Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 5 août 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime l'a obligée à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2203411 du 6 octobre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de réexaminer la situation de Mme B... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 novembre 2022 et un mémoire enregistré le 19 janvier 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de Mme B....
Il soutient que la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 23 février 2022 rejetant sa demande d'asile a été régulièrement notifiée à Mme B... comme en atteste le suivi postal établi par la Poste. Par suite, l'intéressée n'avait plus le droit de se maintenir sur le territoire français à la date de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 décembre 2022, Mme B..., représentée par Me Nadejda Bidault, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Bidault sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle avait le droit de se maintenir sur le territoire français
La clôture de l'instruction a été fixée au 13 février 2023 à 12 heures par ordonnance du 20 janvier 2023.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 décembre 2022 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. Mme B..., de nationalité géorgienne, a demandé l'asile en France le 8 octobre 2021. Par une décision du 23 février 2022, l'Office de protection des réfugiés et apatrides a rejeté cette demande. Par arrêté du 5 août 2022, le préfet de la Seine-Maritime a obligé l'intéressée à quitter le territoire français dans les trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
2. Par un jugement du 6 octobre 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 5 août 2022 et a enjoint au préfet de la Seine-Maritime de réexaminer la situation de l'intéressée dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
3. D'une part, aux termes de l'article R. 531-19 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La date de notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides qui figure dans le système d'information de l'office, et qui est communiquée au préfet compétent et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration au moyen de traitements informatiques, fait foi jusqu'à preuve du contraire. ".
4. D'autre part, en cas de retour à l'administration, au terme du délai de mise en instance, du pli recommandé contenant la décision, la notification est réputée avoir été régulièrement accomplie à la date à laquelle ce pli a été présenté à l'adresse de l'intéressé dès lors qu'il résulte soit de mentions précises, claires et concordantes portées sur l'enveloppe, soit, à défaut, d'une attestation du service postal ou d'autres éléments de preuve, que le préposé a, conformément à la réglementation en vigueur, déposé un avis d'instance informant le destinataire que le pli était à sa disposition au bureau de poste.
5. Il ressort du relevé du fichier Telemofpra que la décision du 23 février 2022 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a été notifiée à Mme B... le 18 mai 2022. Pour renverser la présomption de notification à cette date en application des dispositions précitées, l'intéressée a produit le journal de gestion/accueil courrier de la structure de premier accueil des demandeurs d'asile du Petit-Quevilly, où elle était domiciliée. Ce document indique qu'elle n'a reçu aucun courrier entre le 7 février 2022 et le 6 juillet suivant. Elle a également produit une attestation du 25 juillet 2022 du directeur de cette structure confirmant qu'elle n'a pas reçu de courrier de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
6. Toutefois, d'une part, il ressort du bordereau de suivi postal émanant de la Poste, produit en première instance, que le courrier contenant la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a été déposé au bureau de poste du Petit-Quevilly le 27 avril 2022 puis qu'il a été retourné à l'expéditeur " pour cause de dépassement de délai d'instance " le 18 mai 2022.
7. D'autre part, il ressort également de l'avis de réception postal de ce pli, produit pour la première fois en appel, que le pli a été présenté le 26 avril 2022 à l'adresse de domiciliation de Mme D... C... E..., qu'un avis d'instance a été déposé et que le pli n'a pas été réclamé. Si le pli a ainsi été adressé en utilisant le nom d'épouse de l'intéressée, celle-ci était connue sous ce nom dans la structure de domiciliation comme le démontre l'attestation du directeur de la structure et le motif de non distribution du pli a été " pli avisé et non réclamé " et non " destinataire inconnu à l'adresse ".
8. Ces éléments précis, clairs et concordants suffisent à établir que la notification a été régulièrement accomplie à la date à laquelle ce pli a été présenté à l'adresse de Mme B... , en dépit de l'attestation en sens inverse de la structure auprès de laquelle était domiciliée l'intéressée.
9. Dans ces conditions, Mme B..., détenant la nationalité d'un pays considéré comme sûr, son droit au maintien sur le territoire français a pris fin, en application de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la date de notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et le préfet pouvait en conséquence prendre à son encontre une décision l'obligeant à quitter le territoire français sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du même code.
10. Par ailleurs, il ressort également des pièces produites pour la première fois en appel que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a adressé le 8 juillet 2022 à Mme B..., à sa demande, une copie de la décision du 23 février 2022. L'intéressée a accusé réception de cet envoi le 22 juillet 2022. Elle ne peut donc soutenir que l'Office n'avait pas pris de décision de rejet de sa demande d'asile à la date à laquelle le préfet de la Seine-Maritime a pris une décision l'obligeant à quitter le territoire français.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort, par le jugement contesté, que le tribunal administratif de Rouen a annulé pour ce motif d'erreur de droit son arrêté du 5 août 2022.
12. Il appartient néanmoins à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... tant en première instance qu'en appel.
Sur les autres moyens invoqués par Mme B... :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
13. En premier lieu, la décision contestée vise les textes dont elle fait application et comporte les considérations de fait qui en constituent le fondement. En particulier, elle indique que Mme B... " se déclare dans sa demande d'asile, être veuve, sans enfant ". Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision doit être écarté.
14. En deuxième lieu, la demande de Mme B..., en provenance d'un pays sûr, a été examinée en procédure accélérée. Dès lors, son droit de se maintenir sur le territoire français a pris fin lorsque l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris une décision de rejet de sa demande, en application des dispositions de l'article L 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de la Seine-Maritime pouvait donc l'obliger à quitter le territoire sans attendre la décision prise par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides sur sa demande de réexamen. Au surplus, l'enregistrement de cette demande de réexamen a eu lieu le 11 août 2022, postérieurement à la décision contestée.
15. En troisième lieu, si Mme B... est hébergée par son fils et sa belle-fille, titulaires de cartes de résident en tant que réfugiés, elle a vécu jusqu'à l'âge de 84 ans dans son pays et n'apporte aucun autre élément sur son insertion en France. Par suite, compte tenu notamment du caractère récent de son séjour en France, la décision contestée n'a pas porté une atteinte excessive à sa vie privée et familiale. Le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne la fixation du pays de renvoi :
16. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 5 août 2022. Par suite les demandes de Mme B... tant devant le tribunal administratif de Rouen que devant la cour doivent être rejetées, y compris celles à fins d'injonction et celles présentées au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2203411 du 6 octobre 2022 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : Les demandes de Mme B... tant devant le tribunal administratif de Rouen que devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme C... B... et à Me Nadejda Bidault.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.
Délibéré après l'audience publique du 8 juin 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. Denis Perrin, premier conseiller,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juin 2023.
Le rapporteur,
Signé : D. PerrinLe président de la 1ère chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N°22DA02313 2