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01/12/2023 | FRANCE | N°22DA01006

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 01 décembre 2023, 22DA01006


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 1 635 058,60 euros en réparation des préjudices subis lors de sa prise en charge au sein du centre hospitalier de Valenciennes, et de condamner ce centre à lui verser la somme de 50 000 euros au titre du préjudice d'impréparation.



Par un

jugement n° 1805682 du 16 mars 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.


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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 1 635 058,60 euros en réparation des préjudices subis lors de sa prise en charge au sein du centre hospitalier de Valenciennes, et de condamner ce centre à lui verser la somme de 50 000 euros au titre du préjudice d'impréparation.

Par un jugement n° 1805682 du 16 mars 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 11 mai, 15 septembre et 18 novembre 2022, M. C..., représenté par la société d'avocats Couvris et Courtois, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme totale de 1 691 166,91 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Valenciennes à lui verser une indemnité de 50 000 euros assortie des intérêts ;

4°) de mettre à la charge des intimés le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les dépens.

Il soutient que :

- il a été victime d'un accident non fautif engageant la responsabilité de l'ONIAM ;

- il a été victime d'un défaut d'information engageant la responsabilité du centre hospitalier de Valenciennes ;

- il doit être indemnisé des préjudices résultant tant de ce défaut d'information que de l'accident médical non fautif.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 août et 18 octobre 2022, l'ONIAM, représenté par Me Sylvie Welsch, demande à la cour de rejeter la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2022, le centre hospitalier de Valenciennes, représenté par la société d'avocats Le Prado-Gilbert, demande à la cour de rejeter la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 22 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Yara Hojeij, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., né le 22 décembre 1964, a souffert à compter du mois de janvier 2012 d'une incontinence soudaine associée à des douleurs à la tempe. Dès le début du mois de février 2012, il a souffert d'une faiblesse du membre inférieur gauche. Une hernie discale au niveau Th5-Th6 a été diagnostiquée le 27 février suivant, pour laquelle M. C... a été opéré au centre hospitalier de Valenciennes le 17 avril 2012. Dans les suites immédiates de l'intervention chirurgicale, l'intéressé a présenté une paraplégie flasque des membres inférieurs ainsi qu'une paralysie bi-sphinctérienne.

2. M. C... a saisi, le 15 mai 2014, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, qui a désigné le 9 juillet 2014 le docteur A... en qualité d'expert. Ce dernier ayant conclu, dans son rapport du 27 octobre 2014, à l'existence d'un accident médical non fautif engageant la responsabilité partielle de l'ONIAM sur le fondement de la solidarité nationale. La commission a considéré, par un avis du 10 décembre 2014 que l'office était tenu d'indemniser à hauteur de 70 % les préjudices subis par M. C.... Néanmoins, l'ONIAM a refusé d'adresser une offre transactionnelle à l'intéressé par lettre du 14 avril 2015. M. C... a présenté, le 23 avril 2018, au centre hospitalier de Valenciennes, une demande d'indemnisation préalable sur le fondement du défaut d'information, restée sans suite. La victime a alors saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à la condamnation de ces établissements à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis. Il relève appel du jugement du 16 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'engagement de responsabilité de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) II. - Lorsque la responsabilité d'un (...) établissement, (...) n'est pas engagée, (...) un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, (...) au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. . / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès. Une probabilité de survenance du dommage qui n'est pas inférieure ou égale à 5 % ne présente pas le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert médical, que M. C..., à la suite de l'intervention chirurgicale du 17 avril 2012, a été atteint d'une paraplégie flasque des membres inférieurs ainsi que d'une paralysie bi-sphinctérienne constitutive d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 75 % dont 30 % est lié à son état antérieur. Ainsi, le dommage présente un caractère de gravité au sens des dispositions citées au point 3.

6. En deuxième lieu, il résulte de ce rapport qu'en l'absence de traitement, l'état initial de M. C..., caractérisé par des troubles moteurs et sphinctériens, présentait, une probabilité importante de s'aggraver avec majoration des déficits, l'apparition d'une paraplégie étant inéluctable. Ainsi, la paraplégie flasque avec troubles sphinctériens dont a été affecté M. C... après l'intervention chirurgicale du 17 avril 2012 n'était pas constitutive de conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.

7. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que la paraplégie dont est victime l'appelant est une complication connue de l'intervention de cure de hernie discale telle que celle dont il a bénéficié. Pour apprécier la fréquence de survenue de cette invalidité, il y a lieu également de prendre en compte l'état antérieur de M. C..., souffrant d'un déficit sensitivomoteur et d'une faiblesse de la jambe gauche, d'obésité, d'hypertension et d'apnée du sommeil. S'il résulte des conclusions expertales que la paraplégie dont est atteint M. C... à la suite de l'exérèse de sa hernie est une forme de paraplégie complète flasque " dont la fréquence de survenue est rare, de l'ordre de 3% ", le risque de survenance du dommage subi par la victime ne peut être regardé en l'espèce comme inférieur ou égal à 5 %, compte tenu de ce qui précède, en particulier au regard de son état préexistant. Dans ces conditions, l'accident médical ne remplit pas la condition d'anormalité prévue par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. Par suite, M. C... n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation de ses préjudices au titre de la solidarité nationale.

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Valenciennes au titre de son devoir d'information :

8. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " I. - Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) ".

9. Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

10. Pour établir le respect de son devoir d'information, le centre hospitalier de Valenciennes a produit une fiche de renseignement signée par M. C... mais non datée précisant que le praticien lui aurait exposé les risques inhérents à l'intervention chirurgicale, ainsi qu'un compte-rendu d'entretien du 17 avril 2012 non signé par le patient. Il en résulte que le centre hospitalier n'a pas pleinement respecté l'information due au patient. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que si M. C... avait été complètement informé des risques de paraplégie induits par l'intervention chirurgicale, il aurait demandé à la différer. En outre, il résulte du rapport d'expertise, que l'opération était nécessaire compte tenu de l'importance de la hernie et de son degré de calcification qui entraînait une paralysie débutante, de l'absence d'alternative thérapeutique et du rythme d'évolution des symptômes, s'aggravant significativement en l'espace de quelques semaines. Dans ce contexte M. C... aurait nécessairement consenti à cette opération s'il avait été, comme il se devait, informé du risque de paralysie et d'ischémie médullaire. La méconnaissance partielle par le centre hospitalier de Valenciennes de son obligation d'information n'a ainsi privé M. C... d'aucune chance de se soustraire aux risques de paralysie et d'ischémie médullaire.

11. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus lors d'une intervention ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a pu subir du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles. L'existence d'un tel préjudice ne se déduit pas de la seule circonstance que le droit du patient d'être informé des risques de l'intervention a été méconnu et il appartient à la victime d'en établir la réalité et l'ampleur. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

12. Il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté, que le manquement du centre hospitalier de Valenciennes à son obligation d'information a exposé M. C... à subir un préjudice d'impréparation à l'éventualité d'une réalisation du risque de paraplégie, l'intéressé ayant brutalement pris conscience de son infirmité et de la perte partielle d'autonomie en résultant. Ainsi, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice moral en allouant à l'appelant une somme de 1 000 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Valenciennes à indemniser ses préjudices. Il y a lieu de réformer le jugement sur ce point et de condamner ledit centre à lui verser une somme de 1 000 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 25 avril 2018, date à laquelle le centre hospitalier de Valenciennes a été destinataire de la réclamation préalable présentée par l'avocat de M. C....

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge du centre hospitalier de Valenciennes une somme de 2 000 euros à verser à M. C... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

DÉCIDE :

Article 1er : Le centre hospitalier de Valenciennes est condamné à verser à M. C... une somme de 1 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 25 avril 2018.

Article 2 : Le centre hospitalier de Valenciennes versera à M. C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le jugement n° 1805682 du 16 mars 2022 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au centre hospitalier de Valenciennes et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes.

Délibéré après l'audience publique du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Thierry Sorin, président,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,

Signé : T. SorinLa greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA01006


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01006
Date de la décision : 01/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Guillaume Vandenberghe
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : UGGC AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-01;22da01006 ?
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