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25/07/2023 | FRANCE | N°22DA01754

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 25 juillet 2023, 22DA01754


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser une somme de 107 093,32 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2018 et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices subis en raison de la privation de son plein traitement depuis le 10 juillet 2014, de la perte de l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves (ISOE), de l'absence de versement de l'indemnité de sujétions d'exercice attribuée aux personnels ens

eignants exerçant en formation continue pour adulte à compter du 11 septembre 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser une somme de 107 093,32 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2018 et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices subis en raison de la privation de son plein traitement depuis le 10 juillet 2014, de la perte de l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves (ISOE), de l'absence de versement de l'indemnité de sujétions d'exercice attribuée aux personnels enseignants exerçant en formation continue pour adulte à compter du 11 septembre 2018, ainsi que du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis du fait de son absence de réintégration. Par ailleurs, M. C... a demandé au tribunal de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1903849 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Lille a partiellement fait droit à sa demande en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité dont le montant correspond à la part fixe de l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves dont il a été privé durant la période allant du 26 mai au 2 août 2012 avec intérêts et capitalisation des intérêts et a rejeté sa demande présentée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 4 août 2022 et le 9 mai 2023, M. C..., représenté par Me Perrez, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 107 787,86 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, cette somme portant intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2018, avec capitalisation des intérêts à chaque date d'anniversaire et pour la première fois le 31 décembre 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'un défaut de motivation ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation car il ne pouvait pas être considéré comme n'étant pas suspendu à compter du 9 juillet 2014 ;

- l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité dès lors qu'il doit être regardé comme ayant été de fait suspendu du 26 mai 2012, date qui correspond au terme de sa première suspension prononcée le 26 janvier 2012, jusqu'à la date de notification de l'arrêté du 8 mars 2018 portant suspension de ses fonctions à titre conservatoire ; l'administration a méconnu les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en s'abstenant de lui proposer une affectation conforme à son grade dans un délai raisonnable durant les périodes qui s'étendent du 26 mai 2012 au 9 juillet 2014, du 9 juillet 2014 au 22 janvier 2018 et du 22 janvier 2018 au 5 septembre 2018 ;

- en le privant d'affectation pendant six ans, le recteur de l'académie de Lille lui a infligé une sanction disciplinaire déguisée ;

- les faits reprochés ne sont pas d'une exceptionnelle gravité ;

- il doit être indemnisé des préjudices résultant de l'illégalité des prolongations de la suspension de fonctions ;

- son préjudice s'élève à la somme totale de 107 093,32 euros ;

- la perte de traitement subie du 10 juillet 2014 au 21 janvier 2018 s'élève à la somme de 60 175,65 euros ; il a été privé d'une chance sérieuse de bénéficier de l'ISOE en faveur des personnels enseignants du second degré, soit un manque à gagner de 7 341,19 euros ; il aurait dû percevoir une somme de 915,20 euros au titre de l'indemnité de sujétions d'exercice attribuée aux personnels enseignants qui accomplissent tout ou partie de leur service en formation continue des adultes ; les fautes de l'Etat lui ont fait perdre le bénéfice, dans le calcul de ses droits à la retraite, de sept trimestres et cinq jours, ce qui lui a occasionné une perte de 19 843,60 euros sur quatorze ans ; en raison de l'irrégularité de sa situation, il n'a pas non plus cotisé pleinement au régime de retraite additionnelle de la fonction publique, ce qui lui a fait perdre une chance de bénéficier de 691 points, correspondant à 817,68 euros ;

- son préjudice moral doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euros et les troubles dans ses conditions d'existence à hauteur de 8 000 euros ;

Par un mémoire enregistré le 24 janvier 2023, la rectrice de l'académie de Lille conclut au rejet de la requête en se référant à ses écritures de première instance.

Par une ordonnance du 18 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 9 mai 2023 à 12 heures après réouverture.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 93-55 du 15 janvier 1993 ;

- le décret n° 93-436 du 24 mars 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente-rapporteure,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Piret pour M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C..., professeur certifié en mathématiques affecté au collège ... à ... (Nord), a été suspendu de ses fonctions d'enseignant par un arrêté du recteur de l'académie de Lille du 26 janvier 2012. Par deux arrêtés des 13 août 2012 et 8 mars 2013, le recteur de l'académie de Lille a décidé de prolonger cette mesure de suspension et d'opérer une retenue de la moitié du traitement de l'intéressé à compter du 15 février 2013. Par des jugements n° 1202193 et n° 1205601 du 21 octobre 2014 et n°1303922 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté le recours formé par l'intéressé contre l'arrêté du 26 janvier 2012 et a annulé les arrêtés des 13 août 2012 et 8 mars 2013. Par un arrêt n° 14DA01994 et n° 14DA02052 du 3 mars 2016, la cour administrative d'appel de Douai a confirmé le jugement du 21 octobre 2014. Par un arrêt n° 16DA02224 du 6 juillet 2017, la cour administrative d'appel a rejeté la demande d'exécution du jugement n° 1303922 rendu le 10 juillet 2015 par le tribunal administratif de Lille au motif que les mesures propres à assurer l'exécution de ce jugement avaient été prises antérieurement à la demande de M. C... tendant à en obtenir l'exécution. Par une décision n° 416007 du 12 février 2020, le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi en cassation formé contre cet arrêt.

2. Par courrier du 24 janvier 2018, M. C... a sollicité sa réintégration effective. Par un arrêté du 8 mars 2018, la rectrice de l'académie de Lille a refusé de faire droit à sa demande au motif qu'il était convoqué devant le tribunal correctionnel de Dunkerque le 14 mai 2018 et l'a de nouveau suspendu de ses fonctions à titre conservatoire. Par un jugement n°1803457 du 26 février 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et a enjoint à la rectrice de l'académie de Lille, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit et de fait, de réintégrer M. C... dans ses fonctions d'enseignant. Par un arrêt n° 21DA00908 du 3 février 2022, la cour a annulé ce jugement et rejeté les demandes de M. C.... Par un arrêté du 30 août 2018, la rectrice de l'académie de Lille a mis fin à la suspension de fonctions de M. C... et l'a affecté, par un arrêté du 5 septembre 2018, au ... à Calais (Pas-de-Calais) jusqu'au 31 août 2019.

3. Par un courrier du 29 décembre 2018, reçu le 31 décembre suivant, M. C... a demandé au rectorat de Lille de l'indemniser des préjudices subis en raison de la privation de son plein traitement du 10 juillet 2014 au 21 janvier 2018, de la perte de l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves (ISOE), de l'absence de versement de l'indemnité de sujétions d'exercice attribuée aux personnels enseignants exerçant en formation continue pour adulte à compter du 11 septembre 2018, ainsi que du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis du fait de son absence de réintégration. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Par un jugement n° 1903849 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M. C... une indemnité dont le montant correspond à la part fixe de l'ISOE dont il a été privé durant la période allant du 26 mai au 2 août 2012 avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2018 et capitalisation. M. C... relève appel du jugement du tribunal administratif de Lille du 3 juin 2022 en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande indemnitaire. L'administration n'a pas présenté de conclusions d'appel incident.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Et en vertu de l'article R. 741-2 du même code, les jugements contiennent l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont ils font application.

5. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de faire référence à l'ensemble des arguments que M. C... avait développés, ont répondu, par une motivation qui rappelle tant les textes applicables que les faits de l'espèce, à l'ensemble des conclusions et des moyens opérants qui leur étaient présentés. Ils ont, ce faisant, suffisamment motivé leur jugement au regard des exigences posées par les dispositions rappelées au point précédent. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué est insuffisamment motivé doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

6. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable jusqu'au 22 avril 2016 : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. / Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille. ". Aux termes du même article, dans sa rédaction applicable du 22 avril 2016 au 8 août 2019 : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. / Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judicaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. Lorsque, sur décision motivée, il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations. L'affectation provisoire ou le détachement provisoire prend fin lorsque la situation du fonctionnaire est définitivement réglée par l'administration ou lorsque l'évolution des poursuites pénales rend impossible sa prolongation. (...) ".

7. En premier lieu, l'arrêté du 26 janvier 2012 portant suspension de fonctions de M. C... a cessé de produire ses effets le 26 mai 2012. Les arrêtés des 13 août 2012 et 8 mars 2013 prolongeant la suspension de fonctions de M. C... après cette date ayant été annulés, ce dernier est fondé à demander à être indemnisé des préjudices en lien direct et certain avec l'illégalité de ces arrêtés.

8. En deuxième lieu, à la suite des jugements du tribunal administratif de Lille du 21 octobre 2014 et du 10 juillet 2015 ayant annulé la prolongation de la suspension de fonction, l'administration a pris les mesures juridiques nécessaires à la réintégration de M. C... ce qu'a d'ailleurs constaté le Conseil d'Etat dans sa décision n° 416007 du 12 février 2020. Elle lui a versé son plein traitement jusqu'au 10 juillet 2014, date après laquelle il n'a plus reçu qu'un demi traitement. Malgré une maladresse de rédaction dans un courrier administratif, il ne résulte pas de l'instruction que M. C... aurait été placé dans une situation de " suspension de fait " après le 26 mai 2012, comme il l'allègue. De même, si l'intéressé fait valoir la volonté de son employeur de le sanctionner, en lien avec sa dénonciation de faits constitutifs de harcèlement moral dont il aurait fait l'objet, une telle volonté de sanction n'est corroborée par aucune pièce du dossier. Par suite, M. C... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat à raison de l'existence d'une sanction disciplinaire déguisée.

9. Toutefois, M. C... n'a pas été réintégré de façon effective dans ses fonctions alors que l'annulation d'une décision d'éviction d'un agent public impose à l'administration, outre sa réintégration juridique, laquelle emporte rétablissement de tous les droits statutaires de l'agent et doit rétroagir à la date de l'éviction illégale, de le réintégrer sur un emploi identique. Il ne peut être dérogé à cette obligation de réintégration effective de l'agent que dans les hypothèses où la réintégration est impossible. M. C... a fait l'objet le 9 juillet 2014 d'un placement sous contrôle judiciaire lui interdisant notamment de se livrer à des fonctions d'enseignement à l'égard de mineurs et de se rendre sur son lieu d'affectation. Ce placement sous contrôle judiciaire rendait sa réintégration effective impossible dans ses anciennes fonctions, même après l'allégement de ce contrôle judiciaire en 2016 qui maintenait l'interdiction de se rendre sur son lieu de travail et d'avoir des activités d'enseignement à l'égard de mineurs, à l'exception de celles n'impliquant pas de contacts directs avec les élèves.

10. Pour autant, M. C... a, comme tout fonctionnaire en activité, le droit de recevoir une affectation correspondant à son grade dans un délai raisonnable. Or entre le 26 mai 2012, date de la fin de la mesure de suspension et le 9 juillet 2014, date à laquelle son contrôle judiciaire a été ordonné, l'administration n'a entrepris aucune démarche pour rechercher un poste permettant de lui donner une affectation conforme à son statut. Par suite, en s'abstenant de chercher à réintégrer M. C... sur un poste correspondant à son grade pendant cette période, la rectrice a commis une seconde faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

11. Toutefois, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour apprécier à ce titre l'existence d'un lien de causalité entre les préjudices subis par l'agent et l'illégalité commise par l'administration, le juge peut rechercher si, compte tenu des fautes commises par l'agent et de la nature de l'illégalité entachant la décision, sanction, la même décision aurait pu être légalement prise par l'administration.

12. Une première procédure judiciaire a été ouverte contre M. C... après un dépôt de plainte d'une élève de son collège en novembre 2011. Cette procédure a été classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée le 24 février 2012. Mais il résulte des pièces produites par l'administration tant en première instance qu'en appel qu'à la suite d'un nouveau dépôt de plainte, le procureur de la République est revenu sur ce classement sans suite et, comme l'ont relevé les juges de première instance, par un courrier du 2 août 2012, a fait connaître à l'administration l'ouverture d'une information judiciaire à l'encontre de M. C... pour violences volontaires et harcèlement moral. Puis, comme indiqué au point 9, M. C... a fait l'objet, le 9 juillet 2014, d'un placement sous contrôle judiciaire lui interdisant notamment d'assurer des fonctions d'enseignement à l'égard de mineurs, et, par un jugement correctionnel rendu le 29 juin 2018, M. C... a été partiellement relaxé pour des faits commis sur certains mineurs mais condamné à une peine d'emprisonnement de deux mois à raison de faits commis sur deux enfants.

13. Ainsi, au vu des informations dont disposait l'autorité administrative dès le 2 août 2012, les faits reprochés, à savoir des actes de violences à l'égard des élèves, présentaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et auraient permis à l'administration de décider, dans l'intérêt du service, d'une nouvelle mesure de suspension sans qu'y fît obstacle la circonstance que l'intéressé avait déjà fait l'objet d'une mesure de suspension de quatre mois en janvier 2012. Une nouvelle mesure de suspension a d'ailleurs été prise le 8 mars 2018 eu égard à l'imminence de la tenue de l'audience correctionnelle prévue le 14 mai 2018, le recours formé contre cette mesure de suspension ayant été rejeté par un arrêt de la cour n° 21DA00908 du 3 février 2022.

14. Ainsi, il résulte de ce qui précède qu'une nouvelle décision de suspension aurait pu être légalement prise par l'administration dès le mois d'août 2012 et renouvelée durant toute la durée de la procédure pénale ouverte contre M. C.... Ce dernier est donc seulement fondé à soutenir qu'il a droit à une indemnisation de ses préjudices pour la période courant du 26 mai 2012, date de fin de la première mesure de suspension, au 1er août 2012 inclus.

En ce qui concerne la réparation des préjudices :

15. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doivent être prises en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.

16. Le jugement n° 1903849 du 3 juin 2022 du tribunal administratif de Lille a seulement condamné l'Etat à verser à M. C... une indemnité dont le montant correspond à la part fixe de l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves (ISOE) dont il a été privé pour la période allant du 26 mai au 2 août 2012.

S'agissant du manque à gagner au titre des traitements :

17. Il résulte de l'instruction que M. C... a bénéficié d'un plein traitement du 26 janvier 2012 au 9 juillet 2014, à la suite d'une régularisation de sa situation intervenue en novembre 2015. L'indemnisation de ce chef de préjudice doit donc être écartée.

S'agissant de l'indemnité de sujétions d'exercice attribuée aux personnels enseignants qui accomplissent tout ou partie de leur service en formation continue des adultes :

18. Aux termes de l'article 1er du décret du 24 mars 1993 instituant une indemnité de sujétions d'exercice attribuée aux personnels enseignants qui accomplissent tout ou partie de leur service en formation continue des adultes : " Une indemnité de sujétions d'exercice non soumise à retenue pour pension est allouée aux personnels enseignants exerçant en formation continue des adultes (...) ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " L'attribution de l'indemnité est liée à l'exercice des fonctions y ouvrant droit et en particulier au suivi individuel du stagiaire, à l'évaluation et à la validation des travaux des stagiaires et à la participation aux réunions des équipes pédagogiques. / (...) ".

19. M. C... fait valoir qu'il a été affecté dans un groupement d'établissements exerçant une mission de formation continue à destination des adultes (GRETA) du 5 septembre 2018 au 31 août 2019 et qu'il aurait dû, à ce titre, percevoir l'indemnité mentionnée au point 18. Toutefois, il n'allègue ni n'établit qu'il remplissait les conditions d'éligibilité à cette indemnité pour la période allant du 26 mai au 1er août 2012. L'indemnisation de ce chef de préjudice doit donc être écartée.

S'agissant des droits à retraite :

20. M. C... a bénéficié d'un plein traitement durant la période du 26 mai au 2 août 2012 et l'ISOE n'est pas soumise à retenue pour pensions. L'indemnisation de ce chef de préjudice doit donc être écartée.

S'agissant du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :

21. M. C... met en avant l'anxiété qui découle de ses six années " d'errance administrative ", de la privation prolongée de son plein traitement, de l'absence prolongée d'affectation et de son isolement social et professionnel durant cette période. Cependant, il n'apporte aucun élément permettant de justifier de la réalité et de l'ampleur de ce chef de préjudice eu égard notamment à la courte durée de la période indemnisable. L'indemnisation de ces chefs de préjudice doit donc être écartée.

22. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à lui verser une indemnité dont le montant correspond à la part fixe de l'indemnité de suivi et d'orientation des élèves dont il a été privé durant la période allant du 26 mai au 2 août 2012 avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2018 et capitalisation des intérêts et rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la rectrice de l'académie de Lille.

Délibéré après l'audience publique du 4 juillet 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 juillet 2023.

La première conseillère,

Signé : D. Bureau La présidente de chambre,

présidente-rapporteure,

Signé : G. Borot La greffière,

Signé : A.-S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

A.-S. Villette

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N°22DA01754

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01754
Date de la décision : 25/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Ghislaine Borot
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : PERREZ

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-07-25;22da01754 ?
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