La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/06/2023 | FRANCE | N°23DA00140

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 22 juin 2023, 23DA00140


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions du 12 septembre 2022 par lesquelles le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays d'éloignement et lui a interdit de revenir sur le territoire français pendant une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2206481 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé ces décisions et a enjoint au préfet du Nord d

e mettre en œuvre la procédure d'effacement du signalement de M. A... aux fins de non-...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions du 12 septembre 2022 par lesquelles le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays d'éloignement et lui a interdit de revenir sur le territoire français pendant une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2206481 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé ces décisions et a enjoint au préfet du Nord de mettre en œuvre la procédure d'effacement du signalement de M. A... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 janvier 2023, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les moyens contenus dans la demande de M. A... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à M. A..., le 22 février 2023 et à son conseil, Me Marion Schryve, le 5 avril 2023, qui n'ont pas produit de mémoire.

M. A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 13 avril 2023 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. M. A..., ressortissant marocain, a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire prise par arrêté du 12 septembre 2022 du préfet du Nord, portant également fixation du pays d'éloignement et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans. Par un jugement du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Lille, saisi par M. A..., a annulé ces décisions. Le préfet du Nord relève appel de ce jugement.

Sur le moyen accueilli par le tribunal administratif de Lille :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

3. En ce qui concerne la durée et les conditions du séjour de l'intéressé en France, il ressort des pièces du dossier que l'Office des migrations internationales a délivré à M. A..., né le 7 novembre 1977, une attestation indiquant qu'il avait subi le contrôle médical règlementaire et était admis en France en tant que membre de famille, le 30 décembre 1990, alors qu'il était âgé de 13 ans et un mois. M. A... produit également des certificats attestant qu'il a été scolarisé à compter du 11 janvier 1991 jusqu'au 18 mars 1996. A sa majorité, il a bénéficié de cartes de résident à compter du 7 novembre 1995 jusqu'au 6 novembre 2015. Il produit un récépissé de demande de titre de séjour valable du 19 septembre 2016 au 18 décembre 2016. Il se borne à produire, pour démontrer son séjour en France au-delà de cette date, un relevé de l'assurance retraite dont il ressort qu'il a été emprisonné au moins depuis le 1er février 2017 jusqu'au moins au 23 août 2019 . Il a de nouveau été incarcéré à compter du 24 janvier 2021. Il a par ailleurs fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, prise par le préfet du Nord, le 7 janvier 2021. Si M. A... établit ainsi qu'il réside habituellement en France depuis son entrée à l'âge révolu de treize ans, les périodes d'incarcération, qui constituent l'essentiel de sa durée de séjour depuis 2017, ne peuvent toutefois être prises en compte pour l'appréciation de la durée de sa résidence.

4. En ce qui concerne les attaches familiales de M. A... sur le territoire français, si ses parents sont titulaires de cartes de résidents et vivent en France, l'intéressé ne démontre pas l'intensité de ses liens avec eux. Il ne l'établit pas plus à l'égard de son frère de nationalité française, même si celui-ci déclare qu'il est prêt à l'accueillir. S'il déclare enfin être père d'un enfant français, celui-ci est majeur et M. A... n'établit pas non plus l'intensité des relations avec lui.

5. En ce qui concerne son insertion sociale et professionnelle, M. A..., pour démontrer qu'il a travaillé, se borne à produire le relevé ci-dessus mentionné de l'assurance retraite. S'il a travaillé à compter de 1997, c'est essentiellement pour des missions d'intérim, ainsi d'avril à novembre 1997 ou de janvier à juin 2004. Au-delà de cette date, son travail pour divers employeurs lui a permis d'acquérir des droits à retraite pour 2 trimestres en 2005, 4 trimestres en 2006 et 3 trimestres en 2007 puis à nouveau en 2008. Toutefois, ce même relevé établit également qu'il n'a plus eu de contrat de travail depuis le 29 septembre 2010. Il ne démontre donc pas son insertion professionnelle sur la période récente et ne produit non plus aucun autre élément pour établir son insertion sociale.

6. En ce qui concerne l'ordre public, le casier judiciaire de M. A... mentionne 23 condamnations, dont l'une le 9 février 2017 à 2 ans et 6 mois d'emprisonnement pour violence aggravée par deux circonstances suivie d'incapacité supérieure à 8 jours en récidive, et l'autre le 25 janvier 2021 à 2 ans d'emprisonnement pour violence par personne en état d'ivresse manifeste suivie d'une incapacité n'excédant pas 8 jours en récidive, menace de mort ou d'atteinte aux biens dangereuse pour les personnes et outrage à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique. Cette dernière condamnation porte sur des faits commis le 22 janvier 2021 pour les plus récents. M. A... a été incarcéré au moins à trois reprises, en 2012, de 2017 à 2019 et depuis le 24 janvier 2021. Compte tenu du caractère récent et de la gravité des faits, le préfet était fondé à considérer que M. A... représentait une menace pour l'ordre public.

7. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de M. A... en l'obligeant à quitter le territoire français, compte tenu de la menace à l'ordre public qu'il représente. Le préfet du Nord est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a annulé pour violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur les autres moyens invoqués par M. A... :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

9. En premier lieu, la décision contestée vise les textes dont elle fait application et comporte les considérations de fait qui en constituent le fondement. En particulier, elle mentionne la date d'entrée en France de M. A..., indique, même si elle ne fait pas état des cartes de résident dont il a bénéficié, qu'il " n'est plus en règle sur le territoire français depuis le 18 décembre 2016 " et qu'il " n'établit pas ne pas pouvoir se réinsérer socialement et professionnellement dans son pays ". Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté. Il ne ressort pas non plus des termes de la décision que le préfet ne se serait pas livré, au vu des pièces du dossier, à un examen sérieux de la situation de M. A....

10. En deuxième lieu, M. A... a pu former un recours contre la décision contestée avant qu'elle ne soit exécutée et a pu être assisté d'un avocat. S'il a indiqué qu'il s'est constitué partie civile dans une procédure pénale en cours, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la mesure d'éloignement et, au surplus, rien n'empêche qu'il puisse se faire représenter dans cette procédure. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'est assorti d'aucune autre précision permettant d'en apprécier la portée, doit être écarté.

11.En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; / (...) "

12. M. A..., né le 7 novembre 1977, est entré en France le 30 décembre 1990 alors qu'il avait plus de treize ans. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il se prévaut doit donc être écarté.

13. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points précédents, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de M. A... doit être écarté.

En ce qui concerne l'interdiction de retour :

14. En premier lieu, par arrêté du 20 juin 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, le préfet du Nord a donné délégation à Mme D..., adjointe à la cheffe du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière pour signer notamment les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français en cas d'absence ou d'empêchement de la cheffe de bureau. Il n'est pas établi ni même soutenu que la cheffe de bureau n'aurait pas été absente ou empêchée. Par suite, le moyen de l'incompétence de la signataire de la décision contestée ne peut qu'être écarté.

15. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ".

16. M. A... est arrivé en France juste après ses treize ans et y avait vécu, à la date de la décision attaquée, pendant près de trente-deux ans. Ses parents, son frère et son fils vivent également en France. Toutefois, l'intéressé ne démontre ni l'intensité de ses relations avec sa famille, ni son insertion dans la société française, alors qu'il a été incarcéré pendant plus de trois ans sur les cinq dernières années et qu'il a fait l'objet de condamnations pénales pour des faits graves. Par suite, le préfet n'a pas fait une inexacte appréciation des dispositions précitées en considérant qu'aucune circonstance humanitaire ne justifiait de ne pas prendre d'interdiction de retour.

17. Si M. A... soutient qu'il s'est constitué partie civile dans une procédure pénale dont l'instruction est en cours, la décision contestée ne fait pas obstacle à ce qu'il se fasse représenter dans cette procédure par un conseil. Par suite, cette circonstance n'est pas non plus de nature à justifier que ne soit pas prise une interdiction de retour.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 12 septembre 2022 portant obligation de quitter le territoire français, refus d'octroi d'un délai de départ volontaire, fixation du pays d'éloignement et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 1er décembre 2022 est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Lille sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 8 juin 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. Denis Perrin, premier conseiller,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023.

Le rapporteur,

Signé : D. Perrin

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. C...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°23DA00140 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00140
Date de la décision : 22/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-06-22;23da00140 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award