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23/01/2024 | FRANCE | N°23DA00664

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 23 janvier 2024, 23DA00664


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de diligenter diverses mesures d'instruction avant dire droit et notamment d'ordonner une expertise médicale, d'annuler l'arrêté du 7 octobre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné, d'enjoindre sous astreinte à ce dernier de lu

i délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen de diligenter diverses mesures d'instruction avant dire droit et notamment d'ordonner une expertise médicale, d'annuler l'arrêté du 7 octobre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné, d'enjoindre sous astreinte à ce dernier de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou de procéder à un réexamen de sa situation et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2204765 du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 7 octobre 2022 du préfet de la Seine-Maritime, a enjoint à ce préfet ou à tout préfet territorialement compétent de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour, a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. B... d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 avril 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la requête de M. B... présentée en première instance.

Il soutient que :

- les documents médicaux produits en première instance par M. B... ne sont pas de nature à infirmer le sens de l'avis rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;

- ils n'établissent ni que le défaut de prise en charge de l'état de santé de M. B... pourrait emporter des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni qu'il ne pourrait pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;

- dès lors, c'est à tort que les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'ils ont annulé l'arrêté attaqué ;

- aucun des autres moyens soulevés en première instance par M. B... n'est fondé, ainsi qu'il l'a fait valoir dans son mémoire en défense transmis au tribunal.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 28 juin 2023 et 9 août 2023, M. B..., représenté par Me Vincent Souty :

1°) conclut à titre principal au rejet de la requête d'appel du préfet de la Seine-Maritime et à la confirmation du jugement attaqué ;

2°) réitère à titre subsidiaire ses conclusions de première instance tendant, avant dire droit, à ce que diverses mesures d'instruction soient diligentées et une expertise médicale ordonnée ainsi que ses conclusions à fin d'annulation, d'injonction et d'astreinte ;

3°) demande en tout état de cause que l'Etat verse à son conseil une somme de 1 600 euros au titre de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 ou qu'il lui verse directement une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête d'appel du préfet de la Seine-Maritime est irrecevable pour ne comporter aucune critique des motifs du jugement attaqué ;

- il appartient à la juridiction, dans le cadre de ses pouvoirs d'instruction, de solliciter la communication des éléments sur lesquels le collège des médecins de l'OFII et le médecin rapporteur se sont fondés ;

- il est affecté d'une pathologie psychiatrique grave, dont le défaut de prise en charge l'exposerait à des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; un retour dans son pays d'origine emporterait une rupture du lien thérapeutique noué avec succès avec les praticiens qui le suivent en France ; aucune prise en charge comparable ne peut être mise en place dans son pays où les traitements ne sont pas disponibles, où il n'existe pas de praticiens équivalents et où il ne pourrait exposer ses difficultés liées à son homosexualité dès lors que celle-ci reste pénalement réprimée ; c'est dès lors à raison que les premiers juges ont retenu que l'arrêté attaqué méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé, notamment en tant qu'il fixe le pays à destination duquel il devrait être éloigné dès lors qu'il appartenait au préfet d'indiquer en quoi sa vie ou sa sécurité ne serait pas menacée en cas de retour dans son pays d'origine ;

- il a été pris au terme d'une procédure irrégulière dès lors que le rapport adressé au collège des médecins de l'OFII par le médecin rapporteur le 27 janvier 2022 est irrégulier en l'absence d'information concernant le défaut de prise en charge médicale et la gravité de ses troubles psychiatriques ;

- il a été pris au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'est pas établi que le rapport du médecin rapporteur ait été effectivement communiqué au collège des médecins de l'OFII ;

- il a été pris au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'avis du collège des médecins de l'OFII ne précise pas s'il a été rendu après une délibération collégiale ou s'il résulte de l'addition arithmétique des avis de chacun des membres du collège ;

- il procède d'un défaut d'examen sérieux dès lors que le préfet n'a pas tenu compte de son état de santé dégradé, de l'absence de possibilité d'accès aux soins dans le pays d'origine, du lien entre les événements vécus au pays et la pathologie et de son risque d'être persécuté en cas de retour en raison de son orientation sexuelle ;

- il méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que sa pathologie et les risques auxquels l'expose son orientation sexuelle en cas de retour dans son pays d'origine caractérisent une situation humanitaire et exceptionnelle justifiant une admission exceptionnelle au séjour ;

- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que, du fait de son orientation sexuelle, il ne pourra jamais pleinement vivre sa vie privée dans son pays d'origine ;

- il a été pris au terme d'une procédure irrégulière dès lors qu'il n'est pas établi que le collège des médecins de l'OFII a vérifié qu'il pouvait voyager sans risque vers son pays d'origine ;

- il méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il est atteint d'une pathologie dont le défaut de prise en charge l'expose à des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il ne pourra pas effectivement bénéficier d'une prise en charge appropriée dans son pays d'origine ;

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il est exposé à des risques pour sa sécurité en cas de retour dans son pays d'origine du fait de la pathologie dont il est atteint mais aussi de son homosexualité, laquelle demeure pénalement réprimée.

Par courrier enregistré le 31 mai 2023, M. B... a, en application de la décision du Conseil d'Etat du 28 juillet 2022 n° 441481, confirmé sa volonté de lever le secret médical.

Le dossier médical de M. B... a été produit par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) le 12 juin 2023 et l'OFII a présenté des observations qui ont été enregistrées le 8 août 2023.

Par une ordonnance en date du 12 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 octobre 2023 à 12 heures.

M. B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mai 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions, prévues à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., né le 22 juin 1995, de nationalité camerounaise, est selon ses déclarations entré irrégulièrement en France le 13 septembre 2017 pour y solliciter l'asile. Sa demande a été successivement rejetée par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 29 août 2018 puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 15 novembre 2019. Sa demande de réexamen de sa demande d'asile a été à nouveau rejetée successivement par le directeur général de l'OFPRA le 31 décembre 2019 puis par la CNDA le 31 décembre 2020. Le 17 septembre 2021, M. B... a sollicité son admission au séjour pour des motifs tenant à son état de santé. Par un arrêté du 7 octobre 2022, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement n° 2204765 du 30 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen, saisi par M. B..., a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à l'intéressé une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ".

Sur la recevabilité de la requête d'appel du préfet de la Seine-Maritime :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicables à l'introduction de l'instance d'appel en vertu des dispositions de l'article R. 811-13 du même code : " La juridiction est saisie par requête. (...) Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

3. Il ressort des énonciations de la requête enregistrée au greffe de la cour le 12 avril 2023 que, pour demander l'annulation du jugement du 30 mars 2023 du tribunal administratif de Rouen prononçant l'annulation de son arrêté du 7 octobre 2022 et, par voie de conséquence, le rejet des conclusions de première instance de M. B..., le préfet de la Seine-Maritime conteste la force probante des pièces que l'intéressé avait produites en première instance et soutient que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur celles-ci pour accueillir le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. B... n'est dès lors pas fondé à soutenir que la requête d'appel du préfet est irrecevable pour ne comporter aucun moyen. La fin de non-recevoir qu'il oppose en ce sens en défense doit donc être écartée.

Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

4. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée à l'étranger se prévalant de motifs de santé si deux conditions cumulatives sont remplies : d'une part, l'état de santé du demandeur doit nécessiter une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et, d'autre part, il doit être justifié que le demandeur ne peut pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

5. Pour l'appréciation de la condition des conséquences d'une exceptionnelle gravité résultant d'un défaut de prise en charge, l'article 4 de l'arrêté du 5 janvier 2017 visé ci-dessus du ministre de la santé dispose que : " (...) / Cette condition (...) doit être regardée comme remplie chaque fois que l'état de santé de l'étranger concerné présente, en l'absence de la prise en charge médicale que son état de santé requiert, une probabilité élevée à un horizon temporel qui ne saurait être trop éloigné de mise en jeu du pronostic vital, d'une atteinte à son intégrité physique ou d'une altération significative d'une fonction importante. / Lorsque les conséquences d'une exceptionnelle gravité ne sont susceptibles de ne survenir qu'à moyen terme avec une probabilité élevée (pathologies chroniques évolutives), l'exceptionnelle gravité est appréciée en examinant les conséquences sur l'état de santé de l'intéressé de l'interruption du traitement dont il bénéficie actuellement en France (rupture de la continuité des soins). Cette appréciation est effectuée en tenant compte des soins dont la personne peut bénéficier dans son pays d'origine ". La condition tenant à ce que le demandeur ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine s'apprécie, quant à elle, au regard de l'offre de soins et des caractéristiques du système de santé dans le pays dont le demandeur est originaire. L'article 3 de l'arrêté du 5 janvier 2017 visé ci-dessus du ministre de la santé précise à cet égard que : " (...) / L'offre de soins s'apprécie notamment au regard de l'existence de structures, d'équipements, de médicaments et de dispositifs médicaux, ainsi que de personnels compétents nécessaires pour assurer une prise en charge appropriée de l'affection en cause. / L'appréciation des caractéristiques du système de santé doit permettre de déterminer la possibilité ou non d'accéder effectivement à l'offre de soins et donc au traitement approprié. / (...) ".

6. En outre, le préfet statue au vu, notamment, de l'avis rendu par un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération cet avis médical. Si le demandeur entend en contester le sens, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'OFII, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.

7. En l'espèce, à l'appui de sa demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, M. B..., qui a accepté de lever le secret relatif aux informations médicales le concernant par un courrier enregistré au greffe de la cour le 31 mai 2023, s'est prévalu de ce qu'il fait l'objet d'un suivi pour un syndrome de stress post-traumatique. Par son avis en date du 27 janvier 2022, le collège des médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité et que son état de santé lui permet en tout état de cause de voyager sans risque. Pour contester cette appréciation, M. B... se prévaut des constatations et analyses des praticiens médicaux et paramédicaux qui assurent son suivi, de ce qu'un retour dans son pays d'origine emporterait une rupture du lien thérapeutique noué avec succès avec eux et de ce qu'aucune prise en charge comparable ne peut être mise en place au Cameroun où les traitements ne sont pas disponibles, où il n'existe pas de praticiens équivalents et où il ne pourrait exposer sa situation relativement à son homosexualité dès lors que celle-ci y reste pénalement réprimée.

8. Il ressort des pièces du dossier que M. B... présente un trouble de stress post-traumatique, avec des symptômes de dissociation et de déréalisation ainsi que des hallucinations. Il est répertorié, au titre des antécédents, deux hospitalisations en psychiatrie en janvier 2018 et novembre 2018 ainsi qu'une tentative de suicide par précipitation. M. B... fait l'objet d'un suivi régulier par l'équipe pluridisciplinaire du pôle de psychiatrie du centre hospitalier du Rouvray, qu'il a consultée à 128 reprises entre janvier 2018 et novembre 2021, ainsi que d'un traitement médicamenteux associant trois psychotropes. Il ressort des attestations circonstanciées établies par la psychiatre et la psychologue assurant le suivi de M. B... qu'il présente toujours, malgré sa prise en charge, des fluctuations de l'humeur, des idées suicidaires fluctuantes, un sommeil perturbé, des hallucinations lors de stress importants, une désorganisation et des troubles de la concentration et mnésiques. Elles indiquent également que lors d'épisodes précédents de rupture de traitement, intervenus dans un contexte de défaut d'accès aux soins, elles ont constaté une recrudescence anxio-délirante très rapide et qu'il existe un risque auto-agressif avec passage à l'acte. Si l'OFII fait valoir dans ses observations devant la cour que de tels développements ne sont pas typiques et habituels pour un patient atteint d'un trouble de stress post-traumatique, il n'avance néanmoins aucune considération se rapportant à l'état personnel de M. B... de nature à infirmer les constatations précitées des praticiens qui assurent son suivi.

9. Si les risques auxquels est exposé M. B... en cas de rupture de soins revêtent donc les caractères de conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressé n'apporte en revanche pas d'élément suffisant permettant de déterminer l'origine de ses troubles et de les relier à son pays d'origine, d'établir qu'un retour dans ce pays l'expose nécessairement à leur aggravation et d'apprécier la nécessité du maintien du lien thérapeutique actuel avec les praticiens assurant son suivi. Notamment, les autorités chargées de l'asile ont par quatre fois retenu que les circonstances qu'il présente comme étant à l'origine de son départ ne pouvaient pas être tenues pour établies. Par ailleurs, il ressort en tout état de cause des pièces du dossier, et notamment des observations faites pour la première fois devant la cour par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, d'une part, que le suivi de M. B..., qui se limite à des consultations à échéances régulières avec un médecin psychiatre et un psychologue, est réalisable au Cameroun et, d'autre part, que les psychotropes qui lui sont prescrits en France ou des substituts sont distribués et accessibles au Cameroun. M. B... n'apporte aucun élément de nature à démontrer que cette offre de soins et les caractéristiques du système de santé du Cameroun ne seraient pas adaptées à la prise en charge de sa pathologie, compte tenu de son état. Il n'établit pas davantage par les documents qu'il produit que son homosexualité serait nécessairement de nature à l'empêcher d'accéder effectivement à l'offre de soins et au système de santé de son pays, les dispositions de la loi pénale étant à cet égard indifférentes.

10. Dans ces conditions, M. B... n'apporte pas d'éléments suffisants pour établir que son état de santé remplit l'ensemble des conditions posées à l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et son moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté. Il s'ensuit que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur ce motif pour annuler son arrêté du 7 octobre 2022 refusant la délivrance d'un titre de séjour à M. B..., lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays à destination duquel il doit être éloigné. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour.

Sur les autres moyens :

11. En premier lieu, l'arrêté attaqué vise et mentionne les dispositions qui constituent les fondements légaux de chacune des décisions qu'il prononce à l'encontre de M. B.... Il comporte des considérations de fait suffisantes ayant mis l'intéressé à même de comprendre les motifs de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour qui lui est opposée. Dès lors qu'elle est fondée sur celle-ci, la décision portant obligation de quitter le territoire français qui est également prononcée à son encontre n'avait, quant à elle, pas à faire l'objet d'une motivation distincte en application des dispositions du second alinéa de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour décider en outre que la mesure d'éloignement prononcée à l'encontre de M. B... pourra être exécutée à l'encontre du pays dont il a la nationalité, à savoir le Cameroun, ou de tout autre pays non membre de l'Union européenne ou avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen où il est légalement admissible, l'arrêté attaqué rappelle qu'il a la nationalité camerounaise, que sa demande d'asile a été par quatre fois rejetée par le directeur général de l'OFPRA et la CNDA et qu'il n'établit pas y être exposé à des peines ou traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors que c'est à l'étranger qui entend se prévaloir des stipulations précitées d'établir la réalité des risques auxquels il estime être exposé en cas de retour et que M. B... ne justifie en l'occurrence pas avoir adressé des observations préalables à ce sujet au préfet, cette motivation apparaît proportionnée. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé doit être écarté.

12. En deuxième lieu, l'OFII a versé au dossier la copie de l'avis rendu le 27 janvier 2022 par le collège de médecins sur la demande de M. B..., justifiant ainsi de la réalité de sa consultation. Il ressort des autres pièces produites par l'OFII que cet avis a été rendu au vu d'un rapport médical établi par un médecin de l'OFII qui, s'il n'a certes pas formellement renseigné la partie du formulaire relative à l'interruption éventuelle du suivi psychiatrique, aux perspectives et au pronostic, renseigne néanmoins correctement le collège sur ces points en comportant par ailleurs tous les éléments d'appréciation utiles. Alors que les nom et prénom du médecin rapporteur sont mentionnés sur l'avis, il n'est pas établi que le collège n'aurait pas eu communication de ce rapport. Il ne ressort pas des pièces du dossier que cet avis, qui comporte la mention " Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l'OFII émet l'avis suivant : ", n'aurait pas eu un caractère collégial, alors au demeurant que de tels avis résultent de la réponse apportée par chacun des médecins membres du collège à des questions auxquelles la réponse ne peut être qu'affirmative ou négative et que les signataires ne sont pas tenus, pour répondre aux questions posées, de procéder à des échanges entre eux. Aucune disposition ni aucun principe n'impose au demeurant à l'OFII de préciser les conditions dans lesquelles la collégialité a été assurée. Il est constant en tout état de cause que l'application " Thémis ", qui permet l'apposition des signatures électroniques, n'est accessible aux médecins signataires qu'au moyen de deux identifiants et de deux mots de passe qui leur sont propres et qu'elle présente ainsi les garanties de sécurité de nature à assurer l'authenticité des signatures ainsi que le lien entre elles et leurs auteurs. Enfin, l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII sur la situation de M. B... est complet dès lors qu'il estime que l'état de santé de l'intéressé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité, que compte tenu de ce motif principal le collège n'était pas tenu de se prononcer explicitement sur la seconde condition tenant à ce que le demandeur ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine et qu'il s'est en tout état de cause également prononcé sur la capacité de l'intéressé à voyager sans risque vers son pays d'origine. Dès lors, les moyens tirés de ce que la procédure de consultation et l'avis du collège de médecins de l'OFII sont entachés d'irrégularités doivent être écartés.

13. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le collège de médecins de l'OFII et, par suite, le préfet de la Seine-Maritime n'auraient pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de l'intéressé. A cet égard, contrairement à ce que soutient M. B..., le rapport du médecin rapporteur, communiqué aux membres du collège de médecins s'étant prononcé sur sa situation, décrit précisément son état de santé actuel et la nature de sa prise en charge et rappelle les circonstances qu'il présente comme étant à l'origine de son syndrome de stress post-traumatique, notamment les violences subies du fait de son orientation sexuelle. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué procède d'un défaut d'examen sérieux doit être écarté.

14. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ".

15. Il ressort des pièces du dossier que M. B... était présent en France depuis tout juste cinq ans à la date de l'arrêté attaqué alors qu'il a vécu la majeure partie de sa vie au Cameroun. Il est célibataire et sans charge de famille sur le territoire alors qu'il n'est pas isolé dans son pays d'origine. A cet égard, et ainsi qu'il a été dit au point 9, il n'a apporté aucun élément complémentaire relatif aux circonstances de son départ du Cameroun, que les autorités chargées de l'asile ont regardées par quatre fois comme n'étant pas établies. Par ailleurs, en dépit de la durée de son séjour en France, M. B... ne justifie d'aucune insertion de nature à garantir son intégration réussie à la société française. En particulier, il n'établit pas disposer d'un logement autonome, ni d'aucune source de revenus. Dans ces conditions, le centre de ses intérêts privés et familiaux ne peut être regardé comme s'étant fixé à titre principal en France et sa situation ne peut pas davantage être regardée comme répondant à des considérations humanitaires ou exceptionnelles. Il s'ensuit que c'est sans méconnaître son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales non plus que les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour. Dès lors, ces moyens soulevés par M. B... doivent être écartés.

16. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ".

17. Ainsi qu'il a été dit aux points 4 à 10, M. B... n'apporte pas d'éléments suffisants permettant de le regarder comme nécessitant une prise en charge médicale dont il ne pourrait effectivement pas bénéficier dans son pays d'origine. Par suite, il ne peut pas bénéficier de la protection contre l'éloignement instituée par les dispositions citées au point précédent. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

18. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 721-4 : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité (...) ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". L'article 3 de cette convention stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

19. Ainsi qu'il a été dit aux points 4 à 10 et 17, M. B... n'apporte pas d'éléments suffisants permettant de le regarder comme nécessitant une prise en charge médicale dont il ne pourrait effectivement pas bénéficier dans son pays d'origine. L'avis en date du 27 janvier 2022 du collège de médecins de l'OFII mentionne en outre que son état de santé est compatible avec un voyage vers le Cameroun, sans qu'il n'apporte aucun élément en sens contraire. Ainsi qu'il a été dit aux points 9 et 15, il n'a pas établi les circonstances de son départ, ni ne démontre que son orientation sexuelle serait, du fait notamment de son caractère notoire, de nature à l'exposer de manière certaine à la réprobation sociale et la répression pénale qu'il invoque. La demande d'asile qu'il avait présentée sur ce fondement a au demeurant été rejetée à quatre reprises par l'OFPRA et la CNDA. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 30 mars 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 7 octobre 2022. Il convient donc de prononcer l'annulation de ce jugement et, sans qu'il soit utile de procéder aux mesures d'instruction complémentaires demandées par M. B... ni d'ordonner une expertise médicale, de rejeter les conclusions présentées en première instance par celui-ci aux fins d'annulation de cet arrêté ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Les mêmes conclusions qu'il réitère en appel doivent, pour les mêmes motifs, être rejetées à leur tour.

Sur les frais liés au litige :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à Me Souty ou M. B... les sommes que ceux-ci réclament au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2204765 du 30 mars 2023 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de Me Souty et M. B... présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Vincent Souty.

Copie sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 9 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLa présidente de la cour,

Signé : N. MassiasLa greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

Anne-Sophie VILLETTE

2

N°23DA00664


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00664
Date de la décision : 23/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SOUTY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-23;23da00664 ?
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