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02/03/2023 | FRANCE | N°21DA01877

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 02 mars 2023, 21DA01877


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Les Etangs Collevillais a, par trois demandes successives, demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, d'autre part, de prononcer une réduction des droits de taxe sur la valeur ajoutée dont elle s'est acquittée au titre de la période allant du 1er janvie

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Les Etangs Collevillais a, par trois demandes successives, demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, d'autre part, de prononcer une réduction des droits de taxe sur la valeur ajoutée dont elle s'est acquittée au titre de la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016, ainsi qu'au titre de la période allant du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018.

Par un jugement nos 1902278, 2000287, 2000873 du 22 juin 2021, le tribunal administratif de Rouen, après avoir joint les demandes de l'EURL Les Etangs Collevillais, les a rejetées.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 août 2021, l'EURL Les Etangs Collevillais, représentée par Me Cortyl, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, ainsi qu'une réduction des droits de taxe sur la valeur ajoutée acquittés par elle au titre de la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016, ainsi qu'au titre de la période allant du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif, qui a fondé à tort son raisonnement sur les dispositions de l'article 278 bis du code général des impôts, alors que sa demande n'en invoquait pas le bénéfice, et qui a omis de citer celles de l'article 278-0 bis de ce code, sur lesquelles elle fondait son argumentation, a entaché son jugement d'irrégularité ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, son activité consiste en la vente directe de truites aux consommateurs et c'est uniquement à la demande de ses clients qu'elle déverse dans un étang les poissons préalablement achetés, selon un prix fixé au poids, afin qu'ils puissent, selon leur choix, soit procéder à leur pêche, sans supplément de prix, soit emporter directement le poisson acheté ; le transfert de propriété, visé au II de l'article 256 du code général des impôts pour caractériser la livraison, intervient ainsi au moment de l'achat du poisson, la modalité choisie par le client pour son emport étant, dès lors, sans incidence sur le taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable ; en outre, le risque que les clients ayant choisi de faire déverser des poissons dans l'étang ne parviennent pas tous à pêcher les poissons qu'ils ont achetés, ce dont ils sont informés, ne constitue pas un critère d'appréciation pertinent ; le raisonnement de l'administration procède d'une confusion entre la vente de truites proprement dite, qui constitue l'opération économique taxable, effectuée à un prix unique, quelle que soit la modalité choisie pour l'emport du poisson acheté, et la mise à disposition gratuite d'un étang de pêche, qui n'est que l'une de ces modalités et qui constitue une prestation de service réalisée à titre gratuit ; ainsi, dès lors que son activité consiste à vendre à ses clients des produits de la pisciculture non transformés destinés à l'alimentation humaine, elle est éligible au taux dit " super réduit " de taxe sur la valeur ajoutée prévu au 1° du A de l'article 278-0 bis du code général des impôts ;

- le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée s'oppose à ce que des taux différents soient appliqués à des opérations économiques similaires et à ce que des opérateurs effectuant les mêmes opérations économiques soient soumis à des traitements différents du point de vue de la taxe sur la valeur ajoutée ;

- la mise à disposition, à titre gratuit, d'un étang de pêche à ceux de ses clients qui ont choisi cette modalité d'emport du poisson n'est qu'un accessoire de l'opération économique principale consistant en la vente de ce poisson ;

- la décision de rescrit (RES n° 2012/28 (TCA) du 17 avril 2012), opposable à l'administration sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, conforte sa position ; il en est de même de l'instruction publiée le 8 février 2012 sous la référence 3 C-1-12, en son paragraphe n°44 ;

- la position prise par l'administration la place dans une situation défavorable par rapport à des concurrents qui bénéficient du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée alors qu'ils exercent une activité similaire à la sienne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- en ce qu'elles concernent les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de l'EURL Les Etangs Collevillais au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, les conclusions de la requête doivent être limitées à un montant de 92 212 euros, en droits et pénalités, qui correspond aux seules conséquences de la remise en cause du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée, le chef de rectification, notifié par ailleurs, afférent à la remise en cause d'une déduction de taxe n'étant pas contesté ; pour le surplus du litige, seule une présentation détaillée de la taxe sur la valeur ajoutée dont l'EURL Les Etangs Collevillais s'estime mensuellement redevable au titre des périodes contestées permettrait de chiffrer le montant de la taxe qui lui serait restituable pour le cas où il serait fait droit à son argumentation ;

- contrairement à ce qu'elle soutient dans sa requête, l'EURL Les Etangs Collevillais s'était prévalue, devant le tribunal administratif, des dispositions de l'article 278 bis du code général des impôts, sans toutefois préciser expressément le taux réduit qu'elle entendait revendiquer en application de ces dispositions, qui prévoyaient un taux de 7,7 % jusqu'au 1er janvier 2014, puis de 10 % à compter de cette date, mais n'a pas invoqué, avant l'instance d'appel, le bénéfice du taux dit " super réduit ", de 5,5 %, prévu à l'article 278-0 bis de ce code, même si c'est ce dernier taux dont l'EURL Les Etangs Collevillais a fait application à l'occasion de la vente de ses cartes de pêche ;

- la présentation, à laquelle se livre l'EURL Les Etangs Collevillais, de ses conditions d'exploitation ne correspond pas aux constatations effectuées par la vérificatrice au cours du contrôle dont cette société a fait l'objet ; il est, en effet, apparu que cette société a, au cours de la période vérifiée, soumis à la taxe sur la valeur ajoutée, au taux " super réduit " de 5,5 %, non seulement les ventes de truites à emporter, mais aussi les ventes de cartes de pêche à la truite, enregistrées en tant que telles dans sa comptabilité ; si les prix de ces deux prestations ne sont pas rigoureusement identiques, il sont, il est vrai, comparables, la seule différence résidant dans la remise accordée pour l'achat de 4 kg de truites à pêcher, c'est-à-dire d'une carte de pêche à la journée ; cependant, le prix payé par le client dépend du tarif de la carte qu'il a achetée, lequel détermine le poids du poisson déversé dans l'étang, qui est imposé par la société, et ne dépend pas du poids du poisson effectivement pêché, en définitive, par ce client, d'ailleurs sujet à l'aléa inhérent à ce mode de capture ; en outre, le contrôle a permis d'établir que l'activité principale exercée par l'EURL Les Etangs Collevillais consiste en l'exploitation d'étangs de pêche, ses recettes étant principalement tirées de la vente de cartes de pêche à la demi-journée ou à la journée à des particuliers ou à des groupes, associations ou comités d'entreprise ; compte-tenu de ces conditions d'exploitation, telles que constatées sur place par le service, la vente de cartes de pêche, pratiquée par l'EURL Les Etangs Collevillais, au cours de la période vérifiée comme des périodes suivantes, ne peut être regardée, pour la détermination du taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable, comme une vente directe de produits de pisciculture non transformés ou de produits destinés à l'alimentation humaine, éligibles au taux réduit ou " super réduit ", mais doit s'analyser comme une prestation de service soumise au taux normal de taxe ;

- contrairement à ce que soutient l'EURL Les Etangs Collevillais, cette analyse ne méconnaît pas le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée, dès lors qu'elle ne conduit pas à donner, pour l'établissement de la taxe, un sort différent à deux activités similaires ;

- l'EURL Les Etangs Collevillais n'apporte, en tout état de cause, aucun élément au soutien de son allégation selon laquelle des concurrents se verraient appliquer le taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée à raison d'opérations comparables à celles qu'elle réalise et alors même qu'ils adopteraient des conditions d'exploitation identiques ;

- l'EURL Les Etangs Collevillais n'est pas fondée à invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la décision de rescrit (RES n° 2012/28 (TCA) du 17 avril 2012), dans les prévisions de laquelle elle n'entre pas pour exercer une activité différente de celle qui y est décrite.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Une note en délibéré, présentée pour l'EURL Les Etangs Collevillais, par Me Cortyl, a été enregistrée le 17 février 2023.

Considérant ce qui suit :

1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Les Etangs Collevillais exploite, à Colleville (Seine-Maritime), plusieurs étangs de pêche. Dans ce cadre, elle propose à sa clientèle, constituée de particuliers, se présentant individuellement ou en groupe, de comités d'entreprise ou d'associations, la vente de cartes de pêche à la truite à la journée ou à la demi-journée, de même que la mise à disposition de petits étangs dotés chacun d'un abri, de tables de pique-nique ou encore d'un barbecue. Elle propose, par ailleurs, à la vente, à une clientèle spécialisée de pêcheurs habituels, des cartes de pêche à la carpe, ainsi des appâts et autres articles de pêche. Enfin, elle offre à la vente des truites issues de sa pisciculture, propose une restauration, sur place ou à emporter, et exploite un débit de boissons, ainsi qu'un point de vente de tabac. L'EURL Les Etangs Collevillais a fait l'objet, à compter du mois d'octobre 2016, d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. A l'issue de ce contrôle, l'administration a, notamment, estimé qu'il y avait lieu de remettre en cause le taux dit " super réduit " de taxe sur la valeur ajoutée, que l'EURL Les Etangs Collevillais avait appliqué, au cours de la période vérifiée, aux ventes de cartes de pêche à la truite à la journée ou à la demi-journée, au motif que ces transactions consistaient en des ventes de prestations de service non éligibles à ce taux et non des ventes directes de produits destinés à l'alimentation humaine, en l'occurrence de poissons non transformés issus de la pisciculture, susceptibles de bénéficier de ce taux. Les rectifications correspondantes ont été portées à la connaissance de l'EURL Les Etangs Collevillais par deux propositions de rectification, datées du 12 décembre 2016 et du 29 mai 2017 et qui concernaient, respectivement, d'une part, la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013 et, d'autre part, la période allant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015. L'EURL Les Etangs Collevillais a présenté des observations, qui n'ont pas convaincu l'administration de revoir son appréciation et ses représentants ont été reçus, à leur demande, par le supérieur hiérarchique de la vérificatrice, puis par l'interlocuteur fiscal départemental, qui ont confirmé l'analyse du service s'agissant des rectifications afférentes à la remise en cause du taux " super réduit " de taxe sur la valeur ajoutée. La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, saisie à la demande de l'EURL Les Etangs Collevillais, a décliné sa compétence pour connaître de ce qu'elle a regardé comme une question de droit. Dans ces conditions, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de ces rectifications ont été mis en recouvrement le 30 avril 2019, pour un montant de 27 502 euros, en droits et pénalités, en ce qui concerne la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013, et pour un montant de 65 008 euros, en droits et pénalités, en ce qui concerne la période allant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015.

2. Sa réclamation ayant été rejetée, l'EURL Les Etangs Collevillais a porté le litige devant le tribunal administratif de Rouen, en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. L'EURL Les Etangs Collevillais a, par ailleurs, déposé, au titre du mois de novembre 2016, une déclaration de chiffre d'affaires rectificative dans laquelle elle substituait, à compter du 1er janvier 2016, le taux normal de taxe sur la valeur ajoutée au taux " super réduit " en ce qui concerne ses ventes de cartes de pêche à la truite. Elle a ensuite, pour les périodes suivantes, systématiquement fait mention, sur ses déclarations de chiffres d'affaires, d'une taxe sur la valeur ajoutée collectée au taux normal en ce qui concerne ces ventes. Cette régularisation et ce changement de pratique n'ont cependant pas été accompagnés d'un acquiescement à la position de l'administration en ce qui concerne l'applicabilité, à ces ventes, du taux " super réduit " de taxe sur la valeur ajoutée, puisque, par deux réclamations qu'elle a introduites les 28 décembre 2018 et 27 décembre 2019, l'EURL Les Etangs Collevillais a sollicité l'application de ce taux " super réduit " aux ventes de cette nature effectuées par elle titre de la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018. L'administration a rejeté ces deux réclamations par des décisions des 25 avril 2019 et 13 janvier 2020. L'EURL Les Etangs Collevillais a alors porté le litige correspondant devant le tribunal administratif de Rouen, en lui demandant de prononcer une réduction des droits de taxe sur la valeur ajoutée dont elle s'est acquitté au titre, d'une part, de la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016 et, d'une part, de la période allant du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018. L'EURL Les Etangs Collevillais relève appel du jugement du 22 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Rouen, après avoir joint ses demandes, les a rejetées.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En vertu de l'article L. 9 du code de justice administrative, les jugements des tribunaux administratifs sont motivés. En outre, en vertu de l'article R. 741-2 du même code, ces jugements contiennent l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont il est fait application.

4. L'EURL Les Etangs Collevillais fait grief aux premiers juges de n'avoir fait aucune mention, dans le jugement attaqué, des dispositions de l'article 278-0 bis du code général des impôts, qui concernent le taux dit " super réduit " de taxe sur la valeur ajoutée de 5,5 %, dont elle a fait application aux ventes ayant fait l'objet des rectifications contestées au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 et sur lesquelles elle fonde son argumentation en appel. Elle ajoute qu'en revanche, le tribunal administratif a cité à tort les dispositions de l'article 278 bis du même code, qui concerne le taux réduit de taxe, de 7 %, puis, à compter du 1er janvier 2014, de 10 %, alors que ces dispositions ne sont pas, selon elle, applicables à sa situation. Toutefois, il ressort des termes mêmes de la demande que l'EURL Les Etangs Collevillais a présentée devant le tribunal administratif de Rouen que cette société revendiquait exclusivement, dans cette demande, le bénéfice des dispositions de l'article 278 bis du code général des impôts et que ce document ne fait aucune mention de l'article 278-0 bis de ce code. Dans ces conditions et quand bien même c'est le taux " super réduit " prévu par ces dernières dispositions dont l'administration a remis en cause l'application par l'EURL Les Etangs Collevillais au titre de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, le tribunal administratif, qui était tenu de répondre aux moyens ainsi soulevés devant lui, n'a commis aucune irrégularité à ne pas citer les dispositions de l'article 278-0 bis du code général des impôts. Enfin, si l'EURL Les Etangs Collevillais soutient que le tribunal administratif s'est interrogé à tort sur le point de savoir si elle était en situation de se prévaloir des dispositions de l'article 278 bis du code général des impôts, qui, à ses yeux, ne sont pas applicables à sa situation, ce grief, qui procède d'une critique concernant le fond du litige, est, à le supposer fondé, sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

5. En vertu du I de l'article 256 du code général des impôts, les livraisons de biens et les prestations de services effectuées, à titre onéreux, par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. Le 1° du II. de cet article précise qu'est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire. En outre, en vertu de l'article 278 de ce code, dans sa rédaction applicable jusqu'au 1er janvier 2014, le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé à 19,60 %. Dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2014, ce même article fixe le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée à 20 %. Enfin, en vertu du 1° du A de l'article 278-0 bis du même code, la taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux, dit " super réduit ", de 5,5 % en ce qui concerne, notamment, les opérations d'achat, de vente ou de livraison portant sur les produits destinés à l'alimentation humaine.

6. Il résulte de l'instruction et, notamment, des éléments, issus de la vérification de comptabilité dont l'EURL Les Etangs Collevillais a fait l'objet, avancés par le ministre et non contredits, que cette société a, au cours de la période vérifiée, porté en comptabilité des recettes non seulement issues de ventes directes de truites provenant de sa pisciculture et non transformées, mais aussi des recettes tirées de la vente de cartes de pêche à la truite donnant à ses clients, se présentant individuellement ou en groupe, un droit d'accès à ses étangs pour une demi-journée ou une journée. Ces cartes, dont des spécimens ont été versés à l'instruction, autorisaient les clients qui les avaient acquises à pêcher, selon la durée choisie, une quantité de 2 kg ou 4 kg de poisson. Si les tarifs pratiqués, d'une part, pour la vente d'une carte de pêche autorisant le prélèvement de 2 kg de truites et, d'autre part, pour la vente directe d'une même quantité de poisson, étaient identiques, il n'en est pas de même en ce qui concerne les ventes portant sur une quantité de 4 kg de truites, pour lesquelles les acheteurs d'une carte de pêche bénéficiaient d'une réduction de l'ordre de 4 à 5 euros par rapport aux clients ayant acheté la même quantité de truites en vente directe. En outre, l'acheteur d'une carte de pêche ne pouvait, à la différence du client de la vente directe, choisir un poids de poisson autre que 2 kg ou 4 kg, ce poids, offert à la vente à la seule discrétion de l'EURL Les Etangs Collevillais, correspondant à la quantité maximale de poisson susceptible d'être pêchée par lui, elle-même fonction des quantités de truites déversées deux fois par jour dans les étangs, et non à la quantité de poisson effectivement emportée après la pêche par le client, en raison du caractère aléatoire de l'activité de pêche individuelle. Enfin, la vente de cartes de pêche, qui, au cours de la période vérifiée, a représenté la majeure partie des recettes de l'entreprise, ne peut, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme une activité accessoire à celle consistant en la vente directe de poissons non transformés issus de la pisciculture. Dans ces conditions, eu égard aux conditions dans lesquelles l'EURL Les Etangs Collevillais a exercé ses activités durant la période vérifiée et, en l'absence d'élément contraire, a continué de les exercer au cours des autres périodes en litige, la vente de telles cartes, qui ne saurait s'analyser comme une vente directe de produits de la pisciculture n'ayant pas subi de transformation, ni, plus généralement, comme une vente portant sur des produits destinés à l'alimentation humaine, au sens des dispositions, rappelées au point précédent, du 1° du A de l'article 278-0 bis du code général des impôts, qui font bénéficier de telles ventes du taux de taxe sur la valeur ajoutée dit " super réduit ", doit s'analyser, quand bien même le prix fixé pour la vente, par l'EURL Les Etangs Collevillais, de ses cartes de pêche tient compte de la quantité de poisson concernée, comme une vente de prestation de service soumise au taux normal de taxe sur la valeur ajoutée, en application des dispositions combinées des articles 256 et 278 de ce code. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause le taux dit " super réduit ", dont l'EURL Les Etangs Collevillais avait fait application en ce qui concerne les ventes de ses cartes de pêche au cours de la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, et qu'elle n'a pas fait droit à ses réclamations tendant au bénéfice de ce taux pour ces mêmes ventes en ce qui concerne les périodes allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016 et du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018.

7. Pour les raisons exposées au point précédent, les activités consistant, d'une part, en la vente directe de truites issue de la pisciculture de l'EURL Les Etangs Collevillais et, d'autre part, en la vente de cartes autorisant la pêche, dans un étang, d'une quantité de truites fixée par cette entreprise, alors même que les truites seraient issues de la même pisciculture, ne peuvent être regardées comme similaires. Par suite, le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée, tel que reconnu tant par le droit interne que par le droit de l'Union européenne, ne fait pas obstacle à ce que l'une et l'autre de ces activités fassent l'objet d'un traitement différent au regard des règles afférentes à la détermination du taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable. Il suit de là que ce moyen doit, en tout état de cause, être écarté.

8. Enfin, si l'EURL Les Etangs Collevillais soutient que la position prise par l'administration la place dans une situation défavorable par rapport à des concurrents qui bénéficient du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée alors qu'ils exercent des activités similaires aux siennes, elle n'apporte, en tout état de cause, aucune précision, ni aucun élément probant au soutien de ce moyen.

En ce qui concerne l'invocation de l'interprétation administrative de la loi fiscale :

9. En vertu du dernier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente.

10. L'EURL Les Etangs Collevillais invoque, sur le fondement des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la décision de rescrit (RES n° 2012/28 (TCA)) du 17 avril 2012, ainsi que les énonciations du paragraphe n°44 de l'instruction publiée le 8 février 2012 sous la référence 3 C-1-12. Toutefois, dès lors que ces énonciations rappellent que la vente directe de produits de la pisciculture n'ayant subi aucune transformation peuvent bénéficier du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée et que, pour les motifs exposés au point 6, la commercialisation de cartes de pêche, telle qu'elle est réalisée par l'EURL Les Etangs Collevillais, n'est pas assimilable à de telles ventes directes, ni même à la vente de produits de la pêche, également envisagée par la décision de rescrit, l'EURL Les Etangs Collevillais n'est, en tout état de cause, pas fondée à se prévaloir de ces prévisions, dans le champ desquelles elle n'entre pas.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Les Etangs Collevillais n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, les conclusions qu'elle présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'EURL Les Etangs Collevillais est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Les Etangs Collevillais et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 9 février 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Heu, président de chambre,

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2023.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,

Signé : C. HeuLa greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Nathalie Roméro

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N°21DA01877

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01877
Date de la décision : 02/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CABINET LABORDE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-03-02;21da01877 ?
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