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21/09/2023 | FRANCE | N°22DA00350

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 21 septembre 2023, 22DA00350


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 29 avril 2021 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement.

Par un jugement n°2104043 du 18 janvier 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté du 29 avril 2021 et a enjoint au préfet du Pas-de-Calais de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la me

ntion vie privée et familiale dans un délai d'un mois.

Procédure devant la cour :

Pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 29 avril 2021 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement.

Par un jugement n°2104043 du 18 janvier 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté du 29 avril 2021 et a enjoint au préfet du Pas-de-Calais de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale dans un délai d'un mois.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 février 2022, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 18 janvier 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée en première instance par M. B....

Il soutient que son arrêté n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 mai 2022, M. C... B..., représenté par Me Orsane Broisin, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

- Les observations de Me Orsane Broisin, représentant M. B... C....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant guinéen né le 1er janvier 1986, a sollicité le 16 juin 2020 son admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 29 avril 2021, le préfet du Pas-de-Calais a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement. Par un jugement du 18 janvier 2022, le tribunal administratif de Lille, saisi par M. B..., a annulé cet arrêté et enjoint au préfet du Pas-de-Calais de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois. Le préfet du Pas-de-Calais interjette appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation accueilli par le tribunal administratif de Lille :

2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) ".

3. En présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L. 313-14, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ".

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré en janvier 2017 sur le territoire français muni d'un titre de séjour délivré en qualité de réfugié le 12 février 2016 par les autorités italiennes. S'étant maintenu en France, M. B... a été scolarisé au lycée du pays de Saint-Omer au cours de l'année 2017 et a obtenu le 5 septembre 2017 le diplôme d'études en langue française niveau A1. Inscrit au lycée Normandie Niemen de Calais de 2018 à 2020, il a obtenu d'excellents résultats tout au long de sa scolarité et de son stage professionnel, au cours duquel ses aptitudes et son comportement ont été salués comme remarquables. Il a obtenu le 28 juin 2019, avec une moyenne de 15,26 sur 20, le certificat d'aptitude professionnelle mention " serrurier métallier ". En cohérence avec son parcours antérieur, M. B... a préparé à compter de 2020 un baccalauréat professionnel mention " chaudronnerie " dans le cadre d'un contrat d'apprentissage.

5. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. D... A..., ressortissant français, héberge à son domicile et prend en charge depuis 2017 M. B..., qu'il a décidé d'adopter dès septembre 2019 comme en atteste l'acte notarié produit. L'adoption simple de M. B... par M. A... a été prononcée par un jugement du 28 février 2020 du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... conserverait des liens dans son pays d'origine, alors qu'il soutient, sans être démenti, que ses parents et ses frères y sont décédés des suites de leur infection au virus Ebola. De plus, s'il a résidé de 2016 à 2017 en Italie et s'il y a brièvement séjourné en février 2018 pour faire renouveler son titre de séjour, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il y aurait noué des liens personnels.

6. Toutefois, les éléments rappelés aux points précédents ne suffisent pas à établir des motifs exceptionnels au sens des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 29 avril 2021 au motif qu'il était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

7. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur les autres moyens soulevés par M. B... :

8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

9. Ainsi qu'il a été dit, M. B... résidait de manière habituelle et continue sur le territoire français depuis plus de quatre ans à la date de l'arrêté attaqué, période au cours de laquelle il a noué des liens familiaux en France avec son père adoptif et suivi avec sérieux et assiduité sa scolarité en obtenant d'excellents résultats. Il est vrai que M. B... s'est maintenu irrégulièrement en France et qu'il n'a pas accompli dans les meilleurs délais les diligences nécessaires pour régulariser sa situation administrative. Toutefois et alors même qu'il aurait pu faire valoir auprès des autorités consulaires françaises en Italie ses liens familiaux avec M. A... avant que n'expire le 2 mars 2020 la validité de son titre de séjour italien, il ressort des pièces du dossier et notamment des nombreuses attestations produites, circonstanciées et concordantes, émanant des personnes l'ayant directement accompagné ainsi que de différents élus, que M. B..., qui soutient de manière crédible être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, a établi en France le centre de ses intérêts familiaux et personnels.

10. Dans les circonstances très particulières de l'espèce, en refusant de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", le préfet du Pas-de-Calais a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'ensuit que l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation et qu'il doit être annulé pour ce motif, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. B....

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille, d'une part, a annulé la décision portant refus d'un titre de séjour et, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays d'éloignement et, d'autre part, lui a enjoint de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à l'intéressé.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet du Pas-de-Calais est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer ainsi qu'à M. C... B....

Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 7 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : S. Eustache

La présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. BorotLa greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°22DA00350

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00350
Date de la décision : 21/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : BROISIN

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-09-21;22da00350 ?
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