Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la note de service du 17 décembre 2020 du directeur départemental adjoint de la sécurité publique de Seine-Maritime en tant qu'elle prévoit sa mutation sur le poste de chef de bureau des analyses et statistiques et d'ordonner " l'exécution immédiate de cette annulation de mutation et prononcer la réintégration du capitaine A... dans ses précédentes fonctions ", sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2100658 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de Rouen a annulé la note de service du 17 décembre 2020 du directeur départemental adjoint de la sécurité publique de Seine-Maritime en tant qu'elle prévoit la mutation de M. A... sur le poste de chef de bureau des analyses et statistiques à l'état-major de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de Seine-Maritime et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 mai 2022 et le 2 mai 2023, M. A... représenté par Me Suxe, demande à la cour :
1°) d'annuler et de réformer ce jugement ;
2°) d'annuler la note de service du 17 décembre 2020 du directeur départemental adjoint de la sécurité publique de Seine-Maritime en tant qu'elle prévoit sa mutation sur le poste de chef de bureau des analyses et statistiques ;
3°) d'enjoindre, à titre principal, au ministre de l'intérieur, de le réintégrer dans le poste de chef des Unités de secteur, avec toutes les conséquences de droit sur sa carrière, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à venir sous peine d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre, à titre subsidiaire, au ministre de l'intérieur de le réaffecter à un poste équivalent (B2), dans la circonscription géographique qu'il privilégie à savoir Oissel et Rouen, à celui qu'il occupait antérieurement à son éviction illégale du service, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à venir, sous peine d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il ne s'est pas prononcé sur l'ensemble des conclusions présentées devant le juge de première instance ;
- outre l'incompétence de l'auteur de l'acte, il y a eu absence du respect des droits et garanties attachés à la mutation dont il a fait l'objet ce qui constitue un vice substantiel de procédure ;
- il fait l'objet d'une nouvelle sanction déguisée ;
- la décision en litige est entachée d'une rétroactivité illégale, en tant qu'elle porte sur une période antérieure à sa notification ;
- le juge des référés avait reconnu qu'il était victime de harcèlement moral ce qui empêche l'administration, sauf à en démontrer spécifiquement la nécessité, de le muter dans un autre service.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2023, le ministre de l'intérieur et
de l'outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- M. A... n'est pas recevable à faire appel d'un jugement qui fait intégralement droit à ses demandes ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 3 mai 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 22 mai 2023 à 12 heures.
Une note en délibéré présentée pour M. A... par Me Suxe a été enregistrée le 23 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi du 22 avril 1905 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur,
- les conclusions de M. Malfoy, rapporteur public,
- et les observations de M. B... A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., entré dans le corps de commandement de la police nationale le 6 janvier 2003 en qualité d'élève lieutenant, a été titularisé le 6 janvier 2005. Il est capitaine de police depuis le 1er septembre 2012. Affecté à la direction interdépartementale de la police aux frontières (PAF) du Havre dans les fonctions de chef du centre de rétention administrative (CRA) de Oissel, il a, par arrêté du 15 novembre 2018 du ministre de l'intérieur, été muté dans l'intérêt du service dans la circonscription de sécurité publique (CSP) Rouen-Elbeuf-Division Sud en qualité de chef des Unités de secteur à compter du 26 novembre 2018. Cet arrêté de mutation a été annulé par la cour par un arrêt n° 21DA00878 du 25 mai 2022. Par décision du 17 décembre 2020, le directeur départemental adjoint de la sécurité publique de Seine-Maritime a décidé de l'affecter en qualité de chef de bureau d'analyse et des statistiques (BAS) de son état-major à compter du 4 janvier 2021. Par un jugement du 29 mars 2022, le tribunal administratif de Rouen a annulé cette décision d'affectation et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. M. A... demande à la cour de réformer ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'injonction et d'enjoindre, à titre principal, au ministre de l'intérieur, de le réintégrer dans le poste de chef des Unités de secteur, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de le réaffecter dans un poste équivalent (B2) dans la circonscription géographique qu'il privilégie à savoir Oissel et Rouen, à celui qu'il occupait antérieurement à son éviction illégale du service, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur et de l'outre-mer :
2. Le motif par lequel le juge de l'excès de pouvoir juge fondé l'un quelconque des moyens de légalité soulevés devant lui ou des moyens d'ordre public qu'il relève d'office suffit à justifier l'annulation de la décision administrative contestée. Il s'ensuit que, sauf dispositions législatives contraires, le juge de l'excès de pouvoir n'est en principe pas tenu, pour faire droit aux conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d'autres moyens que celui qu'il retient explicitement comme étant fondé. La portée de la chose jugée et les conséquences qui s'attachent à l'annulation prononcée par le juge de l'excès de pouvoir diffèrent toutefois selon la substance du motif qui est le support nécessaire de l'annulation. C'est en particulier le cas selon que le motif retenu implique ou non que l'autorité administrative prenne, en exécution de la chose jugée et sous réserve d'un changement des circonstances, une décision dans un sens déterminé. Lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2. Lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l'expiration du délai de recours, les prétentions qu'il soumet au juge de l'excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale.Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale.
3. M. A... a obtenu satisfaction quant à l'annulation de la note de service du 17 décembre 2020 du directeur départemental adjoint de la sécurité publique de Seine-Maritime en tant qu'elle prévoit sa mutation. Il ne ressort pas des pièces du dossier de première instance qu'il ait hiérarchisé les moyens d'annulation qu'il soulevait. Il n'est pas recevable à faire appel du jugement en tant qu'il annule cette note de service pour un motif tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte et la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer doit être accueillie dans cette mesure.
4. En revanche, le jugement attaqué a rejeté le surplus des conclusions de la requête à savoir notamment les conclusions à fin d'injonction. M. A... est dès lors recevable à demander en appel la réformation du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'injonction et la fin
de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur et de l'outre-mer doit être écartée sur ce point.
Sur la régularité du jugement :
5. En estimant que " eu égard au motif de légalité externe retenu au point 3, et seul motif susceptible d'être retenu en l'espèce, le présent jugement n'implique l'adoption d'aucune mesure particulière d'exécution " le tribunal s'est prononcé sur l'ensemble des conclusions présentées par le requérant et notamment sur la demande d'injonction. Par suite, le jugement contesté n'est pas irrégulier et le moyen tiré d'une omission à statuer doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. L'annulation de la décision ayant illégalement muté un agent public oblige l'autorité compétente à replacer l'intéressé dans l'emploi qu'il occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date de sa mutation. Il ne peut être dérogé à cette obligation que dans les hypothèses où la réintégration est impossible, soit que cet emploi ait été supprimé ou substantiellement modifié, soit que l'intéressé ait renoncé aux droits qu'il tient de l'annulation prononcée par le juge ou qu'il n'ait plus la qualité d'agent public.
7. M. A... a demandé par un mémoire du 24 septembre 2021 aux premiers juges qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur, à titre principal, d'assurer l'exécution immédiate de l'annulation de la décision de mutation du 17 décembre 2020, en prononçant sa réintégration dans ses précédentes fonctions, à savoir sur le poste de chef des unités de secteur, conclusions qu'il réitère en appel. Conformément au principe rappelé au point 6, sa réintégration est de droit sauf à ce qu'elle s'avère impossible. Or comme indiqué au point 1, par un arrêt n° 21DA00878 du 25 mai 2022, exécutoire à défaut d'être irrévocable, la cour administrative d'appel a annulé la décision d'affectation du 15 novembre 2018 sur ce poste. La réintégration de M. A... sur ce poste est donc impossible. Au demeurant, compte-tenu de changements organisationnels dans les services de la CSP
de Rouen-Elbeuf en novembre-décembre 2020, le poste précédemment occupé par M. A... a été modifié.
8. M. A... demande, à titre subsidiaire en appel, qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de le réaffecter dans un poste équivalent (B2), au sens de l'article 25 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale, à celui qu'il occupait antérieurement " à son éviction illégale du service ". Ce faisant, il doit être regardé comme se référant à sa précédente affectation comme chef du CRA de Oissel. Eu égard aux annulations successivement prononcées des dernières affectations de M. A... et à la teneur de l'injonction sollicitée à titre subsidiaire par l'appelant, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de le réaffecter sur poste équivalent à celui qu'il occupait au CRA de Oissel, dans la circonscription géographique qu'il privilégie à savoir Oissel et Rouen, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte et sous réserve que M. A... soit apte à l'exercice de ses fonctions.
Sur les frais d'instance :
9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2100658 du 29 mars 2022 du tribunal administratif de Rouen est annulé en tant qu'il rejette les conclusions à fin d'injonction de M. A....
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'affecter M. A... sur un poste équivalent de niveau B2, à celui qu'il occupait au centre de rétention administrative de Oissel, dans la circonscription géographique d'Oissel et de Rouen, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sous réserve que M. A... soit apte à l'exercice de ses fonctions.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et au ministre de l'intérieur et
des Outre-mer
Délibéré après l'audience publique du 20 juin 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : M. C...
La présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Marecalle
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Marecalle
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N° 22DA01104