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31/10/2023 | FRANCE | N°21DA02237

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 31 octobre 2023, 21DA02237


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision implicite par laquelle la commune de Jaulzy a rejeté leur demande indemnitaire du 18 décembre 2018 au regard des troubles et nuisances divers qu'ils estiment subir en raison de la présence d'une aire de jeux à proximité de leur domicile.

Par un jugement n° 1901141 du 20 juillet 2021, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoi

re, enregistrés les 20 septembre 2021 et 23 janvier 2023, M. et Mme A..., représentés par Me...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision implicite par laquelle la commune de Jaulzy a rejeté leur demande indemnitaire du 18 décembre 2018 au regard des troubles et nuisances divers qu'ils estiment subir en raison de la présence d'une aire de jeux à proximité de leur domicile.

Par un jugement n° 1901141 du 20 juillet 2021, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 septembre 2021 et 23 janvier 2023, M. et Mme A..., représentés par Me Pierre-Edouard Szymanski, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cette décision implicite de rejet ;

3°) de condamner la commune de Jaulzy à leur verser la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice ;

4°) d'enjoindre à la commune de Jaulzy de prendre les mesures de nature à faire cesser les troubles anormaux générés par l'aire de jeux, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) et de mettre à la charge de la commune de Jaulzy le paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils subissent des dommages permanents provenant d'un ouvrage public ;

- la présence de l'aire de jeux est à l'origine de nuisances sonores diurnes et nocturnes et d'insécurité ;

- ils subissent un préjudice de 5 000 euros au titre des troubles de jouissance ;

- l'avocat de la commune est incompétent pour opposer la prescription, que seul le maire ou un adjoint délégué à cet effet a qualité pour opposer ; en tout état de cause, la créance n'est pas prescrite, les dommages étant évolutifs ;

- le pouvoir d'injonction du juge n'est pas subordonné à la démonstration d'une faute ; en l'espèce, l'inaction du maire est fautive.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 septembre 2022 et 2 février 2023, la commune de Jaulzy, représentée par Me Matthieu Malnoy, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de M. et Mme A... le paiement de la somme de 2 500 euros de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- compte tenu des règles de prescription quadriennale, la créance allégée est prescrite, les nuisances remontant à 2007 et la demande n'ayant pas été formée avant le 31 décembre 2011 ; l'avocat de la commune est compétent pour opposer cette prescription ; le caractère évolutif des dommages n'est pas établi ;

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de M. et Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B... A..., résidant au 6 rue de la mairie à Jaulzy (Oise), ont demandé, le 18 décembre 2018, à la commune de Jaulzy de les indemniser de troubles et nuisances résultant de la présence d'une aire de jeux jouxtant leur domicile et de prendre des mesures destinées à faire cesser ces troubles et nuisances. Cette demande ayant été implicitement rejetée, ils ont saisi le tribunal administratif d'Amiens de conclusions indemnitaires et de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de mettre fin aux troubles et nuisances qu'ils estiment subir. Ils relèvent appel du jugement du 20 juillet 2021 par lequel le tribunal a rejeté leurs demandes.

Sur la prescription :

2. D'une part, l'avocat, à qui l'administration a donné mandat pour la représenter en justice et qui, à ce titre, est habilité à opposer pour la défense des intérêts de cette dernière toute fin de non-recevoir et toute exception, doit être regardé comme ayant été également mandaté pour opposer l'exception de prescription aux conclusions du requérant tendant à la condamnation de cette administration à l'indemniser. Par suite, le moyen de M. et Mme A... tiré de ce que l'avocat de la commune serait incompétent pour opposer l'exception de prescription doit être écarté.

3. D'autre part, le premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics dispose que : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Aux termes du premier alinéa de son article 7 : " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ". Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 précité, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.

4. Le préjudice moral que M. et Mme A... indiquent subir, à raison des troubles et nuisances causés par l'aire de jeux voisine de leur domicile, revêt un caractère continu et évolutif. Par ailleurs, rien ne fait obstacle à ce que ce préjudice soit mesuré dès qu'il a été subi. Il s'ensuit que la créance indemnitaire qui résulte de ce préjudice doit être rattachée, dans la mesure où il s'y rapporte, à chacune des années au cours desquelles il a été subi. M. et Mme A..., qui font valoir dans leur requête avoir subi des nuisances non depuis 2007, ainsi que le fait valoir la commune, mais depuis 2011, et ayant d'abord saisi la commune de Jaulzy par un courrier du 18 octobre 2016 auquel la commune a répondu le 28 octobre 2016 relatif aux nuisances en cause, puis par une demande préalable indemnitaire notifiée le 20 décembre 2018, et enfin ayant introduit une recours devant le tribunal administratif d'Amiens par une demande enregistrée au greffe de la juridiction le 4 avril 2019, l'exception de prescription quadriennale opposée en défense par la commune de Jaulzy ne peut être accueillie, s'agissant de la créance dont les requérants se prévalent sur la commune du fait de ces troubles et nuisances, que pour la période antérieure au 31 décembre 2011.

Sur les conclusions indemnitaires :

5. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Il appartient toutefois aux tiers, victimes de ces dommages, d'apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'ils allèguent avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et ces préjudices. Ne sont pas susceptibles d'ouvrir droit à indemnité les préjudices qui n'excèdent pas les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics.

6. En l'espèce, M. et Mme A... produisent, au soutien de leur demande, une trentaine de photographies de détritus et d'objets divers, dont la date et le lieu de prise de vue ne sont pas établis, une seule de ces photographies, également non datée, laissant apparaître un jeu de bascule permettant de justifier de son emplacement. Ils produisent également cinq attestations d'amis ou de connaissances, datées de 2016 et 2017, relatant en termes généraux et non circonstanciés l'existence de troubles et de nuisances liés à l'aire de jeux, des factures attestant de neuf échanges téléphoniques avec la mairie et de trois échanges de messages SMS avec le maire. Si l'existence de certains désagréments liés à l'existence et au fonctionnement de l'aire de jeux jouxtant leur propriété apparaît établie, et ressort notamment des lettres du maire de Jaulzy datées des 28 octobre 2016 et 24 janvier 2017 ainsi que des arrêtés municipaux pris pour réglementer l'usage de l'aire de jeux, les éléments produits par les intéressés, en première instance comme en appel, ne permettent d'établir ni le nombre d'occurrences ni l'ampleur de ces troubles et nuisances au cours des années 2012 à 2016, qui n'ont au demeurant donné lieu à aucune plainte de M. et Mme A... à la gendarmerie malgré l'invitation du maire en ce sens adressée à M. et Mme A... dans sa lettre du 24 janvier 2017, ni au titre des années ultérieures. Ainsi, M. et Mme A... n'établissent pas que les préjudices qu'ils subissent excèderaient les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics.

7. Après avoir expressément indiqué que le moyen tiré de la responsabilité pour faute n'était pas formulé en l'espèce, les requérants indiquent dans leur mémoire du 23 janvier 2023, après l'expiration du délai d'appel, que l'inaction du maire serait fautive. Toutefois, à supposer qu'ils aient ainsi entendu soulever un nouveau moyen, ils ne l'assortissent d'aucune précision ni en droit ni en fait. Ce moyen nouveau n'est, dès lors en tout état de cause, pas assorti de précisions suffisantes permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé, et ne peut donc qu'être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires de M. et Mme A... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Le juge administratif peut, en complément de conclusions indemnitaires, être saisi, dans le cadre d'une action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics, de conclusions tendant à ce qu'il enjoigne à la personne publique de prendre les mesures de nature à mettre fin au dommage ou à en pallier les effets. Toutefois, en l'absence de preuves suffisantes de ce que les préjudices que M. et Mme A... indiquent subir excèderaient les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics, alors au demeurant que la commune de Jaulzy justifie avoir pris des mesures par arrêté pour réglementer l'usage de l'aire de jeux, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. et Mme A... doivent également être rejetées.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leur demande.

Sur les frais de l'instance :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme A... le paiement de la somme de 2 000 euros à verser à la commune de Jaulzy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions du même article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Jaulzy, qui n'est pas la partie perdante, sur ce même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.

Article 2 : M. et Mme A... verseront à la commune de Jaulzy la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... A... et à la commune de Jaulzy.

Copie en sera adressée au préfet de l'Oise.

Délibéré après l'audience publique du 10 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Thierry Sorin, président,

M. Marc Baronnet, président-assesseur,

M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 octobre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : M. BaronnetLe président de chambre,

Signé : T. Sorin

La greffière,

Signé : AS Villette

La République mande et ordonne au préfet de l'Oise en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°21DA02237


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02237
Date de la décision : 31/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SZYMANSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-10-31;21da02237 ?
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