Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné d'office, d'enjoindre au préfet de
la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ainsi que de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros hors taxes à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Par un jugement n° 2200311 du 25 mai 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 septembre 2022, M. D..., représenté par Me Mary, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2021 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire valable un an, dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, sous réserve de la renonciation de son avocat à percevoir l'aide juridictionnelle, une somme de 1 500 euros à verser à la Selarl Mary et Inquimbert sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de refus de titre de séjour est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen, notamment au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il justifie de plusieurs motifs d'admission exceptionnelle au séjour de sorte que le refus de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; à cet égard, il remplit les conditions fixées par la circulaire du 28 février 2012 ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle doit être annulée par voie d'exception d'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination est dépourvue de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire ;
- elle méconnaît le principe général du droit de l'Union européenne d'être entendu ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2022, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er septembre 2022.
Par une ordonnance du 15 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 10 janvier 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313 23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... D..., ressortissant de la République démocratique du Congo, né le 12 décembre 1958 serait, selon ses déclarations, entré irrégulièrement en France en janvier 2014, accompagné de son épouse, Mme A... B..., de même nationalité. Tout comme son épouse, M. D... a été débouté le 17 juin 2014 de sa demande d'asile par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, confirmée le 1er septembre 2015 par la cour nationale du droit d'asile. Son épouse ayant sollicité, le 12 octobre 2015, son admission au séjour en raison de son état de santé et obtenu un titre de séjour pour ce motif, M. D... a été admis au séjour en tant qu'accompagnant. Délivré par le préfet de la Seine-Maritime sur le fondement des dispositions alors en vigueur du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le titre de séjour de son épouse a ensuite été régulièrement renouvelé jusqu'au 3 avril 2018. Corrélativement, M. D... a alors de nouveau été mis en possession de titres de séjour en qualité d'accompagnant. Le 1er mars 2018, Mme A... B... a demandé le renouvellement de son titre de séjour en qualité d'étranger malade et M. D... l'a sollicité en qualité d'accompagnant, ce que le préfet de la Seine-Maritime leur a refusé par deux arrêtés du 6 novembre 2019 assortis d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d'une décision fixant le pays à destination duquel ils pourraient être reconduits d'office. M. D... a contesté l'arrêté le concernant devant le tribunal administratif de Rouen qui a rejeté sa demande par un jugement n° 2000262 du 29 mai 2020 et son appel a été rejeté par une ordonnance n° 20DA01685 du 21 janvier 2021 de la présidente de la troisième chambre de la cour de céans. Quelques mois après, le 24 juin 2021, son épouse, Mme A... B..., a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement désormais applicable de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en faisant à nouveau valoir son état de santé tandis que M. D... a sollicité un titre de séjour en qualité d'accompagnant, sur le fondement de l'article L. 435-1 du code précité. Par deux arrêtés datés du 11 octobre 2021, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de délivrer le titre de séjour demandé par chacun des époux, les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourraient être reconduits d'office. M. D... relève appel du jugement du 25 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 octobre 2021 le concernant.
Sur le bien-fondé du jugement :
Sur les conclusions à fins d'annulation de l'arrêté du 11 octobre 2021 :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. D... et son épouse, Mme A... B..., séjournent sur le territoire français depuis le mois de janvier 2014 et que l'état de santé de cette dernière a justifié la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade régulièrement renouvelé jusqu'au 3 avril 2018. M. D... a parallèlement, jusqu'à cette même date, été autorisé à séjourner en qualité d'accompagnant. Compte tenu de la situation liée à l'état de santé de Mme A... B..., la cour, par un arrêt de ce jour, a annulé les décisions de refus de séjour, d'obligation de quitter le territoire français et de fixation du pays de destination que le préfet de la Seine-Maritime a opposées le 11 octobre 2021 à l'épouse de l'appelant, au motif que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'avait pas été sollicité préalablement à l'édiction du refus de délivrance du titre de séjour. Par conséquent, dans les circonstances de l'espèce, eu égard aux liens non contestés qui unissent M. D... à son épouse, le préfet doit être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé en refusant de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'accompagnant de son épouse qui allègue être atteinte d'une maladie nécessitant une prise en charge en France, méconnaissant ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, M. D... est fondé à demander l'annulation du refus de titre de séjour et, par voie de conséquence, celle de la décision portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
4. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 11 octobre 2021. Dès lors, le jugement du 25 mai 2022 et l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 11 octobre 2021 doivent être annulés.
Sur les conclusions à fins d'injonction :
5. Le présent arrêt n'implique pas nécessairement que le préfet de la Seine-Maritime délivre à M. D... un titre de séjour. Il y a lieu, en revanche, d'enjoindre au préfet de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé en lien avec celle de son épouse, dans le délai de trois mois à compter de la notification de cet arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour. Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". Aux termes des deuxième et troisième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat pouvant être rétribué, totalement ou partiellement, au titre de l'aide juridictionnelle, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. (...) / Si l'avocat du bénéficiaire de l'aide recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat ".
7. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Mary, avocat de l'appelant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Mary de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 25 mai 2022 et l'arrêté du 11 octobre 2021 du préfet de la Seine-Maritime sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de réexaminer la situation de M. D... en lien avec celle de son épouse, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me Mary une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Antoine Mary.
Copie en sera délivrée au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 19 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2023.
Le rapporteur,
Signé : F. Malfoy
La présidente de chambre,
Signé : M-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Sire
N°22DA02008 2