Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler les arrêtés des 5 février 2020, 29 mai 2020 et 10 septembre 2020 par lesquels le ministre de la justice l'a suspendu de ses fonctions et a réduit de moitié sa rémunération pour une durée de quatre mois à compter, respectivement, du 8 février 2020, du 8 juin 2020 et du 8 octobre 2020.
Par un jugement n° 2000640, 2001959 et 2003274 du 18 juillet 2022, le tribunal administratif d'Amiens a annulé les trois arrêtés des 5 février 2020, 29 mai 2020 et 10 septembre 2020 et a enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de réexaminer la situation de M. D....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 septembre 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 18 juillet 2022 ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. D... devant le tribunal administratif d'Amiens.
Il soutient que les auteurs des arrêtés litigieux bénéficiaient d'une délégation de signature régulière pour les signer au nom du ministre.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 octobre 2023, M. D..., représenté par Me Claeys, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice de tirer les conséquences administratives et financières de l'annulation des arrêtés litigieux et de mettre les dépens à la charge de l'Etat, ainsi qu'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est tardive et par suite irrecevable ;
- le garde des sceaux, ministre de la justice ne justifie pas de la compétence des auteurs des arrêtés litigieux ;
- ces arrêtés sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que la gravité des faits reprochés ne justifie pas de le suspendre de ses fonctions.
Par une ordonnance du 24 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 1er décembre 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 ;
- l'arrêté du 30 décembre 2019 relatif à l'organisation du secrétariat général et des directions du ministère de la justice ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., surveillant brigadier du corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, affecté à la maison d'arrêt d'Amiens, a été mis en examen le 4 mai 2017 pour avoir reçu et transmis irrégulièrement une lettre d'un détenu entre le 17 et le 31 janvier 2017. Par un arrêté du 2 juillet 2018, le ministre de la justice l'a suspendu de ses fonctions pour une durée de quatre mois, avec effet à compter du 8 octobre 2018. Cette mesure de suspension a été renouvelée à plusieurs reprises, pour des périodes successives de quatre mois, par plusieurs arrêtés des 12 février 2019, 12 juillet 2019, 26 septembre 2019, 5 février 2020, 29 mai 2020 et 10 septembre 2020. M. D... a demandé l'annulation de ces arrêtés de renouvellement au tribunal administratif d'Amiens qui, par un premier jugement n° 1900974-1902503-1903788 du 1er juin 2021, a rejeté les demandes présentées à l'encontre des arrêtés des 12 février 2019, 12 juillet 2019 et 26 septembre 2019. En revanche, par un second jugement n° 2000640-2001959-2003274 du 18 juillet 2022, le tribunal administratif a annulé les trois derniers arrêtés, pris les 5 février 2020, 29 mai 2020 et 10 septembre 2020, en raison de l'incompétence de leur auteur. Le ministre de la justice relève appel de ce jugement du 18 juillet 2022.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article 67 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors applicable : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination (...) ". En application de l'article 3 du décret du 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, les membres du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire sont nommés par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. Il résulte des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires que l'autorité ayant pouvoir disciplinaire est compétente pour suspendre un fonctionnaire à titre conservatoire, en cas de faute grave.
3. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...), peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : 1° (...) les directeurs d'administration centrale (...) ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " Les personnes mentionnées aux 1° et 3° de l'article 1er peuvent donner délégation pour signer tous actes relatifs aux affaires pour lesquelles elles ont elles-mêmes reçu délégation : 1° Aux magistrats, aux fonctionnaires de catégorie A et aux agents contractuels chargés de fonctions d'un niveau équivalent, qui n'en disposent pas au titre de l'article 1er ; / (...) / La délégation prévue au présent article entre en vigueur le lendemain de la publication au Journal officiel de la République française (...) de l'arrêté désignant le ou les titulaires de la délégation et précisant les matières qui en font l'objet (...) ".
4. Par un arrêté du 13 décembre 2019, publié au Journal officiel de la République française le 18 décembre suivant, le directeur de l'administration pénitentiaire a donné délégation à M. C..., chef du bureau des affaires statutaires et de l'organisation du dialogue social à la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales, à l'effet de signer, au nom du ministre de la justice et dans la limite de ses attributions, tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets. Par un arrêté du 1er septembre 2020, publié le 3 septembre suivant, le directeur de l'administration pénitentiaire a donné délégation de signature, dans les mêmes conditions, à M. B..., qui a succédé à M. C... dans le poste de chef du bureau des affaires statutaires et de l'organisation du dialogue social. Les délégations de signature ont ainsi été consenties à MM. C... et B... dans la limite des attributions du bureau des affaires statutaires et de l'organisation du dialogue social. Si l'arrêté du 30 décembre 2019 relatif à l'organisation du secrétariat général et des directions du ministère de la justice, en vigueur à la date des décisions contestées, prévoit que la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales de la direction de l'administration pénitentiaire est chargée des questions relatives aux procédures disciplinaires, cet arrêté ne précise pas la répartition des compétences entre les cinq bureaux et la mission composant la sous-direction, notamment le bureau des affaires statutaires et de l'organisation du dialogue social et le bureau de la gestion des personnels. Le ministre de la justice ne donne aucune précision sur ce point, en dépit d'une mesure d'instruction prise en ce sens par la cour. Dans ces conditions, en l'absence de dispositions réglementaires ou de tout autre texte définissant les attributions du bureau des affaires statutaires et de l'organisation du dialogue social, il n'est pas établi que les questions relatives aux procédures disciplinaires, incluant les mesures de suspension litigieuses, relèveraient de ce bureau au sein de la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête, que le ministre de la justice n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé les arrêtés des 5 février 2020, 29 mai 2020 et 10 septembre 2020 au motif que MM. C... et B... ne disposaient d'aucune délégation régulière pour signer une mesure de suspension provisoire.
Sur les conclusions à fin d'injonction de M. D... :
6. Eu égard au motif retenu pour annuler les trois arrêtés des 5 février 2020, 29 mai 2020 et 10 septembre 2020, le jugement attaqué n'implique pas d'autre mesure pour son exécution qu'un réexamen de la situation de M. D..., ainsi qu'en a décidé le tribunal administratif d'Amiens qui a enjoint à l'administration de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois. Si M. D... demande à la cour, ainsi qu'il l'avait fait devant le tribunal administratif d'Amiens, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de " tirer toutes les conséquences de droit et financières " de ces annulations, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas même allégué que le ministre se serait refusé à donner une suite à la mesure d'injonction décidée par les premiers juges. Dans ces conditions, les conclusions présentées en appel à fin d'injonction ne peuvent qu'être écartées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, la présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, les conclusions présentées au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du garde des sceaux, ministre de la justice est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. D... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de M. D... sont rejetées pour le surplus.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A... D....
Délibéré après l'audience publique du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 janvier 2024.
L'assesseure la plus ancienne,
Signé : D. BureauLe président de la formation de jugement,
Signé : J.-M. Guérin-Lebacq
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
N. Roméro
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N° 22DA01961