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18/01/2024 | FRANCE | N°23DA00100

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 18 janvier 2024, 23DA00100


Vu la procédure suivante :



Par une requête enregistrée le 17 janvier 2023 et des mémoires enregistrés le 12 septembre 2023 et le 27 novembre 2023, la SARL Parc éolien de Noroy, représentée par Me Hélène Gélas, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 24 novembre 2022 par lequel la préfète de l'Oise a rejeté sa demande d'autorisation environnementale pour construire et exploiter un parc éolien de cinq éoliennes et deux postes de livraison, sur le territoire de la commune de Noroy ;



2°) de délivrer l'au

torisation environnementale sollicitée assortie des prescriptions nécessaires à la préservation des intér...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 janvier 2023 et des mémoires enregistrés le 12 septembre 2023 et le 27 novembre 2023, la SARL Parc éolien de Noroy, représentée par Me Hélène Gélas, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 24 novembre 2022 par lequel la préfète de l'Oise a rejeté sa demande d'autorisation environnementale pour construire et exploiter un parc éolien de cinq éoliennes et deux postes de livraison, sur le territoire de la commune de Noroy ;

2°) de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée assortie des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, ou à défaut de délivrer cette autorisation et de renvoyer à l'autorité préfectorale le soin de fixer ces prescriptions ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'autorité préfectorale de reprendre l'instruction de la demande dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé en fait ;

- le projet ne porte pas atteinte à l'avifaune, ni aux chiroptères, ni au monument et au site de Saint-Martin-aux-Bois.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 août 2023, la préfète de l'Oise conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 6 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée avec effet immédiat en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;

- l'arrêté du 23 avril 2007 modifié fixant la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Tatiana Boudrot, représentant la société Parc éolien de Noroy et de M. B... A..., représentant la préfète de l'Oise.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée Parc éolien de Noroy a déposé, le 20 février 2020, une demande d'autorisation environnementale afin de construire et d'exploiter cinq aérogénérateurs et deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Noroy. Par un arrêté du 24 novembre 2022, la préfète de l'Oise a rejeté cette demande. La société demande l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions d'annulation :

En ce qui concerne la motivation :

2. L'arrêté en litige vise les textes dont il fait application et comprend les considérations de fait qui en constituent le fondement. Si la société soutient qu'il se borne à des affirmations sans démonstration, les quarante paragraphes de motifs de cet arrêté permettent aisément à son destinataire de comprendre les trois raisons du refus opposé à la demande. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

En ce qui concerne le respect de l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

3. D'une part, aux termes de l'article L 181-3 du code de l'environnement : " I- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. ". D'autre part, aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".

4. Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation d'une installation classée, l'autorité préfectorale est tenue, sous le contrôle du juge, de délivrer l'autorisation sollicitée si les dangers ou inconvénients que présente cette installation peuvent être prévenus par les prescriptions particulières spécifiées par un arrêté d'autorisation.

S'agissant des atteintes à l'avifaune :

5. L'étude d'impact note un enjeu fort de la zone d'implantation du projet pour l'avifaune puisque 3 000 spécimens représentant 99 espèces y ont été recensés. 14 des espèces relevées sont inscrites à la liste de l'annexe I de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages. La société a choisi la variante d'implantation permettant de situer l'ensemble des éoliennes dans des zones à enjeu faible pour les oiseaux hors périodes migratoires. Néanmoins, l'étude d'impact note que les éoliennes restent situées " sur un axe de migration tant en période prénuptiale que postnuptiale notamment l'éolienne E 2 en plein axe et l'éolienne E 5 en limite d'axe d'échange local ". Cet axe est considéré comme un axe de migration principal pour l'avifaune. L'étude conclut à un impact modéré voire fort en période postnuptiale sur l'axe migratoire.

6. La société a espacé les appareils de 300 mètres, ce qui correspondrait à la largeur estimée du front migratoire. Toutefois, l'étude écologique qui représente l'axe de migration est schématique et la précision de la localisation du couloir de migration n'est pas démontrée. La société ne justifie pas qu'elle ne pouvait éviter ce risque notamment par un déplacement des éoliennes. A défaut, elle a également retenu des mesures de suivi de l'activité des oiseaux, de limitation des nuisances lumineuses ainsi qu'un bridage pour l'ensemble des éoliennes et renforcé pour l'éolienne E 5 et, un dispositif de détection couplé avec une alarme de dissuasion acoustique. Toutefois, l'efficacité de ce dernier dispositif est contestée par la préfète et l'étude reconnaît qu'il n'est efficace que pour les oiseaux ayant plus de 70 centimètres d'envergure. Par ailleurs, le bridage n'est effectif qu'en période nocturne alors que l'activité recensée par l'étude d'impact ne l'a été que lors d'inventaires diurnes et que 70 % de l'activité postnuptiale a lieu de nuit. Le préfet relève également que 52,5% des oiseaux ont été observés à une altitude supérieure à vingt mètres, ce qui les expose à un risque de collision, les pales de l'éolienne descendant jusqu'à trente mètres du sol. En revanche, si le préfet note que le projet renforcera l'effet barrière au nord en prenant en compte les parcs existants, notamment les douze éoliennes du parc du champ Hubert, ce parc est situé à 3,5 kilomètres de la zone d'implantation et ne se situe pas dans l'axe de migration et tous les autres parcs au nord sont à plus de 10 kilomètres. Enfin et au surplus, la préfète de l'Oise soutient que le projet nécessitait une dérogation à la destruction des espèces protégées et la société ne démontre pas compte tenu de ce qui précède que le risque n'était pas caractérisé après prise en compte des mesures d'évitement et de réduction.

7. Il résulte de ce qui précède que les éoliennes demeurent placées au milieu ou à proximité immédiate de l'axe de migration, alors que la sensibilité et la fréquentation du site par l'avifaune est élevée et qu'il n'est pas établi que les mesures de réduction proposées permettent de limiter le risque à un niveau non significatif. Dans ces conditions, la préfète de l'Oise était fondée à retenir que l'atteinte du projet à l'avifaune justifiait un refus de l'ensemble des éoliennes.

S'agissant de l'atteinte aux chiroptères :

8. L'étude écologique a recensé seize espèces de chauves-souris au sein de la zone d'implantation. Toutes les espèces de chauves-souris sont protégées en application de l'arrêté du 23 avril 2007 visé ci-dessus. Si la zone d'implantation est constituée de grandes cultures ouvertes de plein champ peu favorables à l'activité chiroptérologique, le projet s'implante au milieu de deux axes de migration nord-sud et d'axes de transit locaux. Il est également situé entre des terrains de chasse des chauves-souris.

9. La société pétitionnaire fait valoir que l'espace entre les machines permet de préserver la largeur du front migratoire, que la variante implantant les éoliennes dans des zones à enjeux faibles a été retenue, que les éoliennes sont éloignées de plus de deux cent mètres par rapport aux zones boisées fréquentées et que l'étude écologique conclut à un impact faible à modéré. La société a proposé un bridage pour l'ensemble des aérogénérateurs avec un renforcement pour E 5 qui permet de couvrir 90 % de l'activité des chauves-souris. S'agissant spécifiquement de l'éolienne E 5 qui est située à moins de 200 mètres d'une haie, l'étude indique, sans être sérieusement contredite en défense, une faible fréquentation autour des haies de la zone d'implantation.

10. Si la préfète fait valoir que l'effet barrière du projet avec la prise en compte des autres parcs existants ou autorisés n'est pas négligeable d'après l'étude écologique, cette étude a relevé qu'aucun cadavre n'avait été recensé dans les parcs situés dans l'aire d'étude rapprochée.

11. Toutefois, eu égard à l'implantation des éoliennes à proximité d'axes de migration et au centre de couloirs de transits locaux sans que la société justifie qu'elle était dans l'impossibilité de déplacer cette implantation, compte tenu de la sensibilité et de la fréquentation de la zone, la présence des éoliennes entraîne un risque significatif d'atteinte aux chiroptères, la préfète de l'Oise était donc également fondée à refuser le projet pour ce motif.

S'agissant du monument et du site de l'abbaye de Saint-Martin-aux-Bois :

12. L'abbaye de Saint-Martin-aux-Bois, site gothique remarquable, est classé au titre des monuments historiques depuis 1840. La commune est également classée en site patrimonial remarquable depuis 1989, en application de l'article L. 631-1 du code du patrimoine. Le projet se situe à 9 kilomètres de l'abbaye à la limite du périmètre de protection stricte de 10 kilomètres retenu par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Picardie dans son schéma paysager éolien de 2008. Ce zonage n'a toutefois aucune valeur règlementaire.

13. Il résulte de l'étude paysagère que le projet n'est pas visible depuis l'abbaye. Toutefois des covisibilités existent. L'arrêté s'appuie en particulier sur les photomontages 81 et 82 de l'étude paysagère qui ont été ajoutés à la suite de la demande de compléments et de l'avis défavorable de l'unité départementale de l'architecture et du patrimoine de l'Oise du 24 mars 2020.

14. Le photomontage 81 se situe à 1 kilomètre au nord de l'abbaye et à plus de 10 kilomètres du projet. Si le chœur de l'abbaye émerge au-dessus de la plaine et si le projet est visible sur la droite du monument, les éoliennes ont une taille très réduite, inférieure à celle du monument et le regard est attiré en dehors du monument par le boisement sur la droite. D'autres parcs éoliens sont également visibles dans le lointain. L'étude qualifie à juste titre, l'impact du projet de modéré.

15. Le photomontage 82 a été réalisé à 2 kilomètres de l'abbaye. Le monument apparaît de manière moins marquante et si les éoliennes du projet sont visibles et paraissent plus hautes que le chœur, leur très faible visibilité à plus de 11 kilomètres du point de vue ne permet pas d'infirmer la conclusion de l'étude paysagère qui retient un impact modéré.

16. Il résulte de ce qui précède que la préfète de l'Oise n'était pas fondée à refuser le projet en raison de son atteinte au monument et au site de Saint-Martin-aux-Bois.

17. Les motifs d'atteinte aux chiroptères et à l'avifaune sont de nature à justifier à eux seuls un refus d'autorisation. Il résulte de tout ce qui précède que la société Parc éolien de Noroy, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que la préfète de l'Oise a rejeté pour ces motifs sa demande. Par suite, la requête de la société Parc éolien de Noroy doit être rejetée, y compris ses conclusions à fins d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société SARL Parc éolien de Noroy est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société SARL Parc éolien de Noroy, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera transmise à la préfète de l'Oise.

Délibéré après l'audience publique du 21 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

-Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2024.

Le rapporteur

Signé : D. PerrinLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°23DA00100 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00100
Date de la décision : 18/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : JEANTET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-18;23da00100 ?
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