Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier Philippe Pinel à lui verser la somme de 46 362,27 euros en réparation des préjudices financiers et moraux qu'elle a subis, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ses intérêts à compter du 26 février 2020, et de mettre à sa charge le paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2002636 du 30 juin 2022, le tribunal administratif d'Amiens a condamné le centre hospitalier Philippe Pinel, devenu l'établissement public de santé mentale de la Somme, à verser à Mme A... la somme de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 février 2020 et de la capitalisation des intérêts à compter du 27 février 2021, au titre des préjudices subis et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 août 2022, Mme A..., représentée par Me Anne-Sophie Chartrelle, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 10 000 euros ;
2°) de condamner le centre hospitalier Philippe Pinel, devenu l'établissement public de santé mentale de la Somme, à lui verser la somme de 46 362,27 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 26 février 2020 ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Philippe Pinel, devenu l'établissement public de santé mentale de la Somme, le paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- ayant préalablement obtenu satisfaction sur ce point, elle n'avait pas saisi le tribunal de conclusions tendant au versement d'une rente viagère et c'est à tort qu'il a considéré le contraire et qu'il a déclaré ces prétendues conclusions comme dépourvues d'objet ;
- la responsabilité du centre hospitalier Philippe Pinel est engagée tant sur le terrain de la responsabilité sans faute que sur celui de la responsabilité fautive ;
- l'illégalité fautive de la décision du 22 décembre 2015 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie l'a contrainte à solliciter prématurément son placement en retraite pour invalidité et l'a privée de la possibilité de bénéficier, dans le cadre d'un congé de longue durée, d'une année supplémentaire à plein traitement et de trois années à demi-traitement ; elle a donc subi un préjudice financier qu'il y a lieu d'indemniser à hauteur de 1 362,27 euros ;
- le centre hospitalier Philippe Pinel est responsable non seulement de l'apparition de ses troubles psychologiques, compte tenu des conditions de travail dans laquelle il l'a placée, mais aussi de leur aggravation, compte tenu de la façon dont il a géré sa situation administrative ; elle a donc subi un préjudice moral qu'il y a lieu d'indemniser à hauteur de 45 000 euros.
La requête a été communiquée à l'établissement public de santé mentale de la Somme qui, malgré une mise en demeure communiquée le 6 mars 2023, n'a pas produit de mémoire en défense.
Par ordonnance du 27 avril 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 31 mai 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Anne-Sophie Chartrelle, représentant Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... était cadre de santé et titulaire de la fonction publique hospitalière. À partir de 2010, elle a présenté un syndrome dépressif. Elle a été successivement placée en congé de maladie ordinaire du 9 mars 2010 au 25 novembre 2010, en disponibilité pour convenance personnelle du 1er janvier 2011 au mois d'août 2011, en congé de longue maladie du 10 octobre 2011 au 9 octobre 2012, en congé de longue durée du 10 octobre 2012 au 9 octobre 2016 et en retraite pour invalidité à compter du 10 octobre 2016. Le 22 novembre 2014, elle a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie. Par une décision du 22 décembre 2015, le directeur du centre hospitalier Philippe Pinel a rejeté cette demande. Par un jugement définitif n° 1600547 du 11 septembre 2018, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette décision. Par une décision du 13 juin 2019, le directeur du centre hospitalier Philippe Pinel a rétroactivement placé Mme A... en congé de longue durée imputable au service pour la période du 10 octobre 2012 au 9 octobre 2016. Par un courrier du 26 février 2020, Mme A... a adressé au centre hospitalier une réclamation indemnitaire préalable tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de sa maladie et de l'illégalité de la décision portant refus de reconnaissance de son imputabilité au service. Le silence gardé par l'établissement a fait naître une décision implicite de rejet. Mme A... relève appel du jugement n° 2002636 du 30 juin 2022 du tribunal administratif d'Amiens en tant qu'il a limité son indemnisation à la somme de 10 000 euros.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Mme A... ne conteste pas que, préalablement à l'enregistrement de sa requête contentieuse au greffe du tribunal administratif d'Amiens, elle a obtenu, ainsi que les premiers juges l'ont relevé, l'attribution d'une rente viagère avec effet au 10 octobre 2016. Elle n'établit pas davantage ni même n'allègue avoir contesté la rente lui ayant ainsi été attribuée, que ce soit dans son principe, son montant ou ses modalités. Dans ces conditions, et à supposer même qu'elle n'ait pas entendu en saisir les premiers juges, c'est sans entacher leur jugement d'irrégularité que ces derniers ont pu constater que ses demandes en la matière n'avaient plus d'objet.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier Philippe Pinel :
3. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 80 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière qui instituent, en faveur des fonctionnaires hospitaliers victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.
S'agissant de la responsabilité sans faute pour risque :
4. Il résulte de l'instruction, notamment des documents à caractère médical produits par Mme A..., qu'elle a développé, à compter de l'année 2010, un syndrome dépressif majeur, se manifestant par des idées noires, des troubles de la concentration, une perte de l'estime de soi, des ruminations anxieuses quotidiennes, des troubles du sommeil et un repli sur soi avec des difficultés à sortir. Ces troubles sont apparus alors que Mme A... était chargée d'un projet de réorganisation du secteur d'hospitalisation à domicile du centre hospitalier Philippe Pinel dans lequel elle avait été récemment affectée et alors que ce projet était à l'origine de très vives tensions avec ses équipes. Les différents praticiens ayant examiné Mme A... et ayant eu à connaître de sa situation n'ont relevé aucun antécédent, ni aucune autre cause au développement de cette affection. Le directeur du centre hospitalier Philippe Pinel a reconnu son imputabilité au service par une décision du 13 juin 2019. Il en va de même de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) qui l'a admise au bénéfice d'un rente d'invalidité par une décision du 4 août 2020. Dans ces conditions, Mme A... doit être regardée comme ayant contracté une maladie professionnelle qui, en elle-même, oblige le centre hospitalier Philippe Pinel, devenu l'établissement public de santé mentale de la Somme, à réparer intégralement les préjudices patrimoniaux et personnels en résultant, autres que les pertes de revenus et l'incidence professionnelle.
S'agissant de la responsabilité pour faute :
5. Si, ainsi qu'il vient d'être dit, le syndrome dépressif développé par Mme A... est en lien direct avec les difficultés professionnelles qu'elle a rencontrées à partir de son affectation dans le secteur d'hospitalisation à domicile du centre hospitalier Philippe Pinel fin 2009, elle n'apporte, en revanche, aucun élément de nature à établir que des fautes de cet établissement dans l'organisation ou le fonctionnement du service auraient directement et certainement concouru à ces difficultés et, par suite, à l'apparition ou à l'aggravation de son affection. En revanche, il est constant que la décision du 22 décembre 2015 par laquelle le directeur du centre hospitalier Philippe Pinel a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme A... a été annulée pour un motif d'erreur de droit par un jugement définitif n° 1600547 du 11 septembre 2018 du tribunal administratif d'Amiens et, qu'à la suite du réexamen que l'exécution de ce jugement imposait, l'établissement a finalement reconnu l'imputabilité au service par une décision du 13 juin 2019. Cette illégalité constitue une faute qui oblige le centre hospitalier Philippe Pinel, devenu l'établissement public de santé mentale de la Somme, à réparer intégralement les préjudices en résultant certainement et directement.
En ce qui concerne l'indemnisation de Mme A... :
S'agissant du préjudice financier :
6. D'une part, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986, dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) / 4° A un congé de longue durée, en cas de tuberculose, maladie mentale, affection cancéreuse, poliomyélite ou déficit immunitaire grave et acquis, de trois ans à plein traitement et de deux ans à demi-traitement. Le fonctionnaire conserve ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. / Si la maladie ouvrant droit à congé de longue durée a été contractée dans l'exercice des fonctions, les périodes fixées ci-dessus sont respectivement portées à cinq ans et trois ans. / (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 35 du décret du 19 avril 1988 : " Le fonctionnaire ne pouvant, à l'expiration de la dernière période de congé de longue maladie ou de longue durée, reprendre son service est soit reclassé dans un autre emploi, soit mis en disponibilité, soit admis à la retraite après avis de la commission de réforme. / Pendant toute la durée de la procédure requérant soit l'avis du comité médical, soit l'avis de la commission de réforme, soit l'avis de ces deux instances, le paiement du demi-traitement est maintenu jusqu'à la date de la décision de reprise de service ou de réintégration, de reclassement, de mise en disponibilité ou d'admission à la retraite ".
7. Il résulte de l'instruction que Mme A... a été radiée des cadres pour invalidité et a été admise à faire valoir ses droits à la retraite, par une décision du directeur du centre hospitalier Philippe Pinel du 14 novembre 2016, avec effet au 10 octobre 2016. Cette décision a été prise à la suite d'une demande de sa part, formulée par un courrier daté du 27 février 2016 adressé à la direction des ressources humaines du centre hospitalier Philippe Pinel. Contrairement à ce que soutient Mme A..., il résulte des dispositions citées au point précédent de l'article 35 du décret du 19 avril 1988 que le refus par l'établissement de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie ne rendait pas inéluctable son admission à la retraite pour invalidité, ni ne l'exposait, en l'absence de demande de sa part, à l'interruption de toute rémunération. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que Mme A... avait déjà formulé, avant de se raviser, une demande d'admission à la retraite pour invalidité dans le courant de l'année 2014, alors que ses droits à congé de longue durée étaient encore loin d'être expirés. Il s'ensuit que la demande qu'elle a réitérée le 27 février 2016 doit être regardée comme ayant eu un caractère volontaire et ne résulte pas directement ni nécessairement du refus de l'établissement de reconnaître l'imputabilité au servie de sa maladie. Mme A... n'est dès lors pas fondée à demander une indemnisation du préjudice financier de 1 362,27 euros qu'elle estime avoir subi, correspondant à la différence entre ce qu'elle aurait dû percevoir en étant placée en congé de longue durée imputable au service et ce qu'elle a perçu en étant placée à la retraite pour invalidité.
S'agissant du préjudice moral :
8. Il résulte de l'instruction que Mme A... a développé un syndrome dépressif majeur qui, ainsi qu'il a été dit au point 4, est imputable au service. Ce syndrome s'est manifesté par des idées noires, des troubles de la concentration, une perte de l'estime de soi, des ruminations anxieuses quotidiennes, des troubles du sommeil et un repli sur soi avec des difficultés à sortir. Il a en outre conduit à l'interruption de la vie professionnelle de Mme A... qui a successivement été placée en congé de longue maladie, en congé de longue durée puis en retraite pour invalidité permanente et définitive. L'illégalité du refus de l'établissement de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie l'a en outre astreinte à effectuer des démarches contentieuses afin d'être rétablie dans ses droits. Il s'ensuit que Mme A... a subi, du fait de sa maladie professionnelle dont le centre hospitalier Philippe Pinel doit assurer la réparation au titre de la responsabilité sans faute pour risque et du fait de l'illégalité fautive de la décision de refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de cette même maladie, un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en lui allouant une indemnité globale de 10 000 euros.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier Philippe Pinel, devenu l'établissement public de santé mentale de la Somme, doit seulement être condamné à verser à Mme A..., en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de la maladie qu'elle a contractée en service et de l'illégalité fautive du refus de l'établissement de reconnaître son imputabilité au service, la somme de 10 000 euros. Il s'ensuit que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a limité à ce même montant la condamnation qu'il a prononcée à l'encontre du centre hospitalier Philippe Pinel. Ses conclusions tendant à la réformation du jugement attaqué doivent dès lors être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, celles relatives aux intérêts et à la capitalisation des intérêts, que les premiers juges ont à raison fait courir à compter respectivement du 27 février 2020, date de la réception par l'établissement de sa requête indemnitaire préalable, et du 27 février 2021, date du premier anniversaire de celle-ci.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'établissement public de santé mentale de la Somme, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le paiement de la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à l'établissement public de santé mentale de la Somme.
Délibéré après l'audience publique du 27 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Thierry Sorin, président de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : T. Sorin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Anne-Sophie Villette
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N°22DA01862