Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 24 mai 2022 par lequel le préfet de police a prononcé son transfert aux autorités bulgares.
Par un jugement n° 2202233 du 17 juin 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 24 mai 2022 par lequel le préfet de police a prononcé le transfert de M. B... aux autorités bulgares.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2022, le préfet de police demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé que la décision prononçant le transfert de M. B... aux autorités bulgares était entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- les autres moyens invoqués par M. B... devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 avril 2023, M. A... C... B..., représenté par Me Thomas, conclut, d'une part, au rejet de la requête, d'autre part, et à titre subsidiaire, à l'annulation de l'arrêté du 24 mai 2022 du préfet de police et à ce qu'il soit enjoint à l'autorité préfectorale compétente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de sept jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard, enfin à ce que soit mise la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 24 mai 2022 du préfet de police comme entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- il méconnaît l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- il est entaché d'irrégularité, faute pour l'administration d'avoir réalisé l'entretien individuel dans les conditions prévues à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- il est entaché d'irrégularité, faut de justification par le préfet de police de la saisine des autorités bulgares, par l'administration, d'une demande de transfert ;
- il est entaché d'un défaut d'examen personnalisé de sa situation et méconnaît l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- il méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
M. B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Bertrand Baillard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C... B..., ressortissant afghan né le 15 juin 2002 à Kaboul (Afghanistan), est entré en France le 10 mars 2022, selon ses déclarations. Il a présenté, le 4 avril 2022, une demande d'asile auprès des services de la préfecture de police qui lui ont remis une attestation de demande d'asile en procédure Dublin. La consultation par l'administration du fichier Eurodac a permis d'établir que l'intéressé avait été précédemment identifié, le 19 janvier 2022, en tant que demandeur d'asile, par les autorités bulgares. Les autorités bulgares, saisies, le 25 avril 2022, d'une demande de reprise en charge sur le fondement du b) du 1. de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont accepté implicitement, le 10 mai 2022, de reprendre en charge M. B... en application des dispositions du 2. de l'article 25 du même règlement. Par un arrêté du 24 mai 2022, le préfet de police a prononcé le transfert de M. B... aux autorités bulgares. Par un jugement du 17 juin 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a, sur la demande de M. B..., annulé cet arrêté. Le préfet de police relève appel de ce jugement.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) / 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par cet article, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
3. Pour annuler l'arrêté du 24 mai 2022 par lequel le préfet de police a prononcé le transfert de M. B... aux autorités bulgares, le premier juge, après avoir cité les dispositions du 1. de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, a relevé que cet arrêté était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. Ainsi qu'il ressort des motifs du jugement attaqué, le premier juge s'est fondé, en particulier, sur la présence en France du frère aîné de M. B..., M. D... B..., lequel s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 20 mars 2020 en raison des craintes pour sa vie, en cas de retour dans son pays d'origine, résultant de l'exercice par ce dernier de l'activité de mécanicien pour le compte de l'armée américaine en Afghanistan. Si le préfet de police conteste le lien de parenté entre l'intéressé et M. D... B..., il ressort des pièces produites au dossier que ce lien est corroboré par leurs déclarations concordantes sur l'identité de leurs parents, par le fait que M. D... B... a déclaré, au soutien de sa demande d'asile déposée le 20 décembre 2019, que M. A... C... B... était l'un de ses frères, ce dernier ayant lui-même déclaré, à l'occasion de l'entretien dont il a bénéficié le 4 avril 2022, que son frère aîné résidait en France. Par ailleurs, si M. B... a présenté sa demande d'asile à Paris, celui-ci soutient, sans que cela soit sérieusement contesté, qu'il est hébergé depuis son arrivée en France par son frère qui réside au Havre et l'assiste dans ses démarches administratives. Dès lors, dans les circonstances particulières de l'espèce, c'est à bon droit que le premier juge, pour annuler l'arrêté du 24 mai 2022, a estimé que le préfet de police, en prononçant la remise de M. B... aux autorités bulgares, avait entaché cette décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 24 mai 2022.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
5. M. B... a obtenu le maintien de l'aide juridictionnelle totale qui lui avait été accordée devant le tribunal administratif de Rouen. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui a la qualité de partie perdante, le versement au conseil de M. B... d'une somme de 1 000 euros, en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de police est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Thomas, conseil de M. B..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de police, à M. A... C... B... et à Me Thomas.
Délibéré après l'audience publique du 17 mai 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Heu, président de chambre,
- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juin 2023.
Le rapporteur,
Signé : B. BaillardLe président de chambre,
Signé : C. HeuLa greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°22DA01524 2