Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... E... et sa mère Mme C... B... divorcée E... ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser une somme de 383 332,25 euros au titre de leurs préjudices.
La requête a été transmise au tribunal administratif de Lille par ordonnance du 12 avril 2019.
Par un jugement n° 1903277 du 15 juin 2022, le tribunal administratif de Lille a mis hors de cause le centre hospitalier régional universitaire de Lille et a rejeté la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 juillet, 8 septembre 2022 et 31 mars 2023, Mme D... E... et Mme C... B..., représentées par Me Olivier Gilliard, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'ONIAM à leur verser la somme totale de 383 332,25 euros soit 299 183,30 euros pour Mme D... E... et 84 148,95 euros pour Mme C... B... ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elles soutiennent que :
- Mme D... E... a été victime d'un accident non fautif engageant la responsabilité de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale dès lors que sa prise en charge au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille a eu pour elle des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui au sens du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;
- elles doivent être indemnisées des préjudices résultant de cet accident médical.
Par un mémoire, enregistré le 13 octobre 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Sylvie Welsh, demande à la cour de rejeter la requête.
Il fait valoir que les douleurs abdominales associées à des troubles du transit survenues à la suite de l'iléo colectomie réalisée le 8 août 2012 ne constituent pas des conséquences anormales au sens du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et que les conditions ouvrant droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies.
Par un mémoire, enregistré le 30 mars 2023, le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Lille, représenté par la société d'avocats Le Prado-Gilbert, demande à la cour de le mettre hors de cause.
Il fait valoir qu'aucune faute n'a été commise dans la prise en charge de Mme E....
Par une ordonnance du 6 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... E..., née en 1997, est atteinte depuis l'année 2008 de la maladie de Crohn, qui se caractérise par une inflammation du tube digestif. La persistance de cette pathologie et la perte de poids qu'elle entraîne ont nécessité de procéder au CHRU de Lille, le 8 août 2012, à une résection iléo caecale de 37,5 centimètres avec anastomose colique droite qui consiste à enlever la partie infectée de l'intestin grêle, puis à rétablir le circuit digestif de l'adolescente en raccordant deux organes. Les suites de l'intervention ont été compliquées par l'apparition d'une péritonite occasionnée par le lâchage de l'anastomose, ayant nécessité une nouvelle opération le 11 août 2012, puis le 13 août 2012 en raison de la survenance d'un abcès de la paroi abdominale. Autorisée à rejoindre son domicile le 25 août suivant, Mme E... a été conduite aux urgences pédiatriques du CHRU de Lille le 7 septembre 2012 en raison de douleurs abdominales et de vomissements causées par un abcès et un syndrome occlusif de l'intestin grêle. Elle a alors été hospitalisée afin de traiter l'occlusion, l'abcès et mettre en place une antibiothérapie. Ces traitements ne donnant pas satisfaction, Mme E... a fait l'objet d'une intervention chirurgicale le 3 octobre 2012 afin de procéder à une nouvelle résection iléo caecale de 30 centimètres avec anastomose. Les suites de cette intervention ont été compliquées par l'apparition d'un large abcès de paroi communicant avec la cavité péritonéale responsable d'une nouvelle péritonite nécessitant un drainage et l'administration d'une antibiothérapie. En outre, entre le 19 et le 22 octobre 2012, trois fistules entéro-cutanées ont été découvertes justifiant, le 26 octobre 2012, la mise en place d'une voie veineuse centrale pour nutrition parentérale, qui consiste à alimenter l'adolescente en injectant les nutriments directement dans son circuit sanguin. Mme E... a également bénéficié d'une iléostomie afin d'éviter que les selles atteignent la partie infectée de l'intestin. Le 6 novembre 2012, il a été diagnostiqué une pancréatite, traitée par voie médicamenteuse. Autorisée à rejoindre son domicile le 27 décembre 2012, elle a été à nouveau opérée, le 26 mars 2013, d'une résection iléo caecale de 5 centimètres avec anastomose. Une reprise chirurgicale a été faite le 28 mars 2013 pour éviscération péri stomiale et évacuation d'un hématome. Mme E... a été admise du 8 au 10 mai 2013 dans le service de gastro-entérologie pédiatrique du CHRU de Lille en raison du débit trop rapide de l'iléostomie qui lui faisait courir un risque de déshydratation. Il a été mis fin à l'iléostomie le 28 mai 2013, ce qui a permis à la patiente de retrouver temporairement un circuit digestif naturel. Du 16 décembre 2013 au 1er janvier 2014, elle a de nouveau été admise au CHRU de Lille en raison de douleurs abdominales qui ont conduit à la mise en place d'une nutrition parentérale exclusive pendant quelques mois. Mme E..., dont l'état de santé est consolidé depuis le 24 décembre 2014, continue à souffrir de douleurs abdominales justifiant la prise d'un traitement antalgique et nécessite une alimentation parentérale nocturne.
2. Les parents de D... E..., qui était alors mineure, ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) par courrier du 5 mars 2015 aux fins d'obtenir l'indemnisation amiable, par le CHRU de Lille, des préjudices subis par leur fille. La CCI a confié une mission d'expertise aux docteurs Jacques Rautureau, gastro-entérologue, et Alain Faye, chirurgien viscéral et digestif. Le rapport des experts, qui concluent à l'existence d'un accident médical non fautif auquel ils imputent 50% des dommages subis, a été déposé le 13 novembre 2015. La CCI, par un avis du 15 décembre 2015, a retenu l'existence d'un accident médical non fautif et a estimé que la réparation des préjudices incombait à l'ONIAM à hauteur de 50% des dommages subis. Par courrier du 22 avril 2016, l'ONIAM a cependant refusé de formuler une offre d'indemnisation estimant que les conditions d'une indemnisation par la solidarité nationale n'étaient pas remplies. Mme D... E... et sa mère, Mme C... B... divorcée E..., relèvent appel du jugement n° 1903277 du 15 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'ONIAM à indemniser leurs préjudices.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) II. - Lorsque la responsabilité d'un (...) établissement, (...) n'est pas engagée, (...) un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, (...) au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. . / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès. Une probabilité de survenance du dommage qui n'est pas inférieure ou égale à 5 % ne présente pas le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction, que Mme E..., à la suite de l'intervention chirurgicale du 8 août 2012, a subi une péritonite nécessitant plusieurs opérations ayant abouti à la mise en place d'une nutrition parentérale très contraignante, constitutive d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 50 % dont 25 % est lié à son état antérieur. Ainsi, le dommage présente un caractère de gravité au sens des dispositions citées au point 3.
6. En deuxième lieu, il résulte du rapport d'expertise du 13 novembre 2015 que la péritonite apparue dans les suites de l'opération du 8 août 2012 trouve son origine dans la réalisation d'un risque inhérent à l'anastomose. Mme E... étant atteinte par la maladie de Crohn depuis l'année 2008, cette pathologie, selon les conclusions du rapport du Dr A..., chirurgien viscéral, rédigé à la demande de l'ONIAM et qui a été communiqué aux parties, faisait courir des risques de péritonite, d'occlusion, de fistules et d'infection généralisée du système digestif pouvant mettre en jeu le pronostic vital de la patiente. Ainsi, les conséquences dommageables apparues après l'intervention chirurgicale du 8 août 2012 ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles la patiente était exposée de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.
7. En dernier lieu, il résulte du rapport d'expertise du 13 novembre 2015 que le risque de survenance d'une complication telle que la péritonite représente, pour une personne porteuse de la maladie de Crohn, une fréquence de 5 à 9 % et ne présente, dès lors, pas le caractère d'une probabilité faible. Dans ces conditions, l'accident médical subi par Mme D... E... ne remplit pas la condition d'anormalité prévue par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. Par suite, Mme E... et sa mère ne sont pas fondées à solliciter l'indemnisation par l'ONIAM de leurs préjudices au titre de la solidarité nationale.
8. Il résulte de tout ce qui précède que les appelantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande. Par suite, leurs conclusions indemnitaires doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'ONIAM qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En outre, aucun dépens n'ayant été exposé au cours de la présente instance, les conclusions présentées par les appelantes tendant à leur remboursement doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... E... et de Mme C... B... divorcée E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., à Mme C... B... divorcée E... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera transmise au centre hospitalier régional universitaire de Lille et à la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut.
Délibéré après l'audience publique du 23 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLa présidente de chambre,
Signé : M.P. Viard
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
Anne-Sophie VILLETTE
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N°22DA01577