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21/08/2023 | FRANCE | N°22DA00005

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 21 août 2023, 22DA00005


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 51 537 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'application de l'arrêté interministériel du 16 août 2016 modifié relatif à l'interdiction du commerce de l'ivoire d'éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national.

Par un jugement n°1902464 du 5 novembre 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

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Par une requête enregistrée le 3 janvier 2022 et des mémoires enregistrés les 3 février e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 51 537 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'application de l'arrêté interministériel du 16 août 2016 modifié relatif à l'interdiction du commerce de l'ivoire d'éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national.

Par un jugement n°1902464 du 5 novembre 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 janvier 2022 et des mémoires enregistrés les 3 février et 14 mars 2023, Mme C..., représentée par Me Antoine-Bachar Tomeh, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 novembre 2021 du tribunal administratif de Rouen ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 51 537 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'application de l'arrêté interministériel du 16 août 2016 modifié relatif à l'interdiction du commerce de l'ivoire d'éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national, augmentée des intérêts de retard à compter du 4 mai 2017 ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de payer cette somme sans délai sous astreinte de 100 euros par jour de regard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le préfet de la Seine-Maritime l'a autorisée, par un arrêté du 4 décembre 2015, à poursuivre jusqu'en 2020 son activité de vente de produits en ivoire d'éléphant ;

- l'arrêté du 16 août 2016 modifié le 4 mai 2017, pris pour l'application du règlement européen (CE) n°338/97 du 9 décembre 1996, lui a interdit de vendre son stock d'ivoire légalement acquis et d'exercer ses activités de vente et de restauration d'objets en ivoire ;

- il méconnaît son droit de propriété et sa liberté d'exercer son activité principale de vente et son activité secondaire de restauration d'objets en ivoire ;

- il engage la responsabilité sans faute de l'Etat, à raison des préjudices anormalement graves, spéciaux et insurmontables, dont ni le législateur ni le pouvoir réglementaire n'ont exclu l'indemnisation, et a porté atteinte à son droit de propriété ;

- son préjudice économique correspondant à son stock d'ivoire s'élève à la somme de 33 924 euros ;

- son préjudice lié au paiement d'un bail commercial de mai 2017 à février 2019 s'élève à la somme de 5 400 euros ;

- son préjudice lié à des pertes de commandes s'élève à la somme forfaitaire de 12 213 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés les 6 janvier et 10 février 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 janvier 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il s'en remet aux observations présentées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Par une ordonnance du 12 juin 2023, l'instruction a été close le 29 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction ;

- le règlement (CE) n°338/97 du 9 décembre 1996 ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté interministériel du 16 août 2016 modifié relatif à l'interdiction du commerce de l'ivoire d'éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national (NOR : DEVL1615873A) ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Antoine-Bachar Tomeh, représentant Mme A... C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., qui a exercé jusqu'en mai 2017 une activité d'artisane ivoirière à Dieppe, a demandé au ministre de la transition écologique et solidaire, par un courrier reçu le 20 mars 2019, le versement une somme totale de 51 537 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'application de l'arrêté interministériel du 16 août 2016 modifié relatif à l'interdiction du commerce de l'ivoire d'éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national. Le ministre ayant rejeté sa demande, Mme C... a demandé au tribunal administratif de Rouen que l'Etat soit condamné à lui verser cette somme. Le tribunal a rejeté sa demande par un jugement du 5 novembre 2021, dont Mme C... relève appel.

Sur la cause juridique invoquée par Mme C... :

2. Il résulte des écritures mêmes de l'appelante, d'ailleurs confirmées sur ce point lors de l'audience, qu'elle ne recherche que la responsabilité sans faute de l'Etat, sur le terrain d'une rupture d'égalité devant les charges publiques, à raison des préjudices subis du fait de l'application de l'arrêté interministériel du 16 août 2016 modifié visé ci-dessus.

Sur la responsabilité sans faute :

3. La responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, lorsqu'une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner, au détriment d'une personne physique ou morale, un préjudice grave et spécial, qui ne peut être regardé comme une charge lui incombant normalement.

En ce qui concerne le cadre juridique applicable :

4. Pour l'application du règlement européen du 9 décembre 1996 visé ci-dessus, d'une part, le I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement dispose : " Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat (...) ".

5. En outre, le 4° du I de l'article L. 411-2 du même code prévoit la " délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ", notamment " e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens ".

6. D'autre part, le I de l'article 1er de l'arrêté interministériel du 16 août 2016 visé ci-dessus dispose : " Sont interdits sur tout le territoire national et en tout temps, le transport à des fins commerciales, le colportage, l'utilisation commerciale, la mise en vente, la vente ou l'achat : / - de défenses brutes et de morceaux d'ivoire brut ; / - d'objets fabriqués après le 2 mars 1947 composés en tout ou partie d'ivoire, / des espèces suivantes : / Eléphantidés / Eléphants d'Afrique (Loxondonta sp) / Eléphant d'Asie (Elephas maximus) ".

7. Le III de l'article 1er du même arrêté définit les objets ou activités qui, par exception, ne sont pas soumis aux interdictions prévues au I du même article. Il dispose à ce titre que : " Ces interdictions ne s'appliquent pas : / -aux objets fabriqués après le 2 mars 1947 et avant le 1er juillet 1975 composés en tout ou partie d'ivoire (...), lorsque la masse d'ivoire (...) présente dans l'objet est inférieure à 200 grammes ; / -aux touches et tirettes de jeux en ivoire des instruments de musique à clavier ; / -aux archets des instruments à cordes frottées ; / -à l'utilisation commerciale des spécimens d'ivoire (...) lorsqu'elle a pour seul but leur présentation au public à des fins scientifiques ou culturelles par des musées ou d'autres institutions de recherche ou d'information scientifiques ou culturelles ; / -à la mise en vente, à la vente et à l'achat, dans un délai de neuf mois à compter de la publication du présent arrêté, des couverts de table neufs, autres objets de coutellerie ou pour fumeurs fabriqués avant le 18 août 2016 à l'aide d'ivoire dont l'ancienneté est antérieure au 18 janvier 1990 ".

8. L'article 2 du même arrêté définit les objets et activités qui, à titre dérogatoire, peuvent ne pas être soumis aux interdictions prévues au I de l'article 1er du même arrêté. Il dispose à ce titre que " Des dérogations exceptionnelles aux interdictions fixées à l'article 1er peuvent être accordées dans les conditions prévues au e du 4° de l'article L. 411-2 et aux articles R. 411-6 à R. 411-14 du code de l'environnement, selon la procédure définie par l'arrêté du 19 février 2007 susvisé et, par exception à l'article 3 de cet arrêté, sans consultation préalable. / Les dérogations aux interdictions fixées au I de l'article 1er ne peuvent concerner que le commerce d'objets comprenant plus de 200 grammes d'ivoire ou de corne dont il est établi qu'ils ont été fabriqués après le 2 mars 1947 et avant le 1er juillet 1975, date d'entrée en vigueur de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction. / Ces dérogations peuvent également concerner la restauration d'objets fabriqués avant le 18 janvier 1990 réalisée avec de l'ivoire provenant de défenses brutes ou de pièces d'ivoire brut importées au sein de l'Union européenne avant cette même date et acquis légalement ".

9. L'article 2 bis du même arrêté soumet à la procédure déclarative prévue à l'article L. 412-1 du code de l'environnement, " sur tout le territoire national et en tout temps, le transport à des fins commerciales, le colportage, l'utilisation commerciale, la mise en vente, la vente ou l'achat des objets fabriqués avant le 2 mars 1947 composés en tout ou partie : / - d'ivoire d'éléphants d'Afrique (Loxondonta sp.) ou d'éléphant d'Asie (Elephas maximus), lorsque la proportion d'ivoire dans l'objet est supérieure à 20% en volume (...) ".

10. Enfin, comme le précise l'article 2 ter du même l'arrêté, pour l'application de ses dispositions, " l'ancienneté des spécimens doit être établie par le détenteur de ceux-ci par tout moyen d'expertise et si nécessaire par radio-datation sous réserve que le prélèvement y afférent d'ivoire (...) sur le spécimen à dater ne porte pas atteinte à la qualité de ce dernier ".

En ce qui concerne les préjudices :

11. En l'espèce, l'appelante soutient que les dispositions de l'arrêté interministériel du 16 août 2016 modifié lui ont causé des préjudices graves en lui interdisant de disposer librement de son stock d'ivoire. Il résulte de l'instruction et notamment de l'inventaire établi le 8 janvier 2019 par un commissaire-priseur judiciaire, dont les énonciations ne sont pas contestées, que Mme C... détient un stock d'ivoire de 102,80 kilogrammes composé de " tronçons de défenses d'éléphants brutes, de chutes et petits morceaux d'ivoire non travaillé, statuettes en ivoire africaines, parties d'objets ou objets accidentés anciens en ivoire du XIXe et début du XXe siècles dont manches d'ombrelles, anneaux de hochets, pinces à gants, couvercles de boîtes, brosses et peignes, perles, bracelets... ".

12. En premier lieu, s'agissant des objets en ivoire appartenant à Mme C... fabriqués avant le 2 mars 1947, les dispositions de l'arrêté interministériel du 16 août 2016 modifié l'autorisent à les vendre sans formalité s'ils contiennent une proportion d'ivoire inférieure à 20 % en volume ou, en procédant à la déclaration prévue à l'article L. 412-1 du code de l'environnement, si cette proportion est supérieure à 20 % en volume.

13. En outre, s'agissant des objets en ivoire appartenant à Mme C... fabriqués après le 2 mars 1947 et avant le 1er juillet 1975, les dispositions de l'arrêté interministériel du 16 août 2016 modifié l'autorisent à les vendre sans formalité s'ils contiennent une masse d'ivoire inférieure à 200 grammes ou, sous réserve d'avoir obtenu la dérogation prévue au e) du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, si cette masse excède 200 grammes.

14. En deuxième lieu, s'agissant des défenses brutes et morceaux d'ivoire brut appartenant à Mme C..., les dispositions de l'arrêté interministériel du 16 août 2016 modifié l'autorisent à les utiliser, sans formalité, pour l'exercice d'activités de restauration d'objets en ivoire, si ceux-ci ont été fabriqués avant le 18 janvier 1990 avec de l'ivoire importé et acquis légalement au sein de l'Union européenne avant cette même date. A cet égard, il ne résulte pas de l'instruction et notamment pas de l'inventaire mentionné ci-dessus qu'une part significative du stock d'ivoire appartenant à Mme C... serait constituée par des défenses brutes ou des morceaux d'ivoire brut.

15. En troisième lieu, si Mme C... a été autorisée, par un arrêté du 4 décembre 2015 du préfet de la Seine-Maritime, à vendre pendant une durée de cinq ans des objets de sa fabrication contenant de l'ivoire brut ou semi-ouvré, il résulte de l'instruction, et notamment des factures produites à l'instance, que Mme C... a principalement exercé une activité de restauration d'objets en ivoire jusqu'en 2017. Si l'appelante soutient qu'elle aurait pu développer significativement son activité de fabrication et de vente d'objets en ivoire après 2017, elle ne produit aucun élément probant à l'appui de ses allégations. Par ailleurs, le ministre soutient, sans être sérieusement contredit, que les interdictions et dérogations prévues par l'arrêté interministériel du 16 août 2016 ont été annoncées dès 2013 aux professionnels du secteur.

16. Il résulte de ce qui précède, à supposer que les dispositions litigieuses de l'arrêté interministériel du 16 août 2016 modifié ne se bornent pas à réitérer les dispositions du règlement européen du 9 décembre 1996 visé ci-dessus, que l'appelante n'est pas fondée à soutenir qu'elle a subi un préjudice grave de nature à engager la responsabilité sans faute de l'Etat. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner le caractère spécial des préjudices allégués, ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ainsi qu'au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 5 juillet 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 août 2023.

Le rapporteur,

Signé : S. Eustache

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. B...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°22DA00005 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00005
Date de la décision : 21/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : TOMEH

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-08-21;22da00005 ?
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