La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2023 | FRANCE | N°22DA02011

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 27 juin 2023, 22DA02011


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi de cette mesure d'éloignement et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2200585 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.


Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 septemb...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi de cette mesure d'éloignement et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2200585 du 3 juin 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 septembre 2022 et 4 mai 2023, M. A... B..., représenté par Me Cécile Madeline, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi de cette mesure d'éloignement et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un certificat de résidence algérien, valable un an, portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ; subsidiairement, dans l'hypothèse où seul un moyen d'illégalité externe serait retenu, d'enjoindre à la même autorité de lui délivrer, dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, une autorisation provisoire de séjour, dans l'attente du réexamen de sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, à charge pour son conseil de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

- il ne représente pas une menace pour l'ordre public, la décision portant refus de titre de séjour méconnaît les stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle est aussi entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle, elle est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour, elle méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle est aussi entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision fixant le délai de départ volontaire est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, elle est aussi entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- il y a lieu d'exciper l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle est aussi entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Un courrier demandant à M. B... de lever le secret médical a été adressé à son conseil le 24 février 2023, auquel il a répondu favorablement le même jour. Le dossier médical de l'intéressé a été transmis par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) le 13 mars 2023.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2023, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

L'OFII a présenté des observations par un mémoire enregistré le 25 avril 2023.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 août 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Anne Seulin, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant algérien né le 4 janvier 2002, déclare être entré sur le territoire français le 24 juillet 2015. Par un premier arrêté du 5 avril 2020, le préfet de la Seine-Maritime lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai assortie d'une interdiction de retour et l'a assigné à résidence. Le 19 novembre 2020, à la suite de sa levée d'écrou, M. B... a été placé en rétention administrative puis libéré en application d'un arrêt de la Cour d'appel de Rouen au motif que son état de santé était incompatible avec la rétention administrative. Le 5 mai 2021, M. B... a sollicité son admission au séjour sur le fondement du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien. Par un arrêté du 19 janvier 2022, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour d'une durée de trois ans. M. B... fait appel du jugement n° 2200585 du 3 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) 7.Au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a émis un avis le 12 octobre 2021 aux termes duquel le défaut de prise en charge médicale de l'état de santé de M. B... ne devrait pas entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Toutefois, les pièces produites par M. B... attestent qu'il souffre de différentes pathologies psychiatriques, qu'il reçoit un traitement médicamenteux antipsychotique, anxiolytique, antiépiléptique et hypnotique dont la délivrance est assurée quotidiennement par des infirmiers à domicile, qu'il a fait l'objet d'une hospitalisation en soins psychiatriques pour péril imminent en application des dispositions du 2° de l'article L. 3212-1 du code de la santé publique en mai 2020, puis de plusieurs hospitalisations en soins psychiatriques au cours des années 2021 et 2022, notamment à la suite d'un arrêt de la Cour d'appel de Rouen jugeant que son état de santé était incompatible avec sa rétention administrative. En outre, le rapport d'expertise judiciaire du 23 décembre 2020 ordonné par le tribunal judiciaire de Rouen précise que M. B... est atteint d'une déficience intellectuelle moyenne à grave depuis l'enfance, d'une " pathologie mentale de type psychose dissociative chronique (schizophrénie paranoïde) avec des éléments à la fois délirants (hallucinations, automatisme mental, idées délirantes de persécution) et déficitaires (déficit global) et une désorganisation globale de la pensée et des actes ", d'une anosognosie complète et d'une adhésion totale aux éléments délirants, de troubles de l'attention et d'épilepsie. Selon ce rapport, si M. B... n'est ni curable ni réadaptable, son état peut être stabilisé sous réserve d'une prise en charge psychiatrique au long cours et de la poursuite de son traitement par antipsychotique, dont le défaut peut conduire à un état dangereux, les faits délictueux reprochés à l'intéressé étant à cet égard considérés comme directement en relation avec les troubles psychiatriques dont il se trouve affecté. Dans ces conditions, contrairement aux motifs de l'arrêté contesté, le défaut de prise en charge médicale doit être regardé comme entraînant, pour M. B..., des conséquences d'une exceptionnelle gravité au sens du 7° de l'article 6 des stipulations de l'accord franco-algérien.

4. Il résulte des développements qui précèdent que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 19 janvier 2022. Il y a donc lieu de prononcer l'annulation de ce jugement et de l'arrêté du préfet de la Seine maritime du 19 janvier 2022 portant refus de délivrance d'un certificat de résidence algérien et, par voie de conséquence, de prononcer l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français sans délai et des décisions fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. Compte tenu des motifs de l'annulation prononcée par le présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de réexaminer la demande de M. B... dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

6. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale le 30 août 2022. Par suite, la SELARL Eden Avocats peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SELARL Eden Avocats renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SELARL Eden avocats de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2200585 du 3 juin 2022 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 19 janvier 2022 du préfet de la Seine-Maritime est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à la SELARL Eden Avocats une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime et à Me Cécile Madeline.

Délibéré après l'audience publique du 13 juin 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur ;

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.

Le président-assesseur,

Signé : M. C...La présidente de chambre,

Signé : A. Seulin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

N°22DA02011 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02011
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Anne Seulin
Rapporteur public ?: M. Toutias
Avocat(s) : EDEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-06-27;22da02011 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award