Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2019 par lequel le président du conseil départemental du Nord a restreint son agrément d'accueillante familiale à deux personnes, d'enjoindre à ce dernier de lui attribuer à nouveau un agrément lui permettant d'accueillir trois personnes, sous astreinte de cent euros par jour de retard, et de mettre à la charge du département du Nord le paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2000327 du 8 mars 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 mai 2022 et 30 mars 2023, Mme B..., représentée par Me Manon Leuliet, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2019 du président du conseil départemental du Nord ;
3°) d'enjoindre au président du conseil départemental du Nord de lui attribuer à nouveau un agrément lui permettant d'accueillir trois personnes, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge du département du Nord, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de la première instance et de la somme de 3 000 euros au titre de l'instance d'appel.
Elle soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée, au regard des exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière en raison de la méconnaissance des dispositions des articles L. 441-2 et R. 441-9 du code de l'action sociale et des familles dès lors qu'il ne lui a pas été enjoint, au préalable, de remédier au dysfonctionnement sur le fondement duquel la décision de restriction d'agrément a été prise ;
- la procédure suivie a également méconnu les dispositions de l'article R. 441-11 du code de l'action sociale et des familles dès lors qu'elle n'a pris connaissance que devant la commission consultative du grief relatif à l'accueil irrégulier de deux personnes dans une chambre ; en outre, une visite est intervenue le 30 octobre 2019, en dehors de la période d'injonction relative au grief issu du courrier adressé par le fils d'une personne accueillie ;
- la décision est entachée d'illégalité dès lors qu'aucune disposition n'impose que les personnes vivant ensemble dans une chambre double soient un couple de conjoints, de concubins ou de personnes ayant conclu un pacte civil de solidarité et que cette décision est fondée sur le référentiel d'agrément des accueillants familiaux, figurant à l'annexe 3-8-3 du code de l'action sociale et des familles, lui-même illégal ;
- elle est entachée, enfin, d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 441-1 du code de l'action sociale et des familles.
Par deux mémoires enregistrés les 20 février et 10 mai 2023, le département du Nord, représenté par Me Jean-Alexandre Cano, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de Mme B... le paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par l'appelante n'est fondé.
Par ordonnance du 10 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 mai 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le décret n° 2016-1785 du 19 décembre 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique ;
- les observations de Me Manon Leuliet, représentant Mme B... ;
- et les observations de Me Mathilde Reis, représentant le département du Nord.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... a obtenu un agrément en qualité d'accueillante familiale en septembre 1991, régulièrement renouvelé depuis et en dernier lieu par un arrêté du 22 novembre 2016 du président du conseil départemental du Nord. A compter de 1999, elle a accueilli trois personnes âgées. A la suite d'une procédure d'injonction débutée le 4 juillet 2019 et de l'avis favorable de la commission consultative de retrait réunie le 8 novembre 2019, le président du conseil départemental du Nord a, par une décision du 18 novembre 2019, restreint l'agrément de Mme B... à l'accueil de deux personnes âgées ou adultes handicapés au maximum. Mme B... fait appel du jugement n° 2000327 du 8 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 novembre 2019 du président du conseil départemental du Nord et à ce qu'il soit enjoint à ce dernier de lui accorder à nouveau un agrément permettant l'accueil de trois personnes âgées ou handicapées.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 441-1 du code de l'action sociale et des familles : " (...) / L'agrément ne peut être accordé que si les conditions d'accueil garantissent la continuité de celui-ci, la protection de la santé, la sécurité et le bien-être physique et moral des personnes accueillies, si les accueillants se sont engagés à suivre une formation initiale et continue et une initiation aux gestes de secourisme organisées par le président du conseil départemental et si un suivi social et médico-social des personnes accueillies peut être assuré. Un décret en Conseil d'Etat fixe les critères d'agrément. / (...)". Aux termes de l'article L. 441-2 du même code : " Le président du conseil départemental organise le contrôle des accueillants familiaux, de leurs remplaçants et le suivi social et médico-social des personnes accueillies. / Si les conditions mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 441-1 cessent d'être remplies, il enjoint l'accueillant familial d'y remédier dans un délai fixé par le décret mentionné au même article. S'il n'a pas été satisfait à cette injonction, l'agrément est retiré après avis de la commission consultative ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 441-6-1 : " Le contenu d'un agrément en cours de validité peut être modifié par arrêté du président du conseil départemental, sur demande motivée de l'accueillant familial ou, si les conditions de l'agrément le justifient, à l'initiative du président du conseil départemental. (...) / Toute décision conduisant, à l'initiative du président du conseil départemental, à restreindre un agrément en cours de validité, notamment par une réduction du nombre, des catégories de personnes susceptibles d'être accueillies ou de la temporalité de l'accueil, est soumise à la procédure applicable en cas de retrait d'agrément. / (...) ". Aux termes de l'article R. 441-11 : " Lorsque le président du conseil départemental envisage dans les conditions prévues à l'article L. 441-2 de retirer un agrément ou d'y apporter une restriction, il saisit pour avis la commission consultative de retrait en lui indiquant le contenu de l'injonction préalable et les motifs de la décision envisagée. / (...) / L'accueillant familial concerné est informé un mois au moins avant la date de la réunion de la commission, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, des motifs de la décision envisagée à son encontre. (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'avant de restreindre un agrément en cours de validité, le président du conseil départemental doit enjoindre à l'accueillant familial de remédier aux manquements sur le fondement desquels il envisage cette décision puis saisir la commission consultative de retrait pour avis. Dans ce cadre, celle-ci doit elle-même être informée du contenu de l'injonction préalable et informer à son tour l'accueillant familial, au moins un mois avant la date de sa réunion, des motifs précis de la décision qu'il est envisagé de prendre à son encontre. Il s'ensuit que le président du conseil départemental ne peut, sans priver l'intéressé d'une garantie, fonder sa décision de retrait ou de restriction d'agrément sur des griefs autres que ceux qui ont fait l'objet de son injonction préalable.
5. En l'espèce, le président du conseil départemental du Nord a engagé une procédure d'injonction à l'égard de Mme B... par un courrier du 4 juillet 2019 qui se borne à faire état, en des termes au demeurant particulièrement larges et imprécis, d'" éléments de dysfonctionnement [portant] sur l'article R. 441-1 " et de ce qu'un suivi et un accompagnement seront mis en place concernant " la continuité de l'accueil ", " la qualité de l'accueil " et " la prise en charge des soins des personnes accueillies ", ce qui n'a mis Mme B... ni à même de comprendre la teneur exacte des manquements que le département était susceptible de lui opposer au terme de la procédure, ni à même d'y remédier dans le délai imparti avant la saisine de la commission consultative de retrait. Il résulte en outre des pièces du dossier, notamment du courrier précité mais également de deux courriers antérieurs des 20 et 27 juin 2019 ainsi que du compte-rendu d'un entretien que Mme B... a eu avec les services du département le 4 juillet 2019, que cette procédure fait directement suite à un courrier adressé le 22 mai 2019 aux services du département par le fils d'une personne accueillie chez Mme B... et faisant état de plusieurs manquements de cette dernière. Ni le courrier du 4 juillet 2019, ni le signalement à l'origine de la procédure ne mentionnent que l'accueil de deux personnes se fait en chambre double et que cette circonstance ne satisfait pas au référentiel d'agrément applicable. Dans le courrier du 4 octobre 2019 informant Mme B... de la réunion de la commission consultative de retrait, ce motif n'est, en outre, pas davantage présenté comme étant susceptible de fonder la restriction de son agrément, contrairement à ce que prévoient les dispositions de l'article R. 441-11 du code de l'action sociale et des familles citées au point 3. Dans ces conditions, et compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, le président du conseil départemental ne pouvait pas régulièrement, et sans priver Mme B... d'une garantie, retenir ce motif pour justifier la restriction de son agrément, quand bien même des échanges avaient par ailleurs déjà eu lieu à ce sujet entre l'intéressée et ses services. Mme B... a, en outre, été privée de la garantie d'être informée avant la séance de la commission consultative de retrait du motif précis de la décision susceptible d'être prise à son encontre. Les moyens tirés de ce que la décision attaquée a, pour ces motifs, été prise à l'issue d'une procédure irrégulière doivent, dès lors, être accueillis.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée, pour ces seuls motifs, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 novembre 2019 du président du conseil départemental du Nord. Aucun des autres moyens de sa requête n'est en revanche susceptible, en l'état du dossier, de fonder l'annulation de cette décision. Il convient donc de prononcer l'annulation du jugement n° 2000327 du 8 mars 2022 du tribunal administratif de Lille et de la décision du 18 novembre 2019 du président du conseil départemental du Nord.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. L'annulation de la décision du 18 novembre 2019 portant restriction de l'agrément de Mme B..., dont la date de validité expirait le 31 décembre 2021, n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mme B..., qui sont devenues sans objet, doivent, dès lors, être rejetées, en toute hypothèse.
Sur les frais liés au litige :
8. Aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, ou pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le paiement de la somme que le département du Nord demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche et dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département du Nord le paiement d'une somme globale de 2 000 euros à verser à Mme B..., au titre des frais exposés par elle tant devant le tribunal administratif de Lille que devant la cour administrative d'appel de Douai.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000327 du 8 mars 2022 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La décision du 18 novembre 2019 du président du conseil départemental du Nord est annulée.
Article 3 : Le département du Nord versera à Mme B... une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au département du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 12 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Thierry Sorin, président de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur ;
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2023.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de chambre,
Signé : T. Sorin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
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N°22DA00979