Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... F... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 1er avril 2019 par laquelle le préfet du Nord a refusé sa demande d'autorisation de regroupement familial au bénéfice de son épouse et de sa fille et qu'il soit enjoint au préfet du Nord d'autoriser ce regroupement familial dans les deux mois suivant le jugement à intervenir, ce sous astreinte de 155 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1908447 du 29 novembre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 décembre 2022, M. D..., représenté par Me Berthe, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord, en cas de reconnaissance du bien-fondé de la requête, d'autoriser la procédure de regroupement familial du requérant au profit de son épouse et de sa fille dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir, ce sous astreinte de 155 euros par jour de retard, ou à tout le moins de réexaminer sa situation, dans les mêmes conditions ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à verser au conseil du requérant, en application des dispositions de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative,
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros, à verser au requérant, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le préfet du Nord n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation privée et familiale, et a ainsi entaché la décision contestée d'une erreur de droit en se croyant en situation de compétence liée pour refuser d'accorder le bénéfice du groupement familial ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 mars 2023, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 1er mars 2023 la clôture d'instruction a été fixée au 22 mars 2023.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle, à hauteur de 25 %, par une décision du 20 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 27 décembre 1968 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... F... D..., ressortissant algérien né le 19 juillet 1966 à Tlemcen (Algérie), est entré sur le territoire français le 4 mars 2008 et y réside régulièrement sous couvert d'un certificat de résidence délivré le 5 juin 2009 et valable dix ans. Il a épousé le 5 septembre 1995, en Algérie, Mme A... C..., ressortissante algérienne. Deux enfants sont nés à Tlemcen de cette union, le premier le 28 juillet 1996 et le second le 8 octobre 2000. Le mariage a été dissous le 19 mai 2007. M. D... a par la suite épousé le 3 juin 2008 une ressortissante française. De cette union est né le 17 avril 2008 un enfant mais cette union a été, à son tour, dissoute en septembre 2012. Le 4 juillet 2012, M. D... a épousé une seconde fois en Algérie sa première épouse. Il a demandé le 20 mai 2018 au préfet du Nord d'autoriser le regroupement familial au bénéfice de son épouse, Mme C..., et de leur enfant encore mineur, Mme B... D.... Par une décision du 1er avril 2019, le préfet du Nord a rejeté cette demande. M. D... relève appel du jugement du 29 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de ladite décision du préfet du Nord.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " Les membres de famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. / Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. / Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1. Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ; / 2. Le demandeur ne dispose ou ne disposera à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il résulte des stipulations précitées que si le préfet, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions conventionnellement requises, comme en l'espèce en cas de ressources financières insuffisantes, il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les stipulations précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale, tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il ressort des termes même de la décision litigieuse du 1er avril 2019 que, pour refuser à M. D... le bénéfice du regroupement familial au profit de son épouse et de leur enfant mineur, le préfet du Nord s'est fondé sur le seul motif tiré de ce que les ressources que présentait M. D... étaient " insuffisantes car n'atteignent pas le montant du SMIC en vigueur ". Si le préfet pouvait légalement fonder son refus sur ce motif, il lui appartenait de procéder à un examen de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la situation personnelle et familiale de l'intéressé au regard du droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort ni de la décision attaquée ni des pièces du dossier, que le préfet ait procédé à un tel examen d'ensemble des circonstances de l'espèce. Par suite, le préfet du Nord doit être regardé comme s'étant, à tort, estimé lié par l'insuffisance des ressources de l'intéressé pour rejeter la demande de regroupement familial dont il était saisi. Le requérant est ainsi fondé à soutenir que le préfet du Nord a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er avril 2019 du préfet du Nord.
Sur les conclusions à la fin d'injonction et d'astreinte :
7. Eu égard aux motifs d'annulation retenus par le présent arrêt, son exécution implique seulement qu'il soit enjoint au préfet du Nord de procéder à un nouvel examen de la demande de M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette mesure d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 %. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 300 euros à Me Berthe, avocat de D... sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat. En outre, dès lors que l'admission à l'aide juridictionnelle partielle a laissé à la charge du requérant une partie des frais exposés pour l'instance et non compris dans les dépens, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 900 euros à M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1908447 du 29 novembre 2021 du tribunal administratif de Lille ainsi que la décision du préfet du Nord du 1er avril 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de procéder à un nouvel examen de la demande de M. D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Berthe, avocat de M. D..., sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, une somme de 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : L'Etat versera à M. D... une somme de 900 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... F... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet du Nord et à Me Berthe.
Délibéré après l'audience publique du 18 avril 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Dominique Bureau, première conseillère,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2023.
La première conseillère,
Signé : D. Bureau
La présidente de chambre,
présidente-rapporteure,
Signé : G. BorotLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
A-S Villette
N°22DA02610 2