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02/03/2023 | FRANCE | N°21DA01357

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 02 mars 2023, 21DA01357


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) SCGP Conseil et Gestion a demandé au tribunal administratif de Lille, qui a transmis sa demande au tribunal administratif d'Amiens, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015.

Par un jugement n° 1803383 du 29 avril 2021, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cou

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Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 juin 2021 et le 10 février 2022, la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) SCGP Conseil et Gestion a demandé au tribunal administratif de Lille, qui a transmis sa demande au tribunal administratif d'Amiens, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015.

Par un jugement n° 1803383 du 29 avril 2021, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 juin 2021 et le 10 février 2022, la SAS SCGP Conseil et Gestion, représentée par Me Blanquart, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, les justificatifs de la dette regardée par l'administration comme injustifiée, inscrite au bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, ont été détruits lors d'un incendie criminel dont la réalité ne peut être contestée eu égard au jugement rendu le 1er avril 2014 par le tribunal correctionnel de Saint-Quentin ;

- elle a fourni à l'administration un relevé mensuel détaillé des indemnités de déplacement versées à son ancien dirigeant au titre de l'année 2013, ce document précisant les dates et lieux des déplacements correspondants, ainsi que la liste de ses clients ; en outre, le bénéficiaire de ces remboursements a calculé le montant de ces indemnités en appliquant le barème forfaitaire publié par l'administration fiscale au titre de l'année 2013 ; en conséquence, c'est à tort que l'administration a remis en cause le caractère de charge déductible de ces indemnités ; en outre, le relevé d'activités du bénéficiaire de ces versements au titre des exercices 2008 à 2014 permet d'établir la réalité des missions réalisées par celui-ci dans l'intérêt exclusif de l'entreprise ; le paragraphe n°50 de la doctrine administrative publiée sous la référence BOI-BIC-CHG-10-20-20 conforte sa position sur ce point ;

- à titre subsidiaire, dès lors que la dette injustifiée figurant au bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit y a été inscrite, à la suite d'une erreur commise de bonne foi et non récurrente, plus de sept ans avant le début de cet exercice, elle peut se prévaloir du droit à l'oubli prévu au 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, qui lui permet de corriger cette erreur ; en outre, dès lors que l'inscription de cette dette a été initialement effectuée au bilan d'un exercice prescrit, l'administration n'était pas légalement fondée à la remettre en cause sauf à méconnaître l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ;

- en toute hypothèse, la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par le a. de l'article 1729 du code général des impôts, dont ont été assortis les droits en litige, n'est pas fondée, dès lors que l'administration n'a pas apporté la preuve, qui lui incombe, de l'intention délibérée, qu'elle lui prête, d'éluder l'impôt ; la prise en compte de la profession qu'elle exerce ne saurait suffire à cet égard ; en outre, la rectification relative au passif non justifié inscrit au bilan du premier exercice non prescrit procède de l'application d'une règle complexe et technique, même aux yeux d'un professionnel, à savoir celle de la correction symétrique des bilans et de l'intangibilité du bilan d'ouverture, et ne résulte pas d'un manquement délibéré ; elle devrait se voir reconnaître le droit à l'erreur désormais inscrit dans la loi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 décembre 2021, et par un mémoire, enregistré le 3 février 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- si la SAS SCGP Conseil et Gestion a soutenu, au cours du contrôle dont elle a fait l'objet, que la dette figurant au passif du bilan du premier exercice non prescrit correspond à des remboursements de frais de déplacement et de repas dus à son ancien dirigeant, elle n'a cependant produit aucune justification de la réalité de ces frais, ni de leur caractère professionnel, alors que cet ancien dirigeant a démissionné de ses fonctions le 30 juin 2006 ; à cet égard, si la SAS SCGP Conseil et Gestion soutient que les justificatifs correspondants ont été détruits lors de l'incendie criminel d'un hangar appartenant à son ancien dirigeant, elle n'apporte aucun élément de nature à permettre d'établir que ces justificatifs y étaient stockés ; par ailleurs, dès lors qu'il ressort des écritures successivement portées dans le compte 467101, ouvert au nom de cet ancien dirigeant, dans lequel figure cette dette, que ce compte a été ouvert et crédité le 31 décembre 2008 d'un montant de 24 123,12 euros et que diverses sommes ont ensuite été portées au crédit de ce compte entre cette date et le 31 décembre 2014, sans d'ailleurs que la cause et l'objet de ces écritures aient été justifiées, la SAS SCGP Conseil et Gestion ne peut soutenir que le solde créditeur que présentait ce compte au 1er janvier 2013, c'est-à-dire à l'ouverture du premier exercice non prescrit, trouverait son origine dans des opérations comptabilisées plus de sept ans avant cette ouverture, ni, dans ces conditions, invoquer le bénéfice des dispositions du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, qui ne trouvent pas à s'appliquer à sa situation ; au surplus, ces écritures ne peuvent être regardées comme procédant d'une erreur commise de bonne foi, mais procèdent de manquements délibérés ;

- les relevés mensuels manuscrits, comportant la mention de lieux et de dates, sans autre précision, produits par la SAS SCGP Conseil et Gestion au cours de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, ne peuvent lui suffire à justifier de ce que les dépenses que les indemnités qu'elle a versées à son ancien dirigeant auraient pour objet de couvrir ont été exposées dans l'intérêt de son exploitation ; au surplus, la SAS SCGP Conseil et Gestion n'a pas justifié de la nature ni de la réalité des missions confiées au bénéficiaire de ces indemnités, alors que celui-ci n'était pas lié à elle, au cours des années vérifiées, par un contrat de travail ou de prestation ; c'est donc à bon droit que l'administration a remis en cause la déductibilité, en tant que charges, de ces indemnités ; la SAS SCGP Conseil et Gestion n'est pas fondée à invoquer, à cet égard, les prévisions du paragraphe n°50 de la doctrine administrative publiée sous la référence BOI-BIC-CHG-10-20-20, qui concernent la déduction des frais engagés par des chefs d'entreprise et dont le caractère professionnel a été dûment justifié, dans lesquelles elle n'entre pas, dès lors que le bénéficiaire des indemnités en cause n'était plus son dirigeant depuis l'année 2006 et que le caractère professionnel de ces frais n'est pas établi ;

- la SAS SCGP Conseil et Gestion ne pouvait raisonnablement ignorer, qui plus est compte-tenu de son activité d'expertise comptable, qu'elle n'était pas autorisée à déduire de ses résultats imposables, en tant que charges, des indemnités, qui n'étaient appuyées par aucun justificatif probant, versées à un tiers avec lequel elle n'était plus juridiquement liée et qui étaient d'un montant manifestement excessif par rapport au montant des remboursement de frais professionnels portés par elle en comptabilité en ce qui concerne les membres de son personnel, y compris ses dirigeants ; la SAS SCGP Conseil et Gestion ne pouvait davantage ignorer, dans ces conditions, qu'une créance ne peut être regardée comme irrécouvrable à la clôture d'un exercice comptable au seul motif qu'elle est détenue sur une entreprise faisant l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, alors que la clôture de cette procédure pour insuffisance d'actif n'a pas été prononcée ; enfin, les règles afférentes à l'application du taux réduit d'imposition, qui entrent, de même d'ailleurs que celles qu'il lui est reproché d'avoir méconnu en ce qui concerne les autres chefs de rectification, dans le champ des contrôles élémentaires qu'elle est amenée à effectuer auprès de ses clients, ne peuvent être considérées comme lui étant étrangères ; ainsi, ces éléments établissent l'intention délibérée qui a animé la SAS SCGP Conseil et Gestion, au cours des exercices vérifiés, d'éluder l'impôt et sont de nature à justifier l'application, aux droits en litige, de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par le a. de l'article 1729 du code général des impôts.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me Rousseau, substituant Me Blanquart, représentant la SAS SCGP Conseil et Gestion.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Société de Contrôle et de Gestion Picarde (SCGP), aujourd'hui dénommée SCGP Conseil et Gestion, dont le siège est situé à Saint-Quentin (Aisne), exerce l'activité d'expertise comptable. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, portant sur la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015. Au cours de ce contrôle, la vérificatrice a constaté l'existence, dans la comptabilité de la SAS SCGP Conseil et Gestion, d'un compte de tiers présentant, au 1er janvier 2013, c'est-à-dire au bilan d'ouverture du premier exercice vérifié, un solde créditeur non justifié, d'un montant de 140 760 euros. Elle a estimé que cette somme ne pouvait être admise en déduction en tant qu'élément du passif du premier exercice non prescrit et qu'il y avait lieu de la réintégrer au bénéfice imposable de ce même exercice, clos le 31 décembre 2013, comme correspondant à une augmentation de l'actif net. Le même contrôle a mis en évidence la comptabilisation, par la SAS SCGP Conseil et Gestion, à titre de charges de l'exercice clos en 2013, d'une somme de 30 324 euros sous un libellé correspondant à des indemnités de voyages et de déplacements. Les justifications apportées par la société en ce qui concerne la réalité des dépenses que ces indemnités avaient pour objet de couvrir n'ayant pas été regardées par elle comme convaincantes, la vérificatrice a estimé que la déduction, en tant que charge, de cette somme devait être remise en cause. Par ailleurs, à l'occasion du même contrôle, la vérificatrice a estimé que la comptabilisation par la SAS SCGP Conseil et Gestion, en tant que charge de l'exercice clos en 2014, d'une somme de 15 396 euros correspondant à une perte sur créance irrécouvrable n'étant pas suffisamment justifiée dans son principe, il y avait lieu de la remettre en cause. Enfin, la vérificatrice a estimé que la SAS SCGP Conseil et Gestion avait bénéficié à tort du taux réduit d'impôt sur les sociétés en ce qui concerne une partie de ses bénéfices imposables des exercices clos en 2014 et en 2015. L'administration a fait connaître à la SAS SCGP Conseil et Gestion sa position sur ces différents points, par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 18 juillet 2016 et qui l'informait que les droits résultant des rectifications notifiées seraient assortis de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par le a. de l'article 1729 du code général des impôts.

2. La SAS SCGP Conseil et Gestion a présenté des observations qui n'ont pas amené l'administration à revoir son appréciation. En outre, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, en sa séance du 6 juin 2017, a émis un avis favorable au maintien des rectifications relatives au solde créditeur de compte de tiers non justifié et à la réintégration des dépenses comptabilisées en charges au titre de l'exercice clos en 2013. Dans ces conditions, les suppléments d'impôt sur les sociétés résultant des rectifications notifiées ont été mis en recouvrement les 16 décembre 2016 et 15 septembre 2017, à hauteur d'un montant total, en droits, intérêts de retard et majorations, de 112 270 euros. Sa réclamation ayant été rejetée, la SAS SCGP Conseil et Gestion a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille, qui a transmis sa demande au tribunal administratif d'Amiens, en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015. La SAS SCGP Conseil et Gestion relève appel du jugement du 29 avril 2021 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

En ce qui concerne le passif figurant au bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit :

3. Au cours de la vérification de comptabilité dont la SAS SCGP Conseil et Gestion a fait l'objet, la vérificatrice a constaté que le compte de passif 467101 " Créditeurs et débiteurs divers " ouvert dans la comptabilité de cette société au nom d'un ancien dirigeant de la société, présentait, au bilan d'ouverture, établi le 1er janvier 2013, de l'exercice clos en 2013, premier exercice vérifié et premier exercice non prescrit, un solde créditeur d'un montant de 140 760 euros. Pour justifier du maintien de cette dette au passif de ce bilan, la SAS SCGP Conseil et Gestion a indiqué à la vérificatrice que celle-ci correspondait à des remboursements de frais de déplacement et de repas qui restaient dus à son ancien dirigeant. Elle n'a cependant fourni, à l'appui de ses dires, aucune justification de la réalité des frais que la somme de 140 760 euros aurait eu pour objet de rembourser, ni du caractère professionnel de tels frais, et ne s'est prévalue d'aucun contrat, de travail ou de prestations, qui l'aurait liée au créancier désigné par le libellé du compte en cause depuis le 30 juin 2006, date à laquelle l'intéressé a mis fin à ses fonctions de dirigeant au sein de la SAS SCGP Conseil et Gestion. L'administration, estimant que la dette ainsi maintenue au bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit était injustifiée, a remis en cause sa déductibilité en tant que passif de cet exercice et a réintégré la somme correspondante au bénéfice imposable du même exercice, comme correspondant à une augmentation de l'actif net.

S'agissant de la contestation présentée à titre principal :

4. A supposer même que, comme le soutient la SAS SCGP Conseil et Gestion, les pièces susceptibles de justifier du bien-fondé de la dette ainsi remise en cause par l'administration ne sont pas restées en sa possession, mais ont été conservées par son ancien gérant, puis ont été détruites lors de l'incendie d'un hangar appartenant à ce dernier, cette double circonstance demeure sans incidence sur le bien-fondé de la rectification contestée. Par ailleurs, la SAS SCGP Conseil et Gestion produit, pour la première fois devant la cour, un document intitulé " Journal d'activité assistant ", comportant le nom de son ancien dirigeant et qui présente, sous la forme d'un tableau, une liste de dates concernant les années 2008 à 2013 incluse avec, en regard de chacune d'elles, plusieurs numéros de code et cigle, la dénomination d'une personne ou d'une entreprise, l'intitulé " Mission honoraires ", un libellé se rapportant à un travail comptable, un nombre d'heures et un montant. Toutefois, ce document, qui comporte une mention selon laquelle il a été établi le 13 décembre 2021 et qui n'est appuyé par aucun justificatif, ni par aucune explication du cadre juridique dans lequel l'intéressé, qui a cessé ses activités de dirigeant le 30 juin 2006, aurait été amené à effectuer des missions pour le compte de la SAS SCGP Conseil et Gestion, ne peut être regardé comme étant de nature à justifier de la réalité, ni du caractère professionnel, des dépenses de déplacement et de repas dont la société serait restée redevable envers l'intéressé au 1er janvier 2013, ni à établir, en conséquence, la cause et l'objet de la dette correspondante, maintenue au passif du bilan d'ouverture de l'exercice clos en 2013.

S'agissant de la contestation présentée à titre subsidiaire :

5. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises (...). / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. / (...) / 4 bis. Pour l'application des dispositions du 2, pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit déterminé, sauf dispositions particulières, conformément aux premier, deuxième et troisième alinéas de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous-estimation ou surestimation de celui-ci. / Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas lorsque l'entreprise apporte la preuve que ces omissions ou erreurs sont intervenues plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit. / (...) ".

6. Il résulte de ces dispositions que le législateur a rétabli, au premier alinéa du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, le principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit pour la détermination du bénéfice imposable et a assorti ce principe de deux séries d'exceptions prévues aux deuxième et troisième alinéas de cet article. En vertu du deuxième alinéa précité, une erreur ou omission affectant l'évaluation d'un élément quelconque du bilan d'un des exercices non prescrits peut, si elle a été commise au cours d'un exercice clos plus de sept ans avant l'ouverture du premier des exercices non prescrits, être corrigée de manière symétrique dans les bilans de clôture et d'ouverture des exercices non prescrits, y compris dans le bilan d'ouverture du premier d'entre eux. Le bénéfice de cette correction symétrique est toutefois limité, ainsi qu'il résulte des travaux parlementaires préalables à l'adoption de l'article 43 de la loi du 30 décembre 2004, dont ces dispositions sont issues, aux erreurs ou omissions qui ne présentent pas le caractère d'une erreur comptable délibérée.

7. La SAS SCGP Conseil et Gestion invoque le bénéfice de cette exception au principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, prévue au deuxième alinéa du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, en soutenant que la dette injustifiée figurant à ce bilan y a été inscrite, à la suite d'une erreur commise de bonne foi et non récurrente, plus de sept ans avant le début de cet exercice. Toutefois, comme le fait valoir le ministre, sans être contredit, la vérification de comptabilité dont a fait l'objet la SAS SCGP Conseil et Gestion a révélé que le compte 467101 en cause a été ouvert et crédité pour la première fois le 31 décembre 2008, pour un montant de 24 123,12 euros, puis que diverses sommes ont ensuite été portées au crédit de ce compte entre cette date et le 31 décembre 2014, sans d'ailleurs que la cause et l'objet de ces écritures aient été justifiées. Or, la SAS SCGP Conseil et Gestion n'est pas fondée à se prévaloir de l'exception au principe d'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, prévue par les dispositions précitées du deuxième alinéa du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, dès lors que le solde créditeur présenté par ce compte au bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit ne peut, dans ces conditions et en tout état de cause, être regardé comme trouvant son origine dans une écriture portée en comptabilité au cours d'un exercice clos plus de sept ans avant l'ouverture de ce premier exercice non prescrit. Il suit de là que c'est sans méconnaître les dispositions du deuxième alinéa du 4 bis de l'article 38 du code général des impôts, ni les règles de prescription énoncées à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, que l'administration a remis en cause cette écriture de passif et qu'elle a réintégré la somme correspondante au résultat imposable du premier exercice non prescrit, clos en 2013, sans autoriser la SAS SCGP Conseil et Gestion à corriger cette écriture.

En ce qui concerne la remise en cause d'écritures de charges :

8. En vertu du 1. de l'article 39 du code général des impôts, dont les dispositions sont applicables en matière d'impôt sur les sociétés, le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment les frais généraux de toute nature. Il appartient au contribuable, pour l'application des dispositions du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 de ce code que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée.

9. Au cours de la vérification de comptabilité dont la SAS SCGP Conseil et Gestion a fait l'objet, la vérificatrice a constaté que cette société avait, au titre de l'exercice clos en 2013, porté en comptabilité, au débit d'un compte 625100 " Voyages et déplacements ", une somme totale de 30 324 euros. La SAS SCGP Conseil et Gestion a alors précisé que cette somme correspondait à des indemnités de déplacement versées à son ancien dirigeant et a fourni à la vérificatrice, pour en justifier, des relevés mensuels manuscrits, ne précisant pas le nom de ce bénéficiaire, mais comportant la mention de lieux et de dates, sans autre précision. Toutefois, ces relevés, que la SAS SCGP Conseil et Gestion verse à l'instruction, qui ne sont appuyés par aucune pièce justificative de la réalité des frais que les indemnités versées auraient eu pour objet de couvrir, ni, en tout état de cause, de l'engagement de ceux-ci dans l'intérêt de son exploitation ne peuvent, même complétés par les éléments, se rapportant à l'exercice clos en 2013, du tableau mentionné au point 4, suffire à justifier le bien-fondé de l'écriture de charge que l'administration a remise en cause, quand bien même les sommes en cause auraient été liquidées sur la base du barème kilométrique publié par l'administration. A supposer même que ces indemnités aient effectivement été servies à l'ancien dirigeant de la SAS SCGP Conseil et Gestion, celle-ci n'a produit aucun contrat ni aucune autre pièce de nature à justifier du lien juridique qu'elle aurait continué à entretenir avec l'intéressé, ni de l'objet des missions que ce dernier aurait effectuées, en son nom et pour son compte, au cours de l'année 2013 en cause, c'est-à-dire à des dates auxquelles celui-ci n'exerçait plus de responsabilités au sein de cette société, pour avoir cessé d'exercer ses fonctions de dirigeant le 30 juin 2006. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause la déductibilité, du résultat imposable de l'exercice clos en 2013, de la somme de 30 324 euros portée au débit du compte 625100, au motif qu'il n'était pas établi que cette dépense aurait eu le caractère d'une charge déductible de cet exercice. La SAS SCGP Conseil et Gestion n'est pas fondée à invoquer à cet égard, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les énonciations du paragraphe n°50 de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-BIC-CHG-10-20-20, dans le champ desquelles elle n'entre pas puisque, de leur lettre même, ces énonciations concernent la déduction de frais de voyage, de réception et de représentation exposés par des chefs d'entreprise ou par des exploitants individuels, dont le caractère professionnel est établi mais dont seul le montant n'est pas justifié par des documents formant preuve certaine.

Sur la majoration pour manquement délibéré :

10. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".

11. Pour justifier du bien-fondé de l'application aux droits en litige de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par le a. de l'article 1729 du code général des impôts, le ministre fait valoir, en se référant aux termes de la proposition de rectification adressée à cette société le 18 juillet 2016, que la SAS SCGP Conseil et Gestion, eu égard à la nature de son activité, consistant en l'exercice de la profession d'expert-comptable, ne pouvait ignorer que la déduction, en tant que charges, d'indemnités versées à son ancien dirigeant de même que le maintien d'une dette envers la même personne au passif de son bilan devaient être appuyés de justifications tant de la réalité que du caractère inhérent aux besoins de son exploitation des dépenses en cause, dont le niveau apparaissait, au demeurant, anormalement élevé par rapport aux remboursements de frais de déplacement comptabilisés par la société pour l'ensemble de son personnel, y compris ses dirigeants actuels. Le ministre ajoute que la SAS SCGP Conseil et Gestion ne pouvait davantage ignorer que le placement d'une société débitrice en procédure de liquidation judiciaire, s'il pouvait justifier la constitution d'une provision sur créance douteuse, ne pouvait, par lui-même, induire, sans justification de démarches en vue d'obtenir le paiement de la créance détenue sur cette société et tant que la procédure de liquidation n'avait pas été clôturée, la constatation comptable d'une perte sur créance irrécouvrable. Enfin, le ministre fait valoir que la SAS SCGP Conseil et Gestion ne pouvait davantage ignorer les conditions subordonnant le bénéfice du taux réduit d'imposition, ni qu'elle avait bénéficié indûment de ce taux pour une partie de ses résultats imposables. Si la SAS SCGP Conseil et Gestion soutient que le mécanisme de correction symétrique des bilans est difficile à appréhender, même pour un professionnel, l'administration ne lui reproche pas de s'être méprise dans sa mise en œuvre, mais seulement de n'avoir pu justifier du maintien, au passif du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, d'une dette non justifiée, indépendamment du point de savoir si elle était, ou non, autorisée à corriger cette écriture en dérogeant à la règle d'intangibilité de ce bilan d'ouverture. Dans ces conditions, par les éléments qu'il fait valoir, le ministre doit être regardé comme apportant la preuve, qui lui incombe, de l'intention délibérée d'éluder l'impôt qui a animé la SAS SCGP Conseil et Gestion et comme justifiant, par suite, du bien-fondé d'application aux droits en litige de la majoration de 40 % prévue, en cas de manquement délibéré, par les dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts.

12. En invoquant le bénéfice du droit à l'erreur désormais reconnu par la loi, la SAS SCGP Conseil et Gestion doit être regardée comme réclamant, dans le cadre de l'invocation du principe de l'application immédiate de la loi répressive plus douce, le bénéfice rétroactif des dispositions de l'article L. 123-1 du code des relations entre le public et l'administration, issu de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, aux termes duquel : " Une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l'objet, de la part de l'administration, d'une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d'une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l'administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué. / La sanction peut toutefois être prononcée, sans que la personne en cause ne soit invitée à régulariser sa situation, en cas de mauvaise foi ou de fraude. / (...) ". Aux termes de l'article L. 123-2 du même code : " Est de mauvaise foi, au sens du présent titre, toute personne ayant délibérément méconnu une règle applicable à sa situation. / (...) ". Toutefois, la SAS SCGP Conseil et Gestion, qui n'établit pas avoir régularisé sa situation, tandis que l'administration n'était pas tenue, au cas d'espèce, de l'inviter à le faire, n'est, en tout état de cause, pas fondée, compte tenu, en outre, du caractère délibéré de ses manquements, à invoquer le droit à l'erreur reconnu par ces dispositions.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS SCGP Conseil et Gestion n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions qu'elle présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SAS SCGP Conseil et Gestion est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS SCGP Conseil et Gestion et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience publique du 9 février 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Heu, président de chambre,

- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2023.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,

Signé : C. Heu

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Nathalie Roméro

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N°21DA01357

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01357
Date de la décision : 02/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS HEPTA

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-03-02;21da01357 ?
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