Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 24 juin 2023 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français a refusé de lui octroyer un délai de départ volontaire, a fixé le Cameroun comme pays de destination de la mesure d'éloignement et a interdit son retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2305863 du 15 septembre 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de procéder au réexamen de la situation de M. C... dans un délai de trois mois à compter de la notification de ce jugement de lui délivrer dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 octobre 2023, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de M. C....
Il soutient que :
- il n'a commis aucune erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation de M. C..., ni n'a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que M. C... a vécu l'essentiel de sa vie dans son pays d'origine, n'atteste pas de liens privés et familiaux d'une particulière intensité en France et ne justifie pas d'un emploi ou de ses conditions d'existence ;
- les autres moyens de la demande ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 décembre 2023, M. C... représenté par Me Sanjay Navy conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 800 euros à verser à son conseil en application de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le moyen retenu par le tribunal administratif doit être confirmé dès lors qu'il est pleinement intégré dans la société française ;
- la décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
M. C... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 7 décembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. Par un arrêté du 24 juin 2023, le préfet du Nord a fait obligation à M. C... de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi de cette mesure d'éloignement et a interdit son retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté. Le préfet du Nord demande l'annulation de ce jugement du 15 septembre 2023.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...)"
3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été interpellé par les services de police le 24 juin 2023 et n'a pu justifier ni de son identité, à la date de la décision, ni de son entrée régulière sur le territoire français. Il a déclaré lors de son audition par les services de police être né le 28 avril 2005, être de nationalité camerounaise, être entré en France depuis deux ans environ et n'avoir effectué aucune démarche pour l'obtention d'un titre de séjour depuis sa majorité.
4. M. C... produit une attestation de domiciliation par une association depuis le 22 février 2022 et a été admis à l'aide médicale d'Etat depuis le 28 mars 2022. Il ne produit aucune pièce qui démontrerait qu'il serait entré en France avant février 2022, soit depuis un peu plus d'un an à la date de la décision.
5. M. C... suit une formation en première année du certificat d'aptitude professionnelle de maintenance des véhicules depuis le 16 novembre 2022. Le directeur de la structure de formation, le directeur de l'entreprise où il est stagiaire ainsi que les personnes qui le suivent dans les associations qui l'accueillent témoignent de son comportement exemplaire et de sa volonté d'intégration. Par ailleurs, M. C... s'investit également dans l'équipe de football de son lieu de formation.
6. M. C... a reconnu lors de son audition par les services de police que toute sa famille se trouve au Cameroun, pays où il a vécu jusqu'à l'âge de 16 ans selon ses déclarations.
7. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, compte tenu de la durée limitée de son séjour à la date de la décision et malgré les efforts d'insertion de l'intéressé, le préfet du Nord est fondé à soutenir qu'il n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. C... en l'obligeant à quitter le territoire français. Il s'en déduit que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif, pour annuler la décision du 24 juin 2023 du préfet du Nord.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. C... tant devant le tribunal administratif que devant la cour.
Sur les autres moyens de M. C... :
En ce qui concerne le moyen commun à l'ensemble des décisions :
9. Par arrêté du 22 juin 2023 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Nord a délégué à Mme B... A..., sous-préfète d'Avesnes-sur-Helpe dans le cadre de la permanence du corps préfectoral, notamment la signature des décisions portant obligation de quitter le territoire français, relatives au délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et d'interdiction de retour sur le territoire français. Le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté du 24 juin 2023 doit donc être écarté comme manquant en fait.
En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 3 à 7, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :
12. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré par la voie de l'exception de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
13. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : "Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) /3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. " et aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) ".
14. M. C... ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français. S'il a déclaré lors de son audition par les services de police que les associations qui le suivaient " avaient fait une demande d'asile pour lui " , il n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations. Si l'intéressé se prévaut de circonstances particulières justifiant de lui accorder un délai de départ volontaire, il n'explicite pas celles-ci et était dépourvu à la date de la décision de documents d'identité et de voyage. Dans ces conditions, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en refusant de lui octroyer un délai de départ volontaire.
En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de destination :
15. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré par la voie de l'exception de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
16. Si M. C... a déclaré lors de son audition par les services de police qu'il avait quitté son pays à la suite de " gros problèmes familiaux ", il ne fournit aucune justification au soutien de ses allégations et en tout état de cause, n'établit pas que sa vie ou sa sécurité serait menacée en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :
17. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré par la voie de l'exception de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
18. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / (...) " et aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...) " .
19. La décision d'interdiction de retour sur le territoire français vise les dispositions précitées et comporte les considérations de fait qui constituent son fondement. En effet, en rappelant les critères permettant de justifier la durée de l'interdiction, le préfet a entendu renvoyer à l'appréciation portée sur chacun de ces critères dans les considérants précédents de l'arrêté en litige. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'interdiction de retour ne peut qu'être écarté.
20. Si M. C... se prévaut de l'existence de circonstances humanitaires, le suivi d'une formation professionnelle, même avec succès ne saurait à lui seul caractériser de telles circonstances. Par ailleurs, l'intéressé résidait en France, à la date de la décision, depuis seulement un peu plus d'un an et ne faisait état que de sa réussite dans sa formation, de ses activités sportives et du soutien des associations qui le suivent. Dans ces conditions, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en fixant à un an la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français.
21. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit également être écarté.
22. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 24 juin 2023. Par suite, les conclusions de M. C..., y compris celles présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 15 septembre 2023 est annulé.
Article 2 : Les demandes de M. C... devant le tribunal administratif de Lille et devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Sanjay Navy.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 21 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente assesseure,
- M. Denis Perrin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2024.
Le rapporteur,
Signé : D. PerrinLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°23DA01974