Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2300087 du 20 février 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de la Seine-Maritime de remettre à M. B... une autorisation provisoire de séjour et mis à la charge de l'Etat le versement à Me Mary d'une somme de 900 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 mars 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif.
Il soutient qu'il a été procédé à l'examen particulier de la situation de M. B... et que les craintes actuelles de celui-ci en cas de retour dans son pays d'origine ne sont pas établies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2023, M. B..., représenté par Me Inquimbert, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le moyen soulevé par le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance du droit à être entendu ;
- elle est irrégulière en ce que le préfet n'a pas saisi le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- le 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu ;
- l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été méconnu ;
- la décision fixant le pays de destination est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par ordonnance du 30 mai 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 16 juin 2023.
M. B... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Selon ses déclarations, M. B..., ressortissant nigérian né en 1990, est entré en France le 2 mars 2022, afin d'y solliciter le bénéfice du statut de réfugié, qui lui a été refusé par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 31 mai 2022, confirmée le 3 novembre 2022 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par un arrêté du 21 décembre 2022, le préfet de la Seine-Maritime l'a obligé, sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 20 février 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.
Sur le bien-fondé du moyen d'annulation retenu par le premier juge :
2. Pour annuler l'arrêté contesté, le premier juge a retenu le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation personnelle de l'intéressé, au double motif, d'une part, que l'arrêté litigieux désigne l'intéressé comme " M. A... se disant M. C... B... " alors que son identité n'est pas contestée et, d'autre part, que le préfet de la Seine-Maritime a fait état de l'absence d'éléments de nature à établir l'existence d'un risque pour l'intimé d'être soumis à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants alors qu'il est établi qu'il a été victime d'une attaque armée le 5 juin 2021.
3. Toutefois, si le préfet de la Seine-Maritime a, par la formule qu'il a retenue pour désigner l'intéressé, émis des doutes quant à son identité, cette mention ne suffit pas, en l'espèce, à révéler que le préfet aurait négligé de se livrer, comme il le devait, à un examen particulier de la situation de M. B... avant de décider de son éloignement. En relevant, dans l'arrêté litigieux, que la demande d'asile présentée par M. B... a été rejetée par l'OFPRA et la CNDA et qu'au vu de l'ensemble des éléments du dossier, il n'était pas établi que l'intéressé était susceptible d'être soumis, en cas de retour dans son pays d'origine, à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants, le préfet a procédé, avant de prendre la décision fixant le pays de renvoi, à un examen particulier des risques actuels encourus par l'intéressé en cas de retour au Nigéria et n'a, dès lors, pas commis d'erreur de droit. Dès lors, c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur ce motif pour annuler les décisions en litige.
4. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour.
Sur les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal et la cour :
En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Ce droit ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
6. Dans le cas prévu par les dispositions des articles L. 542-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise après que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger, ce dernier ne saurait ignorer qu'en cas de rejet de sa demande, il pourra, si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire lui ont été définitivement refusés, faire l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français. Il lui appartient ainsi, lors du dépôt de sa demande d'asile, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles, et notamment celles de nature à permettre à l'administration d'apprécier son droit au séjour au regard d'autres fondements que celui de l'asile. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Il suit de là que le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de la reconnaissance de la qualité de réfugié, n'impose pas à l'autorité administrative de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise en conséquence du refus définitif de reconnaissance de la qualité de réfugié.
7. En l'espèce, si M. B... soutient qu'il n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations avant l'intervention de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français, cette mesure fait suite au rejet par la CNDA de sa demande d'asile. Or, ainsi qu'il vient d'être dit, dans un tel cas, aucune obligation d'information préalable ne pèse sur le préfet. Il n'est pas non plus allégué que M. B... aurait postérieurement sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux, ni qu'il aurait été empêché de présenter ses observations, s'il l'avait souhaité, avant que ne soit prise la décision litigieuse. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'il a été privé du droit d'être entendu qu'il tient du principe général du droit de l'Union.
8. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment pas des mentions de l'arrêté litigieux, que le préfet se serait estimé en situation de compétence liée ou qu'il n'aurait pas effectivement procédé à un examen préalable de la situation personnelle M. B... avant de décider de son éloignement.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...). ".
10. S'il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux versés à l'instance, que l'état de santé de M. B... nécessite une prise en charge psychiatrique, en raison d'un état d'anxiété généralisé et d'une altération de son humeur, ainsi qu'un suivi radiologique bisannuel en raison d'une infection tuberculeuse, il n'en ressort en revanche pas que le défaut de prise en charge médicale de ces pathologies serait susceptible d'entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ni, même, qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé au Nigéria, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Le préfet de la Seine-Maritime n'a dès lors entaché sa décision ni d'un vice de procédure, ni d'une méconnaissance du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
11. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B..., entré en France en mars 2022, célibataire, sans enfant, n'établit pas avoir tissé des relations affectives stables sur le territoire national. Il n'établit pas davantage qu'il ne serait pas isolé en cas de retour dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-et-un ans. Dans ces conditions, eu égard notamment à la faible durée et aux conditions du séjour de l'intéressé, la mesure d'éloignement en litige n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts qu'elle poursuit. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés ci-dessus, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision attaquée serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B....
En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
13. En premier lieu, la décision par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement comporte l'indication des motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est ainsi suffisamment motivée.
14. En deuxième lieu, il résulte de l'examen de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français que M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de cette mesure d'éloignement à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision désignant le pays de renvoi.
15. En troisième lieu, le moyen tiré de ce que la décision contestée est intervenue en méconnaissance du principe général du droit de l'Union européenne relatif au droit d'être entendu doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 5 à 7.
16. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet se serait, à tort, cru lié par les décisions de l'OFPRA et de la CNDA pour fixer le pays à destination duquel M. B... pourrait être renvoyé.
17. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. "
18. M. B... fait valoir que, du fait de ses origines ethniques, de sa confession religieuse et de son implication locale dans un comité de défense d'exploitations agricoles, il a été blessé, en juin 2021, lors d'une attaque menée par des bergers de la communauté peule dans son village et qu'il est recherché par ceux-ci. Toutefois, alors au demeurant que sa demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA et par la CNDA, M. B..., qui ne justifie pas de son implication particulière dans le conflit local dont il fait état, n'apporte pas davantage de précisions suffisantes sur le caractère actuel et personnel des risques allégués en cas de retour au Nigéria. Dans ces conditions, il ne ressort des pièces du dossier ni que la décision fixant le Nigéria comme pays de destination ait été prise en méconnaissance de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni que cette décision soit entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation de M. B....
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 21 décembre 2022, lui a enjoint de remettre à M. B... une autorisation provisoire de séjour et mis à la charge de l'Etat le versement à Me Mary d'une somme de 900 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
20. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions de M. B... à fin d'injonction et tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2300087 du tribunal administratif de Rouen du 20 février 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Seine-Maritime, à M. C... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Inquimbert.
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,
M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
M. Bertrand Baillard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : F.-X. Pin
La présidente de la cour,
Signé : N. MassiasLa greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°23DA00430