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06/04/2023 | FRANCE | N°22DA00568

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 06 avril 2023, 22DA00568


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI du Marquet et la société Gurdebeke ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 11 juillet 2017, par laquelle le préfet de la région Hauts-de-France a rejeté la demande formulée par la SCI du Marquet tendant à la radiation de l'inscription de la " Butte des Zouaves " à Moulin-sous-Touvent (Oise), à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Par un jugement n° 1702500 du 31 décembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette décisio

n et a enjoint au préfet de procéder au réexamen, après avoir sollicité l'avis de la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI du Marquet et la société Gurdebeke ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 11 juillet 2017, par laquelle le préfet de la région Hauts-de-France a rejeté la demande formulée par la SCI du Marquet tendant à la radiation de l'inscription de la " Butte des Zouaves " à Moulin-sous-Touvent (Oise), à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Par un jugement n° 1702500 du 31 décembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette décision et a enjoint au préfet de procéder au réexamen, après avoir sollicité l'avis de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture, de la demande de la SCI du Marquet, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement.

Par un arrêt n° 20DA00449 et 20DA00450 du 1er décembre 2020, la cour a, d'une part, rejeté la requête du ministre de la culture enregistrée sous le n° 20DA00449, dirigée contre le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 31 décembre 2019, d'autre part, dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 20DA00450.

Par une décision n° 449328 du 7 mars 2022, le Conseil d'Etat, saisi par le ministre de la culture, a annulé les articles 1er et 3 de cet arrêt, a renvoyé l'affaire à la cour et a rejeté les conclusions présentées par les sociétés Marquet et Gurdebeke sur le fondement de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, initialement enregistrés sous le n° 20DA00449 les 10 mars 2020 et 5 août 2020, puis, après cassation et renvoi, par un mémoire enregistré sous le n° 22DA00568, le 2 mai 2022, le ministre de la culture demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens et de rejeter la demande de la SCI du Marquet et de la société Gurdebeke.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé dès lors, d'une part, qu'il n'a pas répondu aux moyens en défense tirés de l'article 113 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 et du caractère inopérant des articles R. 621-54 et R. 621-59 du code du patrimoine, d'autre part, que son mémoire enregistré le 21 mai 2019, qui soulevait pour la première fois cette dernière circonstance, n'a pas été communiqué aux requérantes ;

- seules les inscriptions et la radiation d'un immeuble sont soumises pour avis à la commission régionale du patrimoine et de l'architecture, cette instance n'ayant pas à être saisie lorsque le préfet est saisi d'une demande de radiation d'une inscription et qu'il refuse d'y accéder ;

- subsidiairement, en application de l'article 113 de la loi du 7 juillet 2016, l'avis émis le 15 octobre par la commission régionale du patrimoine et des sites étant intervenu entre le 1er janvier 2006 et le 8 juillet 2016 tenait lieu de l'avis exigé par les articles R. 621-54

et R. 621-59 du code du patrimoine ;

- les moyens soulevés par les sociétés en première instance ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 juillet 2020 et le 2 septembre 2020, et un mémoire enregistré après cassation et renvoi, le 16 mai 2022, la SCI du Marquet et la société Gurdebeke, représentées par Me David Deharbe demandent à la cour à titre principal de rejeter la requête, à titre subsidiaire, d'annuler la décision du 11 juillet 2017 et d'enjoindre au préfet de la région Hauts-de-France de tirer toutes les conséquences de l'annulation de la décision attaquée ou à tout le moins de réexaminer la demande de radiation de l'inscription de la Butte des Zouaves au titre des monuments historiques, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Ils concluent également à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la requête est irrecevable ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- l'arrêté est entaché d'incompétence ;

- il est entaché de vices de procédures, dès lors que l'avis du 15 octobre 2015 de la commission régionale du patrimoine et des sites, dont se prévaut le préfet, n'a pas été adopté à la suite d'une procédure contradictoire, qu'il est entaché d'un vice de détournement de pouvoir, d'erreur de fait, d'un défaut de transparence et qu'il méconnaît le principe d'impartialité, le principe de bonne administration ainsi que les dispositions de l'article R. 611-17 du code du patrimoine ;

- il méconnaît l'autorité de la chose jugée par le tribunal administratif d'Amiens ;

- il est entaché d'erreurs de fait et de droit ;

- il méconnaît les dispositions de l'article L. 621-25 du code du patrimoine et est entaché d'une erreur d'appréciation ;

- il est entaché d'un détournement de pouvoir.

Par une ordonnance du 15 février 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du patrimoine ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- l'arrêté du 17 novembre 2009 relatif aux missions et à l'organisation du secrétariat général ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Corinne Baes-Honoré présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me David Deharbe, représentant la SCI du Marquet et la société Gurdebeke.

Une note en délibéré présentée par la SCI du Marquet et la société Gurdebeke a été enregistrée le 21 mars 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La " Butte des Zouaves ", monticule de terre se trouvant sur un terrain situé sur le territoire de la commune de Moulin-sous-Touvent (Oise), appartenant, depuis 2010, à la société du Marquet et sur lequel la société Gurdebeke gère un centre de stockage de déchets ménagers, a été inscrite à l'inventaire des monuments historiques par un arrêté du 2 avril 2002 au motif qu'elle constitue un lieu de mémoire. Par un courrier du 2 octobre 2014, la société civile immobilière (SCI) du Marquet a demandé au préfet de la région Picardie de radier la Butte des Zouaves de l'inventaire des monuments historiques puis a attaqué le refus qui lui a été implicitement opposé. Par un jugement du 14 mars 2017, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette décision et a enjoint au préfet de statuer à nouveau sur la demande qui lui avait été faite. Par une nouvelle décision du 11 juillet 2017, le préfet de la région Hauts-de-France a rejeté la demande de radiation. Par un jugement attaqué du 31 décembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a annulé cette nouvelle décision de refus. Par un arrêt n° 20DA00449 et n° 20DA00450 du 1er décembre 2020, la cour administrative d'appel de Douai a, à l'article 1er de son arrêt, rejeté la requête d'appel du ministre de la culture, jugé à l'article 2 qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement et à l'article 3 a mis une somme de 1 500 euros à charge des sociétés au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Saisi d'un pourvoi en cassation par le ministre de la culture, le Conseil d'Etat a, par un arrêt n° 449328 du 7 mars 2022, annulé les articles 1er et 3 de cet arrêt, et a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. Aux termes de l'article R. 811-10 du code de justice administrative : " (...) Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat. / Les ministres peuvent déléguer leur signature dans les conditions prévues par la réglementation en vigueur ".

3. La requête d'appel enregistrée au greffe de la cour le 10 mars 2020 a été signée par M. A... L'Host, adjoint au sous-directeur des affaires juridiques pour le sous-directeur des affaires juridiques du ministère de la culture. D'une part, ce dernier disposait d'une délégation de plein droit de la ministre sur le fondement de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement.

4. D'autre part, le signataire de la requête d'appel bénéficiait d'une délégation de signature régulièrement publiée au Journal officiel du 11 octobre 2019, que lui avait consentie la secrétaire générale du ministère de la culture. Si l'arrêté du 17 novembre 2009 relatif aux missions et à l'organisation du secrétariat général énonce, à son article 4, que la sous-direction des affaires juridiques représente le ministre devant les juridictions, ces dispositions ne faisaient pas obstacle à ce que la secrétaire générale du ministère de la culture délègue sa signature à un agent autre que

le sous-directeur des affaires juridiques.

5. Il résulte de ce qui précède que la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la requête d'appel doit être écartée.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :

6. Aux termes de l'article R. 621-54 du code du patrimoine : " L'inscription d'un immeuble au titre des monuments historiques est prononcée par arrêté du préfet de région après avis de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture réunie en formation plénière (...) ". Aux termes de l'article R. 621-59 du code du patrimoine : " La radiation de l'inscription d'un immeuble est prononcée et notifiée selon la même procédure et dans les mêmes formes que l'inscription ".

7. Il résulte de ces dispositions que si la décision d'inscrire ou de radier un immeuble au titre des monuments historiques suppose nécessairement l'intervention de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture, il n'en va pas de même de la décision refusant de faire droit à une demande de radiation, dont aucun texte ne prévoit qu'elle doit être soumise à l'avis de cette commission et notamment pas l'article R. 621-59 du code du patrimoine, lequel se borne à prévoir la consultation de cette commission en cas de décision de radiation.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de la culture est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision rejetant la demande de radiation de la " Butte des Zouaves " de l'inventaire des monuments historiques, au motif que le préfet de région n'avait pas recueilli l'avis de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture.

9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SCI du Marquet et la société Gurdebeke, tant devant le tribunal administratif d'Amiens que devant la cour.

Sur les autres moyens de la demande présentée par la SCI du Marquet et la société Gurdebeke :

En ce qui concerne les moyens de légalité externe :

S'agissant de la compétence de l'auteur de l'acte :

10. Par un arrêté du 28 avril 2017, publié le même jour au recueil des actes administratifs de l'Etat dans le département, le préfet des Hauts-de-France a donné délégation à Mme Magali Debatte, secrétaire générale pour les affaires régionales des Hauts-de-France, à l'effet de signer, notamment, tous actes relevant des attributions de l'Etat dans la région

des Hauts-de-France. Le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision en litige manque ainsi en fait et doit, par suite, être écarté.

S'agissant de la forme :

11. Si la décision contestée a été adressée à la société Gurdebeke alors que la radiation de l'inscription avait été sollicitée par la SCI du Marquet, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision contestée qui n'est, en tout état de cause, pas une décision individuelle.

S'agissant de la procédure :

12. Il ressort des pièces du dossier que pour prendre la décision contestée, le préfet s'est fondé sur l'avis émis le 15 octobre 2015 par la commission régionale du patrimoine et des sites, en application de l'article 113 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.

13. En premier lieu, si les sociétés du Marquet et Gurdebeke soutiennent que la procédure contradictoire n'a pas été respectée devant la commission régionale du patrimoine et des sites, elles n'invoquent aucune disposition à l'appui de leur moyen, et il ne résulte pas des dispositions des articles R. 612-1 et suivants du code du patrimoine dans leur rédaction alors en vigueur que la société du Marquet ayant demandé la radiation en litige aurait dû être invitée à participer à la séance de la commission et être autorisée à y assister. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que la société du Marquet a demandé à présenter ses observations ni même qu'un refus lui a été opposé. Il ressort en outre du procès-verbal de la réunion du 15 octobre 2015 qu'il a été donné lecture, au cours de cette séance, de la lettre de la société du Marquet du 9 octobre 2015 comportant ses observations et que le dossier adressé par cette même société le 13 octobre 2015 a été mis à la disposition des membres de la commission. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance du principe du contradictoire et du défaut de transparence doivent être écartés.

14. En deuxième lieu, si les sociétés du Marquet et Gurdebeke font valoir que la rapporteure désignée auprès de la commission régionale du patrimoine et des sites lors de la demande d'inscription de la Butte des Zouaves était la même que celle désignée pour l'examen de la demande de radiation, et soutiennent qu'elle s'est laissée abuser par des déclarations mensongères, il n'est pas contesté que la rapporteure n'a pas participé au vote et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait tenu, lors de ces séances, des propos de nature à faire douter de son impartialité.

15. En troisième lieu, le moyen tiré de ce qu'une erreur de fait a été commise au motif qu'aucune compagnie de zouaves n'est ensevelie sous la butte, doit être écarté, dès lors que le préfet des Hauts-de-France ne s'est pas fondé sur la présence de zouaves ensevelis, dans sa décision.

16. En quatrième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de bonne administration et celui tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 611-17 du code du patrimoine ne sont pas assortis des précisions suffisantes permettant au juge d'en apprécier la portée, ce dernier article n'étant au demeurant entré en vigueur que le 1er avril 2017.

17. En cinquième lieu, il résulte du procès-verbal du 15 octobre 2015 que la séance a débuté par la lecture d'un courrier de la préfète de la région Picardie, rappelant l'importance de la Butte des Zouaves, lieu de mémoire de la Grande guerre et de la guerre des mines. Cependant, ni cette circonstance ni les pièces versées au dossier ne sont de nature à établir le détournement de pouvoir allégué.

18. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".

19. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées est inopérant dès lors que la décision en litige n'est pas une décision individuelle.

En ce qui concerne les moyens de légalité interne :

S'agissant de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée :

20. Par un jugement n° 1403523 et 1500278 du 14 mars 2017, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision du 6 décembre 2014 par laquelle le préfet de la région Picardie a implicitement rejeté la demande de la SCI du Marquet tendant à l'abrogation de l'arrêté d'inscription de la Butte des Zouaves au titre des monuments historiques. Pour cela, le tribunal s'est fondé, d'une part, sur la circonstance qu'aucune trace de l'hécatombe des zouaves n'avait été trouvée à l'endroit supposé du front et qu'aucune archive n'attestait de la disparition soudaine d'une compagnie entière, d'autre part, que les six personnes fusillées en 1942 ne l'avaient pas été à l'endroit de la " Butte des Zouaves ".

21. Dans sa décision contestée, le préfet de la région Hauts-de-France a fait état d'un réseau dense de tranchées et de boyaux, sans se prévaloir de la disparition d'une compagnie de zouaves, et a clairement indiqué que les six otages français avaient été fusillés dans les environnements proches de la Butte. En outre, la circonstance que le tribunal ait retenu un acquiescement aux faits du préfet, en application des dispositions de l'article R. 612-6 du code de justice administrative, n'était pas de nature à conférer aux démonstrations de la société requérante, l'autorité de la chose jugée. Dans ces conditions, le préfet n'a pas méconnu l'autorité de la chose jugée par le tribunal dans son jugement du 14 mars 2017.

S'agissant de la méconnaissance de l'article L. 621-5 du code du patrimoine :

22. Aux termes de l'article L. 621-25 du code du patrimoine : " Les immeubles ou parties d'immeubles publics ou privés qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d'histoire ou d'art suffisant pour en rendre désirable la préservation peuvent, à toute époque, être inscrits, par décision de l'autorité administrative, au titre des monuments historiques ".

23. La décision contestée s'appuie sur l'existence d'un lieu où se trouvait un réseau dense de tranchées et de boyaux dès septembre 1914 et le lien avec la guerre des mines entre janvier 1915 et juin 1916 durant laquelle trois sapeurs ont été ensevelis le 23 décembre 1915. Elle fait également état de la dimension mémorielle du site en raison de l'exécution de six otages français en 1942 dans les environs proches. Enfin, le préfet a relevé que le site apparaissait comme un lieu de souvenir et de pèlerinage pour les zouaves.

24. Il résulte de la carte superposant une carte des tranchées du 25 mai 1916 et une vue satellite de la zone autour de la Butte des Zouaves, que le site sur lequel se trouve désormais cette butte se trouvait entre les tranchées françaises et allemandes. Il ressort également des pièces du dossier et notamment d'un extrait du journal des marches et opérations du 35ème corps d'armée, qu'au cours du mois de décembre 1914, le secteur dit du " champignon ", qui correspond à un secteur plus large que celui de la Butte des Zouaves, a été repris par les français. Il est également établi que des zouaves ont disparu dans le secteur. La circonstance, non contestée, que cette Butte n'existait pas à la fin de la première guerre mondiale, ne faisait pas obstacle à ce qu'elle soit ultérieurement identifiée comme un lieu de mémoire.

25. Si les sociétés du Marquet et Gurdebeke soutiennent que la guerre des mines ne faisait pas " rage " dans ce secteur, il n'en demeure pas moins qu'il a été touché par la guerre des mines, ainsi qu'en atteste la carte versée au dossier intitulée " La guerre des mines au bois de Saint-Mard ". Par ailleurs, même si l'ensevelissement de trois sapeurs ne pouvait justifier à lui seul le classement de la Butte, le préfet n'a pas commis d'erreur de droit en retenant également cet évènement pour justifier le classement. Il n'a pas davantage porté atteinte à la dignité des sapeurs en classant le site comme un lieu de mémoire pour les zouaves.

26. Il ressort également des pièces du dossier que six prisonniers du camp de Royallieu à Compiègne ont été fusillés par les allemands en février et mars 1942. Si cette exécution ne s'est pas déroulée au niveau de la Butte des Zouaves, il ressort des pièces du dossier que la pierre de commémoration, initialement placée sur un terrain désormais exploité, a été placée dans les années 1980 au niveau de la Butte des Zouaves. Le préfet, qui n'a pas commis d'erreur de fait, n'a pas davantage commis d'erreur de droit en retenant la dimension mémorielle du site tenant à la fusillade de 1942.

27. Il ressort enfin des pièces du dossier que dès 1951, la Butte des Zouaves a été identifiée par une association des anciens combattants d'un régime de zouaves, dans le cadre d'une manifestation commémorative. S'il n'est pas contesté qu'elle ne figure pas sur la carte des sites de mémoire et qu'aucune commémoration ne s'y déroule le 11 novembre, il ressort des pièces du dossier que des cérémonies officielles, comme celle du 26 mars 2017, se sont déroulées tant au niveau du mémorial national des Zouaves, qu'au niveau de la Butte des Zouaves.

28. Il résulte de l'instruction, qu'à supposer même que le réseau de tranchées n'ait été constitué qu'en décembre 1914 et non en septembre 1914, le préfet des Hauts-de-France aurait pris la même décision s'il s'était fondé uniquement sur les autres motifs de sa décision.

29. Il résulte de ce qui précède qu'en raison du souvenir d'évènements de la première et de la seconde guerre mondiale et de la consécration progressive du site comme lieu de mémoire, le préfet de la région Hauts-de-France, qui n'a entaché sa décision ni d'erreur de fait ni d'erreur de droit, ne l'a pas davantage entachée d'erreur d'appréciation en estimant que la Butte des Zouaves demeurait un lien de chargé d'histoire et constituait un lieu de mémoire, justifiant sa protection par l'inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

S'agissant du détournement de pouvoir :

30. Ni la lecture du courrier de la préfète de la région Picardie lors de la séance de la commission régionale du patrimoine et des sites du 15 octobre 2015, ni les autres pièces versées au dossier ne sont de nature à établir que le préfet de la région a eu pour objectif de faire échec au projet d'extension de la société Gurdebeke d'un centre de stockage de déchets non dangereux. Le moyen tiré du détournement de pouvoir doit donc être écarté.

S'agissant de la réduction du périmètre :

31. Aux termes de l'article L. 621-30 du code du patrimoine : " (...) II. - La protection au titre des abords s'applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, situé dans un périmètre délimité par l'autorité administrative dans les conditions fixées à l'article L. 621-31. Ce périmètre peut être commun à plusieurs monuments historiques. / En l'absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords s'applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci. (...) ".

32. Dès lors que la décision contestée ne porte pas refus de modifier le périmètre de protection de cinq cents mètres, les sociétés du Marquet et Gurdebeke ne peuvent pas utilement soutenir que le préfet a entaché sa décision d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de supprimer ou de diminuer le périmètre fixé par les dispositions précitées.

33. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que le ministre de la culture est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 31 décembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision du préfet des Hauts-de-France du 11 juillet 2017. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction présentées par les sociétés du Marquet et Gurdebeke doivent également être rejetées.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

34. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SCI du Marquet et la société Gurdebeke demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 31 décembre 2019 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.

Article 2 : La demande de première instance de la SCI du Marquet et de la société Gurdebeke et leurs conclusions d'appel à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la culture, à la société civile immobilière du Marquet et à la société Gurdebeke.

Délibéré après l'audience publique du 21 mars 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.

La présidente-rapporteure,

Signé : C. Baes-HonoréLa présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de la culture ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Huls-Carlier

N° 22DA00568 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00568
Date de la décision : 06/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Corinne Baes Honoré
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : GREENLAW AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-04-06;22da00568 ?
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