Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé son pays de destination et lui a interdit tout retour en France pendant une durée d'un an.
Par un jugement n° 2200295 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision du 18 octobre 2021 du préfet de la Seine-Maritime interdisant à Mme B... tout retour en France pendant une année et a rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 8 juin 2022, sous le n° 22DA01189, le préfet de
la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il a annulé sa décision du 18 octobre 2021 interdisant à Mme B... tout retour en France pendant une année ;
2°) de rejeter la requête de Mme B... présentée devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- en ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour, la décision d'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination, les moyens de son mémoire en défense de première instance auxquels il se rapporte sont fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2022, Mme B..., représentée par Me Solenn Leprince, conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement, en tant qu'il a fait droit à sa demande d'annulation de la décision lui interdisant tout retour sur le territoire français.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et que la mesure d'interdiction de retour en France est disproportionnée au regard de sa situation personnelle.
Par ordonnance du 24 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 mai 2023.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 septembre 2022.
II. Par une requête enregistrée le 5 août 2022, sous le n° 22DA01759, Mme B..., représentée par Me Solenn Leprince, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement, à l'exception de son article 1er ;
2°) d'annuler les décisions du 18 octobre 2021 portant refus de séjour, portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 31 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- le préfet a méconnu l'autorité de la chose jugée ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle au regard de leur application ;
Sur la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2022, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 24 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 mai 2023.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller honoraire, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 22DA01759 de Mme B... et n° 22DA01189 du préfet de
la Seine-Maritime sont relatives à la situation de Mme B... et présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour y être statué par un seul arrêt.
2. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 25 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision du 18 octobre 2021 interdisant à Mme B... tout retour en France pendant une année. Mme B... relève appel du même jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision de refus de titre de séjour, de la décision l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
4. Mme B..., ressortissante du Burkina Faso née le 3 mai 2000, déclare être entrée en France le 18 septembre 2018. Le 8 octobre 2018, l'intéressée a déposé une demande d'asile qui lui a été refusée par une décision du 24 juillet 2020 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée par une décision du 25 janvier 2021 de la Cour nationale du droit d'asile. L'arrêté du 15 février 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime lui a fait obligation de quitter le territoire français a été annulé par un jugement du 5 mai 2021, devenu définitif. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., arrivée en France à l'âge de dix-huit ans, soit depuis environ trois ans à la date de la décision litige, a suivi un stage à la métropole Rouen Normandie en juin 2019 avec un bilan de fin de stage élogieux et a été scolarisée dès la rentrée scolaire 2019 à l'institut Les Tourelles à Rouen. Elle a obtenu en juin 2020 le brevet d'études professionnelles " métier services administratifs ". En juillet 2020, elle a été sélectionnée, parmi plusieurs candidatures, pour un contrat d'apprentissage par la société SNCF Voyageur qui a dû mettre fin à son contrat le 13 novembre 2020 pour le motif non contesté du refus des services de l'Etat de lui accorder une autorisation de travail. En juin 2021, elle a réussi son baccalauréat professionnel avec la mention " assez bien ". En septembre 2021, elle a été inscrite dans le même établissement en formation de brevet de technicien supérieur " comptabilité gestion " et effectue celle-ci en alternance, en qualité d'apprentie, dans l'entreprise Technomap. Son établissement de formation ainsi que son employeur certifient les mérites et les qualités professionnelles de Mme B.... Cette dernière établit le sérieux de sa relation sentimentale avec M. A..., ressortissant guinéen titulaire d'une carte de résident, pour lequel il n'est pas établi qu'il est légalement admissible au Burkina Faso, relation dont il n'est pas contesté qu'elle dure depuis un peu moins de trois ans à la date de la décision en litige. L'intéressée dispose d'un réseau d'amis sur le territoire français. Deux des membres de la famille qui l'a accueillie peu après son arrivée en France sont en outre restés en contact avec elle. Il n'est pas contesté par le préfet que l'intéressée n'a pas conservé de fortes attaches dans son pays d'origine. Dans les circonstances particulières de l'espèce, la décision de refus de titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de Mme B... au regard de l'application des dispositions précitées de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Mme B... est dès lors fondée à demander l'annulation de la décision du 18 octobre 2021 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime lui a refusé un titre de séjour, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens invoqués au soutien des conclusions dirigées contre cette décision.
5. Par voie de conséquence, il y a lieu d'annuler les décisions préfectorales du même jour obligeant Mme B... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de renvoi de la mesure d'éloignement et lui interdisant tout retour sur le territoire français pendant une année, sans qu'il besoin d'examiner les autres moyens qu'elle invoque.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 18 octobre 2021 lui refusant un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le même jugement, le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision du même jour interdisant à Mme B... tout retour en France pendant une année.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. En raison du motif qui la fonde, l'annulation de l'arrêté attaqué implique nécessairement, sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, que l'autorisation de séjour sollicitée soit délivrée à la requérante sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Il y a dès lors lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer, sous ces mêmes réserves, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Leprince, avocate de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Leprince d'une somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 du jugement du 25 mai 2022 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : Les décisions du 18 octobre 2021 par lesquelles le préfet de la Seine-Maritime a rejeté la demande de titre de séjour de Mme B..., l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement sont annulées.
Article 3 : La requête n° 22DA01189 du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 4 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime, sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, de délivrer à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera à Me Leprince une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Leprince renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime, à Mme B... et à Me Leprince.
Délibéré après l'audience publique du 3 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Jean-Pierre Bouchut, magistrat honoraire.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2023.
Le rapporteur,
Signé : J-P. Bouchut
La présidente de chambre,
Signé : M-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Marécalle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Marécalle
N° 22DA01189,22DA01759
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