nicolas Rannou, représentant le préfet du Nord et de Me Laure Barbé représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Par un arrêté du 2 mai 2023, le préfet du Nord a obligé M. A..., ressortissant marocain, à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi de destination de cette mesure d'éloignement et a interdit son retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans. Par un jugement du 24 mai 2023, le tribunal administratif de Lille, saisi par M. A..., a annulé la décision fixant le pays de renvoi en tant qu'elle fixe le Maroc comme pays de destination et a rejeté les conclusions d'annulation des autres décisions contenues dans l'arrêté du 2 mai 2023. Le préfet du Nord relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de renvoi. M. A..., par la voie de l'appel incident relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses autres demandes.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une décision de mise en œuvre d'une décision prise par un autre État, d'une interdiction de circulation sur le territoire français, d'une décision d'expulsion, d'une peine d'interdiction du territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire français ". Aux termes de l'article L. 721-4 du même code : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 696-1 du code de procédure pénale : " Le gouvernement français peut remettre, sur leur demande, aux gouvernements étrangers, toute personne n'ayant pas la nationalité française qui, étant l'objet d'une poursuite intentée au nom de l'Etat requérant ou d'une condamnation prononcée par ses tribunaux, est trouvée sur le territoire de la République. ". Aux termes de l'article 696-17 du même code : " Si l'avis motivé de la chambre de l'instruction repousse la demande d'extradition et que cet avis est définitif, l'extradition ne peut être accordée. / La personne réclamée, si elle n'est pas détenue pour une autre cause, est alors mise d'office en liberté. " et aux termes de l'article 696-41 de ce code : " Dans le cas où, l'extradition d'un étranger ayant été obtenue par le gouvernement français, le gouvernement d'un pays tiers sollicite à son tour du gouvernement français l'extradition du même individu à raison d'un fait antérieur à l'extradition, autre que celui jugé en France, et non connexe à ce fait, le Gouvernement ne défère, s'il y a lieu, à cette requête qu'après s'être assuré du consentement du pays par lequel l'extradition a été accordée. ".

4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été extradé à la demande du gouvernement français avec l'accord du gouvernement belge. Il a été condamné le 6 mars 2017 par le tribunal correctionnel de Nancy à une peine de dix ans d'emprisonnement. Les autorités marocaines ont demandé son extradition et il a été placé alors qu'il était libérable, sous écrou extraditionnel le 3 mai 2023. Il ressort également d'une ordonnance du 28 août 2023 de la chambre des référés pour les affaires civiles du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, section civile, que le ministre belge de la justice a invité le ministre de la justice français à demander aux autorités marocaines des garanties plus précises sur l'incarcération et la possibilité de faire opposition à la condamnation prononcée dans ce pays à l'encontre de M. A... ainsi que de l'absence de prescription de l'action publique. Cette ordonnance précise que le 7 juillet 2023 puis le 27 juillet 2023, les autorités belges n'avaient pas obtenu de réponse des autorités marocaines malgré leurs relances sur ces points. Il résulte de ces éléments que le Gouvernement français ne peut déférer à la demande d'extradition formulée par les autorités marocaines tant que les autorités belges n'y ont pas consenti et que par suite, il ne peut remettre M. A... aux autorités marocaines tant que la procédure d'extradition est pendante.

5. Néanmoins, la suspension de cette procédure d'extradition à destination du Maroc ne fait pas obstacle à ce que pour l'application de l'obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre de M. A..., le préfet fixe comme pays de destination son pays d'origine, les deux procédures relevant de législations distinctes et répondant à des objectifs différents, sous réserve que cette décision n'expose pas l'étranger concerné à des risques pour sa vie ou sa liberté ou à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Toutefois, au titre de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le groupe de travail sur la détention arbitraire du conseil des droits de l'homme de l'Assemblée générale des Nations unies a, lors de sa session du 22 au 26 août 2016, rendu un avis estimant que l'arrestation et la détention de M. B..., principal accusateur de M. A... selon lui, sont arbitraires. Par ailleurs, M. A... soutient qu'il peut être condamné à mort au Maroc. Il est constant que la peine de mort n'a pas été abolie au Maroc même si ce pays a adopté, en pratique, un moratoire en la matière depuis 1993. La seule circonstance que M. A... ait déjà été condamné, le 22 février 2017, par contumace, à dix ans d'emprisonnement par la cour d'appel de Rabat, ne suffit pas à démontrer, contrairement à ce qu'allègue le préfet dans sa requête, que l'intéressé ne pourrait pas faire l'objet d'une nouvelle condamnation, le Maroc demandant justement son extradition pour qu'il soit remis aux autorités judiciaires de ce pays. Enfin, si l'intéressé a dans un courrier du 29 septembre 2020 demandé que soit pris à son encontre une obligation de quitter le territoire français à direction du Maroc, cette demande ne suffit pas à démontrer l'absence de risques, à la date de la décision contestée en cas de retour au Maroc. Le préfet n'apporte aucun autre élément allant à l'encontre des assertions de M. A... et de nature à démontrer que les risques pour sa vie ou sa sécurité dont il fait état ne sont pas avérés. Dans ces conditions, il n'est pas établi que la décision fixant le pays de destination ne porte pas atteinte aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le préfet du Nord n'est donc pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Lille ait annulé cette décision.

Sur l'appel incident de M. A... :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

7. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Si l'article 41 de la charte s'adresse non pas aux États membres, mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l'Union européenne, le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne

8. M. A... se borne à faire valoir qu'il n'a pu présenter ses observations dès lors qu'il était en détention et n'a pu pour les mêmes raisons produire des justificatifs. Toutefois, il n'apporte aucun élément de nature à démontrer que son incarcération l'empêchait de faire valoir par écrit son point de vue comme de se procurer des documents, outre qu'il a été entendu par les services de police le 10 mars 2023, préalablement à la décision contestée. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

En ce qui concerne le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

9. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré par la voie de l'exception de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

Sur les frais liés aux instances :

10. Le préfet demande l'annulation de la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 900 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il résulte de ce qui précède que le présent arrêt confirmant l'annulation partielle décidée par le tribunal administratif, M. A... n'est partie pas perdante et il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce d'annuler la mise à la charge de l'Etat de la somme de 900 euros à verser à M. A....

11. Pour les mêmes motifs, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. A... au titre des frais liés à l'instance d'appel et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet du Nord est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 1er février 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2024.

Le rapporteur,

D. Perrin La présidente de la 1ère chambre,

G. Borot

La greffière,

N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

2

N°23DA01192


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01192
Date de la décision : 15/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : TRICAUD AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-15;23da01192 ?
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