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14/11/2023 | FRANCE | N°22DA01583

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 14 novembre 2023, 22DA01583


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) " Cardiologie et Urgences " a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler le titre exécutoire n° 856983 du 22 janvier 2019 par lequel le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens-Picardie a mis à sa charge une somme de 2 366,89 euros au titre d'une prestation de dialyse en soins intensifs réalisée dans le cadre d'une prestation inter-établissements le 16 août 2018, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux ainsi que l

es actes de recouvrement subséquents, et, d'autre part, de la décharger de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) " Cardiologie et Urgences " a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler le titre exécutoire n° 856983 du 22 janvier 2019 par lequel le centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens-Picardie a mis à sa charge une somme de 2 366,89 euros au titre d'une prestation de dialyse en soins intensifs réalisée dans le cadre d'une prestation inter-établissements le 16 août 2018, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux ainsi que les actes de recouvrement subséquents, et, d'autre part, de la décharger de l'obligation de payer cette somme.

Par un jugement n° 1902384 du 2 juin 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 juillet 2022 et 9 février 2023, la SAS " Cardiologie et Urgences ", représentée par Me Sandrine Milhaud, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler le titre exécutoire n° 856983 du 22 janvier 2019 du CHU d'Amiens-Picardie, ensemble la décision implicite rejetant son recours gracieux et l'intégralité des actes de recouvrement subséquents ;

3°) de la décharger de l'obligation de payer la somme de 2 366,89 euros qui lui est demandée ;

4°) de mettre à la charge du CHU d'Amiens-Picardie le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le titre exécutoire attaqué est entaché d'erreur de droit dès lors que la séance de dialyse réalisée le 16 août 2018 par le CHU d'Amiens-Picardie devait être facturée uniquement au titre du groupe homogène de séjour (GHS) correspondant, à l'exclusion de toute facturation complémentaire ou au titre des tarifs journaliers de prestations ;

- en l'espèce, non seulement le CHU d'Amiens-Picardie a facturé des compléments au-delà du seul GHS et en retenant un tarif journalier de prestation mais aussi les tarifs portés sur le relevé des actes ne correspondent pas à la somme totale de 2 366,89 euros qui lui est demandée par le titre exécutoire attaqué ;

- en outre, la prise en charge n'a pas été particulièrement lourde ; le tarif journalier de prestation " spécialité coûteuse " ne s'applique pas aux séances d'hémodialyse ; il n'existe aucune convention entre le CHU d'Amiens-Picardie et la SAS " Cardiologie et Urgences " prévoyant d'écarter la réglementation applicable en matière de prestations inter-établissements.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 janvier 2023 et 10 mars 2023, le CHU d'Amiens-Picardie, représenté par Me Yannick Francia, conclut au rejet de la requête d'appel et à ce que le paiement d'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SAS " Cardiologie et Urgences " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que la facturation sur la base du tarif journalier de prestations " spécialités coûteuses " est justifiée par le fait que la séance d'hémodialyse litigieuse a été réalisée en unité de soins intensifs, sous surveillance scopée et mobilisant un grand nombre de personnels.

Par ordonnance du 10 mars 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 14 avril 2023 à 12 heures.

Par lettre du 26 septembre 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur les conclusions de la SAS " Cardiologie et Urgences " tendant à l'annulation des actes de recouvrement, dont la mise en demeure de payer du 15 avril 2019, dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif d'annuler un acte de poursuite et, par suite, de ce que le jugement attaqué est irrégulier en tant qu'il a statué au fond sur ces conclusions.

Des observations ont été enregistrées pour la SAS " Cardiologie et Urgences " le 2 octobre 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Sandrine Milhaud, représentant la SAS " Cardiologie et Urgences ".

Considérant ce qui suit :

1. Le 16 août 2018, la société par actions simplifiée (SAS) " Cardiologie et Urgences ", qui exploite une clinique médicale dédiée à la cardiologie et aux activités d'urgences située à Amiens, a transféré un patient au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens-Picardie en vue de la réalisation d'une dialyse en soins intensifs. Le 22 janvier 2019, le CHU d'Amiens-Picardie a mis à la charge de la SAS " Cardiologie et Urgences ", par un titre exécutoire n° 856983, la somme de 2 366,89 euros au titre de la facturation de cette prestation. La SAS " Cardiologie et Urgences " a formé un recours gracieux par un courrier du 22 mars 2019, auquel aucune suite n'a été réservée. Le 15 avril 2019, le comptable public lui a adressé une mise en demeure de payer. La SAS " Cardiologie et Urgences " relève appel du jugement du 2 juin 2022 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation du titre exécutoire n° 856983 du 22 janvier 2019, de la décision implicite rejetant son recours gracieux et des actes de recouvrement subséquents et, d'autre part, à ce qu'elle soit déchargée de l'obligation de payer la somme qui lui est demandée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : " Les dispositions du présent article s'appliquent également aux établissements publics de santé. / 1° (...) l'introduction devant une juridiction de l'instance ayant pour objet de contester le bien-fondé d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local suspend la force exécutoire du titre. / L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois à compter de la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite. / 2° La contestation qui porte sur la régularité d'un acte de poursuite est présentée selon les modalités prévues à l'article L. 281 du livre des procédures fiscales. La revendication par une tierce personne d'objets saisis s'effectue selon les modalités prévues à l'article L. 283 du même livre. / (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales : " Les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. / (...) / Les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Elles peuvent porter : / 1° Sur la régularité en la forme de l'acte ; / 2° A l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée. / Les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés dans le cas prévu au 1° devant le juge de l'exécution. Dans les cas prévus au 2°, ils sont portés : / (...) / c) Pour les créances non fiscales des collectivités territoriales, des établissements publics locaux et des établissements publics de santé, devant le juge de l'exécution ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'ensemble du contentieux du recouvrement des créances non fiscales des établissements publics de santé relève de la compétence du juge de l'exécution, tandis que le contentieux du bien-fondé de ces créances relève de celle du juge compétent pour en connaître sur le fond. En outre, une mise en demeure du comptable public valant commandement de payer constitue, au sens des dispositions précitées, un acte de poursuite dont la contestation relève du contentieux du recouvrement.

5. En l'espèce, la SAS " Cardiologie et Urgences " a conclu, dans ses écritures en première instance, à l'annulation, outre du titre exécutoire du 22 janvier 2019 et du rejet implicite de son recours gracieux, de l'intégralité des actes de recouvrement subséquents. Elle a notamment joint à sa requête la mise en demeure de payer que le comptable public lui a adressée le 15 avril 2019. Dans cette dernière mesure, le litige se rattache à la contestation d'actes de poursuite délivrés en vue du recouvrement d'une créance non fiscale d'un établissement public de santé, dont il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître. Il y a lieu, en conséquence, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il a retenu sa compétence sur ce point et, statuant immédiatement par voie d'évocation, de rejeter les conclusions de la demande de la SAS " Cardiologie et Urgences " comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. Il appartient, en outre, à la cour de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions de la SAS " Cardiologie et Urgences ".

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

6. Pour demander l'annulation du titre exécutoire n° 856983 du 22 janvier 2019 et la décharge de l'obligation de payer la somme de 2 366,89 euros qui lui est demandée, la SAS " Cardiologie et Urgences " soutient que la prestation que le CHU d'Amiens-Picardie a réalisée pour le compte d'un de ses patients le 16 août 2018 ne pouvait légalement pas être facturée selon la méthode des " tarifs journaliers de prestations " et se voir appliquer le tarif des prestations des services de spécialités coûteuses. D'une part, selon l'appelante, la prestation réalisée était uniquement une séance de dialyse, dont la prise en charge n'a au demeurant pas été particulièrement lourde, pour laquelle la facturation ne peut être réalisée que selon la méthode des " groupes homogènes de séjour ". D'autre part, le montant de 2 366,89 euros retenu par le titre exécutoire du 22 janvier 2019 ne correspond pas aux montants mentionnés sur le relevé des actes qui a été remis directement au patient par le CHU d'Amiens-Picardie.

7. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du compte-rendu de l'hospitalisation du patient adressé par la SAS " Cardiologie et Urgences " au CHU d'Amiens-Picardie le 16 août 2018, que l'intéressé a été pris en charge dans une unité de soins intensifs de néphrologie et transplantation rénale. Il a ainsi bénéficié d'une prise en charge hospitalière, incluant une surveillance renforcée et l'intervention d'un grand nombre de personnels spécialisés, sans commune mesure avec celle que suppose en temps normal une dialyse. La SAS " Cardiologie et Urgences " ne conteste pas, au demeurant, qu'elle a orienté son patient vers le CHU d'Amiens-Picardie, plutôt que vers son centre de dialyse habituel, précisément en raison des risques qu'il présentait et afin de bénéficier d'une telle prise en charge renforcée. Contrairement à ce que soutient la SAS " Cardiologie et Urgences ", les prestations assurées par le CHU d'Amiens-Picardie ne peuvent donc pas être regardées comme s'étant limitées à la réalisation d'une séance d'hémodialyse mais incluaient une prestation spécifique d'hospitalisation en unité de soins intensifs de néphrologie. Il s'ensuit que la SAS " Cardiologie et Urgences " n'établit pas que leur facturation ne pouvait s'effectuer que dans le cadre applicable aux hémodialyses. Elle n'établit pas davantage ni ne démontre que le cadre retenu par le CHU d'Amiens-Picardie, notamment le recours à la méthode des " tarifs journaliers de prestations " et au tarif des prestations des services de spécialités coûteuses, dont font partie les prises en charge en soins intensifs de néphrologie, n'était pas applicable aux prestations de soins intensifs qu'il a ainsi effectivement assurés. Enfin, les montants mentionnés sur le relevé des actes remis, à titre d'information, au patient sont sans incidence sur la facturation des prestations effectivement réalisées. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur de droit commise par le CHU d'Amiens-Picardie doit être écarté.

8. Il résulte de ce qui précède que la SAS " Cardiologie et Urgences " n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du titre exécutoire n° 856983 du 22 janvier 2019 et du rejet implicite de son recours gracieux et celles tendant à ce qu'elle soit déchargée de l'obligation de payer la somme de 2 366,89 euros qui lui est demandée.

Sur les frais liés au litige :

9. Aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, ou pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". Lorsque le requérant, après avoir obtenu l'annulation du jugement de première instance, voit sa demande initiale rejetée par le juge d'appel statuant par la voie de l'évocation, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le défendeur soit condamné à lui verser la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

10. Dès lors, d'une part, que la SAS " Cardiologie et Urgences " n'obtient l'annulation du jugement attaqué comme irrégulier uniquement en tant qu'il statue au fond sur ses conclusions tendant à l'annulation des actes de recouvrement mais, d'autre part, que ces mêmes conclusions sont rejetées par la voie de l'évocation comme étant portées devant un ordre de juridiction incompétent et que ses autres conclusions sont rejetées par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, elle doit être regardée comme la partie perdante au sens de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge le paiement au CHU d'Amiens-Picardie d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Les conclusions au même titre de la SAS " Cardiologie et Urgences " doivent, en revanche et pour les mêmes motifs, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1902384 du 2 juin 2022 du tribunal administratif d'Amiens est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions de la SAS " Cardiologie et Urgences " tendant à l'annulation des actes de recouvrement, dont la mise en demeure de payer du 15 avril 2017.

Article 2 : La demande de la SAS " Cardiologie et Urgences " tendant à l'annulation des actes de recouvrement, dont la mise en demeure de payer du 15 avril 2017, est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SAS " Cardiologie et Urgences " est rejeté.

Article 4 : La SAS " Cardiologie et Urgences " versera au CHU d'Amiens-Picardie une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée " Cardiologie et Urgences " et au centre hospitalier universitaire d'Amiens-Picardie.

Délibéré après l'audience publique du 31 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Thierry Sorin, président de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLe président de chambre,

Signé : T. Sorin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA01583


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01583
Date de la décision : 14/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : CABINET AKILYS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-11-14;22da01583 ?
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