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27/09/2023 | FRANCE | N°22DA00974

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 27 septembre 2023, 22DA00974


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile d'exploitation agricole (SCEA) " Ferme des Lesques " a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler l'arrêté n° 19-0069 du 24 septembre 2019 du préfet de la région Normandie en tant qu'il refuse de lui accorder une autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées ZM9, ZN11 et ZN29, d'une superficie de 21 ha 73 a, situées à Auzouville-sur-Ry, d'autre part, d'annuler l'arrêté n° 19-0070 du 24 septembre 2019 par lequel le préfet de la région Normandie a accordé

l'autorisation d'exploiter ces mêmes parcelles à la SCEA " du Bel Event " et en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile d'exploitation agricole (SCEA) " Ferme des Lesques " a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler l'arrêté n° 19-0069 du 24 septembre 2019 du préfet de la région Normandie en tant qu'il refuse de lui accorder une autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées ZM9, ZN11 et ZN29, d'une superficie de 21 ha 73 a, situées à Auzouville-sur-Ry, d'autre part, d'annuler l'arrêté n° 19-0070 du 24 septembre 2019 par lequel le préfet de la région Normandie a accordé l'autorisation d'exploiter ces mêmes parcelles à la SCEA " du Bel Event " et enfin de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2000524 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 mai 2022 et 17 novembre 2022, la SCEA " Ferme des Lesques ", représentée par Me Béatrice Ottaviani, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté n° 19-0069 du 24 septembre 2019 en tant qu'il lui refuse l'autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées ZM9, ZN11 et ZN29 situées à Auzouville-sur-Ry ;

3°) d'annuler l'arrêté n° 19-0070 du 24 septembre 2019 ;

4°) d'enjoindre au préfet de la région Normandie de lui délivrer dans un délai d'un mois l'autorisation d'exploiter les trois parcelles litigieuses, cadastrées ZM9, ZN11 et ZN29 ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le préfet a méconnu l'article R. 331-6 du code rural et de la pêche maritime ; il a, à tort, considéré que sa demande d'autorisation d'exploiter portait sur la parcelle ZH13 ; il n'a pas mentionné les parcelles ZM19, AC10, C440, ZM1, ZM5, C246, C251, C252, C449, C480, ZM6, ZM23, ZM2, C392 à Auzouville-sur-Ry et ZH2 à Perruel ;

- le préfet a méconnu l'article L. 331-1 du code rural et de la pêche maritime ; sa demande portait seulement sur un changement de forme juridique, passant d'une indivision à une société ; le préfet ne pouvait dès lors considérer qu'il était saisi de deux demandes concurrentes ; en outre, c'est à tort que le préfet a considéré que sa demande relevait du rang de priorité n° 4 " autre installation aidée ou non " alors qu'elle relève du rang de priorité n° 2 ;

- les arrêtés attaqués sont insuffisamment motivés au regard des articles L. 331-1, L. 331-3 et L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime ; la demande de la SCEA " du Bel Event " a été classée au rang de priorité n° 2 sur le seul fondement de la surface exploitée et sans prise en compte du coefficient correcteur prévu par le schéma directeur régional des exploitations agricoles pour les élevages de poulets de chair et de poules pondeuses ; en outre, la demande de la SCEA " du Bel Event " ne pouvait pas être regardée comme sérieuse dès lors qu'elle n'est pas titulaire d'un bail sur les parcelles litigieuses, qu'elle a renoncé à leur acquisition et que ses associés sont pluriactifs.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 décembre 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par l'appelante n'est fondé.

La SCEA " du Bel Event " a présenté, sans le ministère d'un avocat, des mémoires enregistrés les 16 septembre 2022 et 26 décembre 2022, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué.

Par ordonnance du 2 janvier 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 23 janvier 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- l'arrêté du 20 juillet 2015 fixant les modalités de calcul des équivalences par type de production, région naturelle ou territoire pour l'établissement du schéma directeur régional des exploitations agricoles ;

- l'arrêté du 22 décembre 2015 du préfet de la région Haute-Normandie relatif au schéma directeur régional des exploitations agricoles de la région Haute-Normandie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 8 avril 2019, la SCEA " Ferme des Lesques " a demandé l'autorisation d'exploiter une superficie de 145 hectares 83 ares de terres agricoles situées dans les communes d'Auzouville-sur-Ry (Seine-Maritime) et de Perruel (Eure). Le 26 juin 2019, la SCEA " du Bel Event " a demandé l'autorisation d'exploiter une superficie de 25 hectares 96 ares de terres agricoles situées dans les mêmes communes. Ces deux demandes sont concurrentes à hauteur d'une superficie de 21 hectares 73 ares correspondant aux parcelles cadastrées ZM9, ZN11 et ZN29 situées à Auzouville-sur-Ry. Par un arrêté n° 19-0069 du 24 septembre 2019, le préfet de la région Normandie a accordé à la SCEA " Ferme des Lesques " l'autorisation d'exploiter une superficie de 124 hectares 10 ares mais lui a refusé celle d'exploiter les trois parcelles ZM9, ZN11 et ZN29 situées à Auzouville-sur-Ry. Par un arrêté n° 19-0070 du même jour, le préfet de la région Normandie a accordé à la SCEA " du Bel Event " l'autorisation d'exploiter la superficie de 25 hectares 96 ares qu'elle sollicitait, incluant donc les trois parcelles précitées refusées à la SCEA " Ferme des Lesques ". La SCEA " Ferme des Lesques " relève appel du jugement du 15 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation totale de l'arrêté n° 19-0070 du 24 septembre 20109 et à l'annulation partielle de l'arrêté n° 19-0069 du même jour, en tant qu'il lui refuse l'autorisation d'exploiter les trois parcelles cadastrées ZM9, ZN11 et ZN29 situées à Auzouville-sur-Ry.

Sur la recevabilité des mémoires en défense de la SCEA " du Bel Event " :

2. Aux termes de l'article R. 811-7 du code de justice administrative : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 774-8, les appels ainsi que les mémoires déposés devant la cour administrative d'appel doivent être présentés, à peine d'irrecevabilité, par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2. / (...) ".

3. Les mémoires en défense de la SCEA " du Bel Event ", enregistrés au greffe de la cour les 16 septembre 2022 et 26 décembre 2022, n'ont pas été produits par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2 du code de justice administrative. Ces mémoires n'ont pas été régularisés, malgré l'invitation adressée en ce sens à la SCEA " du Bel Event " par lettre du greffe du 3 janvier 2023. Ils sont, dès lors, irrecevables et doivent, par suite, être écartés des débats.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 331-1 du code rural et de la pêche maritime : " Le contrôle des structures des exploitations agricoles s'applique à la mise en valeur des terres agricoles ou des ateliers de production hors sol au sein d'une exploitation agricole, quels que soient la forme ou le mode d'organisation juridique de celle-ci et le titre en vertu duquel la mise en valeur est assurée. / (...) ". Aux termes de l'article L. 331-1-1 du même code : " (...) / 1° Est qualifié d'exploitation agricole l'ensemble des unités de production mises en valeur, directement ou indirectement, par la même personne, quels qu'en soient le statut, la forme ou le mode d'organisation juridique, dont les activités sont mentionnées à l'article L. 311-1 ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 331-2 du même code : " I.- Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes : / 1° Les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. La constitution d'une société n'est toutefois pas soumise à autorisation préalable lorsqu'elle résulte de la transformation, sans autre modification, d'une exploitation individuelle détenue par une personne physique qui en devient l'unique associé exploitant ou lorsqu'elle résulte de l'apport d'exploitations individuelles détenues par deux époux ou deux personnes liées par un pacte civil de solidarité qui en deviennent les seuls associés exploitants ; / (...) ". En outre, l'article 1er du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Haute-Normandie définit l'" installation " comme suit : " action de s'établir sur une ou plusieurs unités de production constituant une entité juridique et économique autonome et indépendante pour y exercer une activité agricole ". Il résulte de ces dispositions que le changement de la forme ou du mode d'organisation juridique d'une exploitation ne constitue pas une opération soumise à l'obtention d'une autorisation préalable, tant qu'il n'emporte aucune modification du périmètre ou des conditions d'exploitation. Dans le cas contraire, le changement doit être regardé comme procédant à la création d'une exploitation distincte de la précédente et comme constituant, par suite, une installation susceptible d'être soumise à l'obtention d'une autorisation préalable.

5. En l'espèce, la SCEA " Ferme des Lesques " est constituée de Mme E... C..., associée exploitante gérante, et de ses trois filles : Mme D... A..., associée exploitante non gérante, et Mmes B... et Eléonore C..., associées non exploitantes. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes mêmes de la demande d'autorisation d'exploiter adressée au préfet par la SCEA, que les terres agricoles objet de sa demande étaient jusqu'alors mises en valeur, contrairement à ce qu'elle soutient, non par l'indivision formée par Mme C... et ses filles, mais par Mme C... elle-même et à titre individuel. En effet, c'est en son nom propre qu'elle sollicitait le versement des aides de la politique agricole commune. Sa fille, Mme D... A..., apportait son concours à l'exploitation seulement en qualité de salariée de sa mère et non comme exploitante. Il n'est pas davantage démontré que les baux ruraux sur les trois parcelles litigieuses, cadastrées ZM9, ZN11 et ZN29 situées à Auzouville-sur-Ry, auraient été établis au nom de l'indivision. Il s'ensuit que, par les modifications qu'elle emporte pour la direction de l'exploitation, la transformation de l'exploitation individuelle de Mme C... en une SCEA, dans laquelle ses trois filles sont associées, doit être regardée comme procédant à la création d'une exploitation nouvelle et comme constituant une installation au sens et pour l'application de la réglementation précitée du contrôle des structures. Dès lors qu'il n'est pas contesté que la surface totale que la SCEA " Ferme des Lesques " envisage de mettre en valeur dépasse le seuil de contrôle, tel que fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Haute-Normandie, l'opération était soumise à l'obtention d'une autorisation préalable. Le moyen tiré de ce que c'est à tort que le préfet de la région Normandie a fait application de ce régime et a notamment procédé à l'examen comparatif, au regard de l'ordre des priorités fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles, de sa demande et de celle concurrente de la SCEA " du Bel Event " doit dès lors être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorité administrative (...) se prononce sur la demande d'autorisation par une décision motivée ". Aux termes de l'article R. 331-6 du même code : " (...) / II.- La décision d'autorisation ou de refus d'autorisation d'exploiter prise par le préfet de région doit être motivée au regard du schéma directeur régional des exploitations agricoles et des motifs de refus énumérés à l'article L. 331-3-1. / (...) ".

7. Les arrêtés attaqués visent les dispositions du code rural et de la pêche maritime et du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Haute-Normandie qui en constituent le fondement légal. Ils rendent compte, s'agissant des trois parcelles cadastrées ZM9, ZN11 et ZN29 situées à Auzouville-sur-Ry que les SCEA " Ferme des Lesques " et " du Bel Event " souhaitent concurremment exploiter, de l'examen comparatif de leurs demandes, effectué par le préfet au regard des critères de priorité définis dans le schéma directeur. Ils mentionnent à cet égard que la SCEA " Ferme des Lesques " répond au rang de priorité n° 4 défini par ce schéma directeur tandis que la SCEA " du Bel Event " répond à son rang de priorité n° 2. Ils en tirent la conséquence que la SCEA " Ferme des Lesques " n'est pas prioritaire par rapport à la SCEA " du Bel Event ", circonstance justifiant que l'autorisation d'exploiter les trois parcelles litigieuses soit délivrée à cette dernière. Ce faisant, les arrêtés attaqués comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement des décisions prises et le préfet a ainsi mis les intéressées à même d'en comprendre les motifs ainsi que, le cas échéant, de les contester utilement. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorité administrative (...) vérifie, compte tenu des motifs de refus prévus à l'article L. 331-3-1, si les conditions de l'opération permettent de délivrer l'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 (...) ". Aux termes du II de l'article R. 331-6 du même code : " (...) / Lorsque l'autorisation n'est que partielle, la décision précise les références cadastrales des surfaces dont l'exploitation est autorisée et celles des surfaces pour lesquelles cette autorisation n'est pas accordée ".

9. Contrairement à ce que soutient la SCEA " Ferme des Lesques ", l'arrêté n° 19-0069 du 24 septembre 2019 lui accordant partiellement l'autorisation d'exploiter qu'elle sollicite précise clairement les références cadastrales de la surface de 124 hectares 10 ares dont il autorise l'exploitation et celles de la surface de 21 hectares 73 ares pour laquelle l'autorisation n'est pas accordée. Si l'arrêté mentionne, au titre des parcelles que la SCEA " Ferme des Lesques " est autorisée à exploiter, la parcelle ZH13 alors que sa demande porte en réalité sur la parcelle ZH3, il s'agit là d'une erreur purement matérielle dont il n'est pas démontré qu'elle aurait exercé une quelconque incidence sur le sens des décisions prises. En effet, d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la parcelle ZH3 aurait fait l'objet d'une demande concurrente et, d'autre part, il n'est pas établi que l'erreur de désignation aurait induit le préfet en erreur sur la surface totale que la SCEA " Ferme des Lesques " envisage de mettre en valeur et sur l'appréciation de l'ordre des priorités du schéma directeur régional des exploitations agricoles. Par ailleurs, l'arrêté n° 19-0070 du 24 septembre 2019 désigne tout aussi précisément les références cadastrales des surfaces qu'il autorise la SCEA " du Bel Event " à exploiter. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 331-6 du code rural et de la pêche maritime doit être écarté.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : / 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; / (...) ". Pour l'application de ces dispositions, l'article 3 du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Haute-Normandie fixe l'ordre de priorité suivant : " (...) / 2 - maintien et consolidation d'une exploitation existante, notamment dans le cas d'une installation progressive ; / ou restructuration parcellaire dans la limite, après reprise, de 1,5 fois le seuil de viabilité défini en article 5 par unité de travail annuel (UTA) ; / ou agrandissement d'une exploitation sociétaire permettant l'installation aidée d'un nouvel associé, dans la limite, après reprise, de 1,5 fois le seuil de viabilité défini en article 5 par unité de travail annuel (UTA) / (...) / 4- autre installation, aidée ou non ; autre réinstallation / (...) ".

11. Par ailleurs, outre la définition de l'" installation " rappelée au point 4, l'article 1er du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Haute-Normandie définit le " maintien et [la] consolidation d'une exploitation existante " comme suit : " fait de permettre à une exploitation agricole d'atteindre ou de conserver une dimension économique viable ". L'article 4 du même schéma directeur fixe, au titre du seuil de contrôle prévu par l'article L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime, le 1° du I de l'article L. 331-2 du même code, son article R. 312-3 et l'arrêté du 20 juillet 2015, un seuil de surface " correspondant à 70 ha, soit 66% de la SAU moyenne du recensement agricole 2010, toutes productions confondues, pour la catégorie ''moyennes et grandes exploitations'' pour l'ensemble de la région Haute-Normandie " ainsi que des coefficients d'équivalence par types de productions. Enfin, l'article 5 du schéma directeur dispose que la " dimension économique viable d'une exploitation " s'apprécie au regard d'" un critère de surface de 70 ha par UTA ".

12. En l'espèce, pour refuser à la SCEA " Ferme des Lesques " l'autorisation d'exploiter les parcelles cadastrées ZM9, ZN11 et ZN29 situées à Auzouville-sur-Ry et pour la délivrer à la SCEA " du Bel Event ", le préfet de la région Normandie a retenu que la demande de la SCEA " Ferme des Lesques " répond au rang de priorité n° 4 du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Haute-Normandie tandis que celle de la SCEA " du Bel Event " relève de son rang de priorité n°2 et que, par suite, elle est moins prioritaire que cette dernière et pouvait donc être rejetée sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime rappelées au point 10. Pour contester cette appréciation, la SCEA " Ferme des Lesques " soutient, premièrement, que l'opération qu'elle projetait, dès lors qu'elle vise à maintenir et consolider une exploitation existante, devait être classée au rang de priorité n° 2 et non au rang de priorité n° 4, deuxièmement, qu'il n'est pas établi que le préfet aurait pondéré la surface totale que la SCEA " du Bel Event " envisage de mettre en valeur par les coefficients d'équivalence énoncés à l'article 4 du schéma directeur régional des exploitations agricoles et, par suite, que la demande de cette dernière aurait été correctement classée au rang de priorité n° 2 et, troisièmement, que cette demande est en tout état de cause dénuée de tout caractère sérieux dès lors que la SCEA " du Bel Event " n'est pas titulaire d'un bail ou d'un quelconque droit sur les parcelles litigieuses, qu'elle a depuis renoncé à leur exploitation et que ses associés sont pluriactifs.

13. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 5, l'opération projetée par la SCEA " Ferme des Lesques " constitue une installation au sens de la réglementation du contrôle des structures. Dès lors, elle ne pouvait qu'être regardée comme une " autre installation " relevant du rang de priorité n° 4 du schéma directeur régional des exploitations agricoles de Haute-Normandie et non comme un " maintien et consolidation d'une exploitation existante " au sens du rang de priorité n° 2 du même schéma directeur.

14. D'autre part, pour classer au rang de priorité n° 2 la demande concurrente de la SCEA " du Bel Event ", qui compte l'équivalent de deux unités complètes de travail annuel, le préfet a retenu que l'opération envisagée permet de porter la surface totale de l'exploitation de 59 hectares 34 ares à 85 hectares 30 ares, soit une surface inférieure à 70 hectares par unité de travail annuel, et qu'elle devait donc être regardée comme concourant au maintien et à la consolidation d'une exploitation existante. A supposer que, dans le cadre de son appréciation de l'ordre des priorités défini par le schéma directeur, le préfet doive tenir compte de la surface d'exploitation telle que pondérée par les coefficients d'équivalence, cette circonstance aurait en l'espèce été sans incidence sur le classement de la demande de la SCEA " du Bel Event " au rang de priorité n° 2. En effet, et en toute hypothèse, il ressort des pièces du dossier, et notamment du relevé des surfaces transmis par la SCEA à l'appui de sa demande et dont une copie a été produite en appel par le ministre, que, compte tenu de ce qu'elle exerce une activité d'élevage de volailles de chair de 2 600 têtes et de poules pondeuses de 60 têtes, la surface totale devrait seulement être majorée de 18 hectares 80 ares et donc s'établir à 104 hectares 10 ares, soit 52 hectares par unité de travail annuel, toujours inférieure au seuil de 70 hectares par unité de travail annuel.

15. De tierce part, la circonstance tirée de ce que la SCEA " du Bel Event " ne serait pas titulaire d'un bail rural sur les trois parcelles en litige, cadastrées ZM9, ZN11 et ZN29 situées à Auzouville-sur-Ry, ni ne puisse acquérir à court terme des droits réels sur elles ne suffit pas, en raison de l'indépendance des législations relatives aux baux ruraux et aux structures agricoles, à faire regarder son projet de reprise comme étant dénué de tout caractère réel et sérieux. Il en va de même de la circonstance tirée de ce qu'un des associés de cette société serait pluriactif. Aucun autre élément du dossier n'établit que la SCEA " du Bel Event " n'aurait ni l'intention, ni la capacité d'exploiter effectivement les parcelles en litige.

16. Il s'ensuit que c'est à bon droit que le préfet de Normandie a pu considérer que la demande de la SCEA " du Bel Event " était, pour l'exploitation des parcelles cadastrées ZM9, ZN11 et ZN29 situées à Auzouville-sur-Ry, davantage prioritaire, au regard des critères définis par le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Haute-Normandie, que celle de la SCEA " Ferme des Lesques ". Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation soulevé en ce sens par l'appelante doit dès lors être écarté dans toutes ses branches.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la SCEA " Ferme des Lesques " n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation totale de l'arrêté n° 19-0070 du 24 septembre 2019 du préfet de la région Normandie et à l'annulation partielle de son arrêté n° 19-0069 du même jour. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'annulation et celles à fin d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le paiement de la somme que la SCEA " Ferme des Lesques " demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SCEA " Ferme des Lesques " est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCEA " Ferme des Lesques ", à la SCEA " du Bel Event " et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Région Normandie.

Délibéré après l'audience publique du 12 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Thierry Sorin, président de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 septembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLe président de chambre,

Signé : T. Sorin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA00974


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00974
Date de la décision : 27/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

03-03-03 Agriculture et forêts. - Exploitations agricoles. - Cumuls et contrôle des structures.


Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : OTTAVIANI

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-09-27;22da00974 ?
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