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03/05/2023 | FRANCE | N°22DA00002

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 03 mai 2023, 22DA00002


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier d'Arras à lui verser la somme globale de 269 629,15 euros en remboursement des indemnités versées aux consorts A... E... et K... en réparation des préjudices subis à la suite de l'agression de M. P... A... E... et de M. W... K... le 16 mars 2012 B... M. V... G....

B... un jugement n° 1709794 du 3 novembre 2021, le tribunal administrat

if de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

B... une req...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier d'Arras à lui verser la somme globale de 269 629,15 euros en remboursement des indemnités versées aux consorts A... E... et K... en réparation des préjudices subis à la suite de l'agression de M. P... A... E... et de M. W... K... le 16 mars 2012 B... M. V... G....

B... un jugement n° 1709794 du 3 novembre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

B... une requête, enregistrée le 3 janvier 2022, le FGTI, représenté B... la société d'avocats Cassel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier d'Arras à lui verser la somme totale de 269 629,15 euros avec intérêts de droit à compter du 13 septembre 2017 pour la somme de 159 629,15 euros et à compter du 11 juillet 2019 pour la somme de 110 000 euros ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Arras une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le programme de soins prescrit à M. G... B... le centre hospitalier d'Arras, qui l'a laissé libre de ses mouvements et de sa compliance médicamenteuse, a fait peser sur les tiers un risque grave et spécial qui engage la responsabilité sans faute de l'établissement ;

- compte tenu du profil de l'agresseur, l'hôpital a commis une faute en raison du choix d'une absence d'hospitalisation complète et prolongée ou en l'absence d'une hospitalisation en journée ou de surveillance accrue en ambulatoire ;

- le préjudice s'élève aux sommes de 159 629,15 euros pour les consorts K... et 110 000 euros pour les consorts A... E....

B... un mémoire, enregistré le 28 mars 2022, le centre hospitalier d'Arras, représenté Me Pierre-Henri Lebrun, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge du FGTI une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés B... le FGTI ne sont pas fondés.

B... une ordonnance du 6 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public,

- et les observations de Me Isabelle Fuchs-Drapier, représentant le centre hospitalier d'Arras.

Considérant ce qui suit :

1. Le 16 mars 2012, M. V... G..., alors âgé de trente-et-un ans et atteint d'un syndrome psychotique chronique, a violemment agressé plusieurs personnes fréquentant la mosquée d'Arras dont M. W... K... et M. P... A... E..., ce dernier étant décédé de ses blessures. B... un arrêt du 10 octobre 2013, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai a, d'une part, jugé M. G... coupable du meurtre avec préméditation de M. A... E... et de la tentative de meurtre avec préméditation de M. K... et, d'autre part, déclaré M. G... irresponsable pénalement compte tenu du trouble psychique dont il est atteint.

2. Les consorts K... ont saisi, les 21 février 2013 et 23 juillet 2015, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) placée auprès du tribunal de grande instance d'Arras qui, après avoir diligenté une expertise, a fixé les préjudices de M. K... à 69 740 euros et les indemnités allouées à Mme J... K... et Mme C... K... à 15 000 euros et 7 500 euros. B... un arrêt du 2 mars 2017, la cour d'appel de Douai a infirmé ces décisions et évalué les préjudices de M. K... à 113 129,15 euros, de Mme J... K... à 5 000 euros et de Mme C... J... à 2 500 euros. Le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a indemnisé, en vertu des articles 706-3 et 706-4 du code de procédure pénale, les consorts K... à hauteur de 120 629,15 euros.

3. A la suite de transactions homologuées B... des ordonnances des 25 novembre 2016, 12 janvier 2017, 13 février 2017 et 28 avril 2017, la CIVI d'Arras a mis à la charge du FGTI la somme totale de 36 000 euros au titre du préjudice d'affection subi B... M. M... A... E..., Mme N... A... E..., M. F... D..., Mme H... D..., M. S... A... I..., Mme R... A... I..., petits-enfants de M. P... A... E.... B... des décisions du 4 juin 2019, la même commission a mis à la charge du FGTI la somme totale de 110 000 euros au titre du préjudice d'affection subi B... les enfants de M. P... A... E..., à savoir M. U... A... E..., M. T... A... E..., Mme O... A... E... et M. L... A... E... et de son épouse, Mme Q... A... E.... Le FGTI a indemnisé, en vertu des articles 706-3 et 706-4 du code de procédure pénale, les consorts A... E... à hauteur de 146 000 euros.

4. Le FGTI, qui a versé successivement les sommes de 120 629,15 euros, 36 000 euros et 110 000 euros, a demandé au tribunal administratif de Lille, sur le fondement de l'article 706-11 du code de procédure pénale, de condamner le centre hospitalier d'Arras à lui rembourser les indemnités qu'il a versées aux consorts A... E... et K..., assorties des intérêts à compter de ses deux demandes indemnitaires. Après avoir ordonné avant dire droit une expertise portant sur la responsabilité du centre hospitalier d'Arras dans le suivi psychiatrique de M. G..., le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande du FGTI B... un jugement n° 1709794 du 3 novembre 2021 dont le fonds relève appel.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité sans faute du centre hospitalier d'Arras :

5. Aux termes de l'article L. 3211-1 du code de la santé publique : " Une personne ne peut sans son consentement ou, le cas échéant, sans celui de son représentant légal, faire l'objet de soins psychiatriques, hormis les cas prévus B... les chapitres II à IV du présent titre (...) ". Aux termes de l'article L. 3211-2-1 du même code : " I.- Une personne faisant l'objet de soins psychiatriques en application des chapitres II et III du présent titre ou de l'article 706-135 du code de procédure pénale est dite en soins psychiatriques sans consentement. / La personne est prise en charge : /1° Soit sous la forme d'une hospitalisation complète dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 du présent code ; / 2° Soit sous toute autre forme, pouvant comporter des soins ambulatoires, des soins à domicile dispensés B... un établissement mentionné au même article L. 3222-1, des séjours à temps partiel ou des séjours de courte durée à temps complet effectués dans un établissement mentionné audit article L. 3222-1. / II.- Lorsque les soins prennent la forme prévue au 2° du I, un programme de soins est établi B... un psychiatre de l'établissement d'accueil et ne peut être modifié, afin de tenir compte de l'évolution de l'état de santé du patient, que dans les mêmes conditions. Le programme de soins définit les types de soins, leur périodicité et les lieux de leur réalisation, dans des conditions déterminées B... décret en Conseil d'Etat (...) / III.- Aucune mesure de contrainte ne peut être mise en œuvre à l'égard d'un patient pris en charge sous la forme prévue au 2° du I ".

6. Il résulte de l'instruction que M. G... était suivi B... les personnels de la clinique psychiatrique Aloïse Corbaz dépendant du centre hospitalier d'Arras depuis l'année 2005 en raison d'une schizophrénie paranoïde. Au cours des années 2006 à 2008 puis en 2011, il a été hospitalisé à huit reprises à la demande d'un tiers et, au cours des années 2009 et 2010, il a fait l'objet de deux hospitalisations d'office. Le 14 novembre 2011, il a été admis aux urgences du centre hospitalier d'Arras pour déambulation sur la voie publique et péril imminent. Avant de sortir de l'hôpital le 30 novembre 2011, il a bénéficié de deux permissions les 22 et 26 novembre, puis a fait l'objet d'une hospitalisation sous contrainte le 24 décembre 2011 en raison d'une rupture dans le suivi de son traitement médicamenteux, qui a pris fin le 9 janvier 2012. Hospitalisé d'office le 20 janvier 2012, il en est ressorti le 14 février 2012. Puis, M. G... s'est rendu spontanément au centre hospitalier d'Arras le 24 février 2012 en raison d'hallucinations, de rires immotivés et d'idées délirantes. Le centre l'a pris en charge jusqu'au 29 février 2012, date à laquelle un programme de soins a été établi B... l'équipe psychiatrique comprenant un rendez-vous hebdomadaire et un traitement médicamenteux.

7. Les dommages causés B... une personne prise en charge pour des soins psychiatriques faisant l'objet d'une méthode thérapeutique libérale créant un risque spécial pour les tiers, et en relation directe avec l'application de cette méthode, sont de nature à engager la responsabilité sans faute d'un centre hospitalier.

8. En l'espèce, il résulte du programme de soins du 29 février 2012 de M. G... prescrit B... la psychiatre de la clinique Corbaz rattachée au centre hospitalier d'Arras, que " les soins psychiatriques sans consentement doivent être poursuivis dans le cadre de soins sans consentement en ambulatoire (programme de soins joints en annexe) ". Ainsi, M. G... a été autorisé à sortir de la clinique Corbaz le 29 février 2012 et faisait l'objet d'un programme de soins en ambulatoire composé d'un traitement médicamenteux et de visites hebdomadaires à l'hôpital, lorsqu'il a commis les faits litigieux, le 16 mars 2012. Or, dès lors qu'un tel programme de soins en ambulatoire est prévu B... les dispositions précitées du 2° de l'article L. 3211-2-1 du code de la santé publique, ce traitement, prévu B... la loi, ne peut être regardé comme constituant une méthode thérapeutique libérale créant un risque spécial pour les tiers susceptible d'engager la responsabilité sans faute du centre hospitalier d'Arras. Il en résulte que le FGTI n'est pas fondé à demander que la cour reconnaisse la responsabilité sans faute de l'établissement sur le fondement du risque spécial. En outre, si le FGTI invoque la responsabilité sans faute du centre hospitalier au titre de la rupture d'égalité devant les charges publiques, le moyen n'est pas assorti de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé, en l'absence de risque spécial pour les tiers.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute du centre hospitalier d'Arras :

9. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

10. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 21 avril 2021 ordonné B... le tribunal administratif de Lille qu'en laissant à M. G..., à sa sortie de l'hôpital le 29 février 2012, le soin de prendre un traitement B... voie orale composé d'anxiolytiques, d'antipsychotiques et de neuroleptiques sédatifs, sans mesure de surveillance de cette compliance médicamenteuse et en n'organisant pas une nouvelle consultation le 9 mars 2012 en substitution de celle qui avait été annulée, en méconnaissance des prescriptions du programme de soins, le centre hospitalier d'Arras a manqué à ses obligations.

11. Toutefois, il résulte de l'instruction que depuis l'année 2005, si M. G... souffrait périodiquement de décompensations hallucinatoires et délirantes l'amenant à déambuler sur la voie publique, il ne présentait aucun antécédent de violence effective sur autrui. L'évaluation du 2 mars 2012 faite B... un praticien du centre hospitalier d'Arras peu après la sortie de l'intéressé révèle que M. G... était alors calme, adhérait à son traitement et souhaitait mener à bien son projet de formation, ce qui permet d'établir qu'une hospitalisation complète ou sous contrainte permanente ne s'imposait pas. B... ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que les périodes d'hospitalisation de M. G... étaient trop courtes dès lors que ces prises en charge, d'une durée de deux à trois semaines, permettaient de stabiliser l'état du patient B... la reprise de son traitement médicamenteux. Enfin, l'expert désigné B... le tribunal administratif de Lille affirme que même si M. G... s'était rendu à la consultation prévue le 9 mars 2012, les agressions commises le 16 mars 2012 auraient néanmoins eu lieu, ce passage à l'acte résultant de l'évolution de la pathologie de l'intéressé et non du traitement mis en œuvre pour un patient n'ayant jusqu'alors présenté aucun signe d'agressivité sur autrui. Il en résulte que le lien de causalité entre les manquements constatés de la part du centre hospitalier d'Arras et les dommages résultant des faits hétéro-agressifs commis le 16 mars 2012 B... M. G..., ne présente pas un caractère suffisamment direct et certain pour engager la responsabilité du centre hospitalier d'Arras et pour qu'il soit fait droit à l'action subrogatoire du FGTI.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le FGTI n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, B... le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier d'Arras à lui verser la somme totale de 269 629,15 euros.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier d'Arras, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le FGTI demande au titre des frais exposés B... lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du FGTI la somme demandée B... le centre hospitalier d'Arras à ce titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête présentée B... le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées B... le centre hospitalier d'Arras au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions et au centre hospitalier d'Arras.

Délibéré après l'audience publique du 11 avril 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public B... mise à disposition au greffe le 3 mai 2023.

Le rapporteur,

Signé : G. VandenbergheLa présidente de chambre,

Signé : A. Seulin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA00002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00002
Date de la décision : 03/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: M. Guillaume Vandenberghe
Rapporteur public ?: M. Toutias
Avocat(s) : SELAFA CASSEL

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-05-03;22da00002 ?
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