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16/02/2023 | FRANCE | N°21DA01550

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 16 février 2023, 21DA01550


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 juillet 2021 et un mémoire enregistré le 11 avril 2022, la société Gamajo, représentée par Mes Emmanuel Guillini et Jean-André Fresneau, demande à la cour :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 avril 2021 par lequel le maire de Gravelines a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la construction d'un ensemble commercial au lieu-dit Le pont-de-pierre ;

2°) d'enjoindre à la Commission nat

ionale d'aménagement commercial de procéder à un nouvel examen du projet ;

3°) de mettre à...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 juillet 2021 et un mémoire enregistré le 11 avril 2022, la société Gamajo, représentée par Mes Emmanuel Guillini et Jean-André Fresneau, demande à la cour :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 avril 2021 par lequel le maire de Gravelines a refusé de lui délivrer un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la construction d'un ensemble commercial au lieu-dit Le pont-de-pierre ;

2°) d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial de procéder à un nouvel examen du projet ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les avis des ministres chargés du commerce et de l'urbanisme ne lui ont pas été communiqués préalablement à son audition par la Commission nationale d'aménagement commercial ;

- la Commission nationale n'avait pas à solliciter un nouvel avis de la direction départementale des territoires du Nord ;

- le projet n'était pas incompatible avec le schéma de cohérence territoriale ;

- les informations données sur les trois moyennes surfaces comprises dans le projet permettaient à la Commission nationale d'apprécier les effets du projet sur le centre-ville ;

- la Commission nationale ne pouvait pas prendre en compte l'ajout de surface de vente par la réutilisation des anciens locaux ;

- sa contribution au financement des travaux de réaménagement du rond-point n'apparaît pas insuffisante ;

- le site est desservi par les transports en commun et ce critère ne suffit pas à lui seul à fonder un refuser d'autorisation ;

- l'insertion paysagère de son projet est satisfaisante et ne méconnaît pas l'objectif de développement durable fixé par les dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce.

Par un mémoire, enregistré le 1er décembre 2021, la commune de Gravelines, s'en remet à la sagesse de la juridiction.

Par un mémoire, enregistré le 19 mai 2022, la Commission nationale d'aménagement commercial conclut au rejet de la requête ;

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire, enregistré le 24 mai 2022, la société Auchan Hypermarché, représentée par Me Stéphanie Encinas, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Gamajo d'une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 12 juillet 2022 et un mémoire enregistré le 9 janvier 2023 qui n'a pas été communiqué, les sociétés Bricomat gravelinois, Distrifolq et Kymadis, représentées par Me Rémy Demaret, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Gamajo d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés et que l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial était légal.

Par un mémoire enregistré le 19 décembre 2022, la société Dundis, représentée par Me Jean Courrech, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Gamajo d'une somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 20 décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée la dernière fois au 9 janvier 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Stéphanie Encinas, représentant la société Auchan Hypermarché, de Me Bertrand Courrech, représentant la société Dundis, et de Me Vincent Bordet, représentant les sociétés Bricomat gravelinois, Distrifolq et Kymadis.

Deux notes en délibéré présentées par la société Gamajo ont été enregistrées le 23 janvier 2023.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Le 16 septembre 2020, la société Gamajo a déposé une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale dans le but de créer un ensemble commercial d'une surface de vente totale de 6 773 m² sur un terrain situé au lieu-dit Le Pont-de-Pierre à Gravelines. Le 15 décembre 2020, la commission départementale d'aménagement commercial du Nord a émis un avis favorable au projet. Saisie par des concurrents, la Commission nationale d'aménagement commercial a rendu un avis défavorable le 1er avril 2021. Le maire de Gravelines a en conséquence refusé le permis de construire par un arrêté du 30 avril 2021 dont la société Gamajo demande l'annulation en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. La société Gamajo invoque l'illégalité de l'avis défavorable émis par la Commission nationale d'aménagement commercial le 1er avril 2021 sur le fondement duquel le maire de Gravelines a refusé le permis de construire le 30 avril 2021.

En ce qui concerne la légalité externe :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 114-7 du code des relations entre le public et l'administration : " Ainsi qu'il est dit à l'article L. 311-2 et dans les conditions posées à cet article, les avis au vu desquels est prise, sur demande, une décision individuelle créatrice de droits sont communicables à l'auteur de la demande dès leur envoi à l'administration compétente. ".

4. Aux termes de l'article R. 752-36 du code de commerce : " (...) La commission nationale entend toute personne qui en fait la demande écrite au secrétariat, en justifiant les motifs de son audition, au moins cinq jours avant la réunion. / Sont dispensés de justifier les motifs de leur audition : l'auteur du recours devant la commission nationale, le demandeur, le membre de la commission départementale d'aménagement commercial mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 752-19, le maire de la commune d'implantation, le président de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont est membre la commune d'implantation et le président de l'établissement public compétent en matière de schéma de cohérence territoriale dont est membre la commune d'implantation. / (...) / Le secrétariat de la commission nationale instruit et rapporte les dossiers. Le commissaire du Gouvernement présente et communique à la commission nationale les avis des ministres chargés de l'urbanisme et du commerce. Après audition des parties, il donne son avis sur les demandes ".

5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les avis des ministres chargés de l'urbanisme et du commerce ne sont pas communiqués aux membres de la commission préalablement à la séance. Par suite, la société requérante ne peut soutenir utilement que ces avis auraient dû lui être adressés avant la séance de la Commission nationale. Par ailleurs, la société pétitionnaire a pu faire valoir ses observations avant que la Commission ne se prononce et n'a donc pas été privée d'une garantie. Par suite, le moyen tiré de l'absence de communication des avis des ministres chargés de l'urbanisme et du commerce ne peut qu'être écarté.

6. En deuxième lieu, si la société requérante soutient que la Commission nationale d'aménagement commercial n'avait pas à solliciter un nouvel avis de la direction départementale des territoires et de la mer du Nord, il ne résulte d'aucune pièce du dossier que ce service ait rendu un nouvel avis. En particulier, le rapport d'instruction devant la Commission nationale s'est borné à rendre compte de l'avis de ce service en date du 27 novembre 2020 et le tableau de synthèse de la direction départementale repris à la fin du rapport d'instruction devant la Commission nationale n'est que la reprise de celui se trouvant dans le seul avis émis par cette direction. Par suite, le moyen ainsi invoqué doit être écarté comme manquant en fait.

7. En troisième lieu, si la société requérante critique l'avis de la direction départementale des territoires et de la mer du Nord, le rapport du secrétariat de la Commission nationale ainsi que les avis des ministres chargés de l'urbanisme et du commerce, le bien-fondé de ces avis est sans incidence sur l'avis de la Commission nationale, dès lors que ce dernier avis n'a pas repris des éléments erronés de ces documents préparatoires.

En ce qui concerne la légalité interne :

8. Aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable à la date de l'avis de la Commission nationale : " I. L'autorisation d'exploitation commerciale mentionnée à l'article L. 752-1 est compatible avec le document d'orientation et d'objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d'aménagement et de programmation des plans locaux d'urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 151-6 du code de l'urbanisme. / La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d'aménagement du territoire : a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; / b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; / c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; / d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre ; f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d'infrastructures et de transports ; / 2° En matière de développement durable : / a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; / b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; / c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. / Les a et b du présent 2° s'appliquent également aux bâtiments existants s'agissant des projets mentionnés au 2° de l'article L. 752-1 ; / 3° En matière de protection des consommateurs : / a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; / b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; / c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; / d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs. / II. A titre accessoire, la commission peut prendre en considération la contribution du projet en matière sociale. / III. La commission se prononce au vu d'une analyse d'impact du projet, produite par le demandeur à l'appui de sa demande d'autorisation. Réalisée par un organisme indépendant habilité par le représentant de l'Etat dans le département, cette analyse évalue les effets du projet sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune d'implantation, des communes limitrophes et de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d'implantation est membre, ainsi que sur l'emploi, en s'appuyant notamment sur l'évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l'offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires. (...) ".

9. Aux termes de l'article R. 756-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable à la date de l'avis de la Commission nationale : " I. La demande est accompagnée d'un dossier comportant les éléments mentionnés ci-après ainsi que, en annexe, l'analyse d'impact définie au III de l'article L. 752-6. / 1° Informations relatives au projet : (...) b) Pour les projets de création d'un ensemble commercial : / (...) / - la surface de vente et le secteur d'activité de chacun des magasins de plus de 300 mètres carrés de surface de vente ; - l'estimation du nombre de magasins de moins de 300 mètres carrés de surface de vente et de la surface de vente totale de ces magasins ; (...) 3° Effets du projet en matière d'aménagement du territoire. Le dossier comprend une présentation des effets du projet sur l'aménagement du territoire, incluant les éléments suivants : a) Prise en compte de l'objectif de compacité des bâtiments et aires de stationnement ; b) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules générés par le projet sur les principaux axes de desserte du site, ainsi que des capacités résiduelles d'accueil des infrastructures de transport existantes ; c) Evaluation des flux journaliers de circulation des véhicules de livraison générés par le projet et description des accès au projet pour ces véhicules ; d) Indication de la distance du projet par rapport aux arrêts des moyens de transports collectifs, de la fréquence et de l'amplitude horaire de la desserte de ces arrêts ; e) Analyse prévisionnelle des flux de déplacement dans la zone de chalandise, tous modes de transport confondus, selon les catégories de clients ; f) En cas d'aménagements envisagés de la desserte du projet : tous documents garantissant leur financement et leur réalisation effective à la date d'ouverture de l'équipement commercial pour les aménagements pris en charge au moins pour partie par les collectivités territoriales, la mention des principales caractéristiques de ces aménagements, une estimation des coûts indirects liés aux transports supportés par les collectivités comprenant la desserte en transports en commun, ainsi qu'une présentation des avantages, économiques et autres, que ces aménagements procureront aux collectivités ; 4° Effets du projet en matière de développement durable. Le dossier comprend une présentation des effets du projet en matière de développement durable, incluant les éléments suivants : a) Présentation des mesures, autres que celles résultant d'obligations réglementaires, destinées à réduire la consommation énergétique des bâtiments ; b) Le cas échéant, description des énergies renouvelables intégrées au projet et de leur contribution à la performance énergétique des bâtiments, et fourniture d'une liste descriptive des produits, équipements et matériaux de construction utilisés dans le cadre du projet et dont l'impact environnemental et sanitaire a été évalué sur l'ensemble de leur cycle de vie ; c) Le cas échéant, dans les limites fixées aux articles L. 229-25 et R. 229-47 du code de l'environnement, description des émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre que le projet est susceptible de générer et les mesures envisagées pour les limiter ; d) Description des mesures propres à limiter l'imperméabilisation des sols ; e) Description des mesures propres à limiter les pollutions associées à l'activité, notamment en matière de gestion des eaux pluviales et de traitement des déchets ; f) Description des nuisances visuelles, lumineuses, olfactives et sonores générées par le projet et des mesures propres à en limiter l'ampleur ; g) Le cas échéant, si le projet n'est pas soumis à étude d'impact, description des zones de protection de la faune et de la flore sur le site du projet et des mesures de compensation envisagées ; (...) 2° Présentation de la contribution du projet à l'animation des principaux secteurs existants, notamment en mat ère de complémentarité des fonctions urbaines et d'équilibre territorial ; en particulier, contribution, y compris en termes d'emploi, à l'animation, la préservation ou la revitalisation du tissu commercial des centres-villes de la commune d'implantation et des communes limitrophes incluses dans la zone de chalandise définie pour le projet, avec mention, le cas échéant, des subventions, mesures et dispositifs de toutes natures mis en place sur les territoires de ces communes en faveur du développement économique ; (...) ". Aux termes de l'article R. 752-2 du même code : " Au sens de l'article L. 752-1, constituent des secteurs d'activité : / 1° Le commerce de détail à prédominance alimentaire ; / 2° Les autres commerces de détail et les activités de prestation de services à caractère artisanal ".

10. L'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur un dossier de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet aux objectifs énoncés par la loi au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.

S'agissant du motif tiré de l'insuffisance du dossier de demande :

11. Les commissions d'aménagement commercial ne peuvent pas légalement délivrer l'autorisation demandée sur la base d'un dossier qui, par ses insuffisances, ne leur permettrait pas d'apprécier l'impact du projet au regard des objectifs et des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.

12. Lorsqu'elle estime qu'une demande d'autorisation d'exploitation commerciale est incomplète, il appartient à la Commission nationale d'aménagement commercial, non de refuser d'emblée pour ce motif l'autorisation, mais d'inviter la société à compléter dans cette mesure son dossier afin de combler les insuffisances constatées, puis, le cas échéant, de rejeter la demande en raison de lacunes persistantes.

13. En l'espèce, dans le deuxième et le troisième considérants de son avis du 1er avril 2021, la Commission nationale a considéré qu'elle ne pouvait pas apprécier pleinement les effets du projet sur les centres-villes de la zone de chalandise, faute d'avoir au dossier des lettres d'intention des candidats pour les trois cellules d'une surface de plus de 600 m² comprises dans le projet.

14. Toutefois, d'une part, la société pétitionnaire a précisé dans sa demande, conformément aux prescriptions procédant des dispositions combinées des articles R. 756-6 et R. 752-2 du code de commerce, que les trois moyennes surfaces en cause exerceraient une activité non alimentaire.

15. D'autre part, s'il résulte du III de l'article L. 752-6 du code de commerce que l'analyse d'impact produite à l'appui de la demande d'autorisation " évalue les effets du projet sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune d'implantation " et s'il ressort du rapport d'instruction du secrétariat de la Commission nationale que la société pétitionnaire a été interrogée, s'agissant d'une commune disposant d'un taux de vacance commerciale élevé, sur sa méthode d'évaluation des effets d'un projet dont les enseignes n'étaient pas encore connues, la société a répondu que les commerces de centre-ville ne disposaient pas de surfaces suffisantes pour développer les activités prévues dans les cellules commerciales du projet et il ne ressort pas des pièces du dossier que la Commission nationale ait demandé des compléments d'information à la société sur ce point.

16. Dans ces conditions, la Commission nationale ne pouvait pas se fonder sur la seule absence de lettres d'intention des candidats pour l'exploitation des trois moyennes surfaces en cause pour considérer qu'elle ne pouvait pas apprécier le dossier au regard de l'un des critères de l'article L. 752-6 du code de commerce. Au surplus, si la Commission nationale estimait que le dossier ne la mettait pas en mesure de porter cette appréciation, il lui appartenait de demander des compléments avant de se prononcer au regard de l'ensemble des autres critères de cet article. La société Gamajo est donc fondée à soutenir que c'est à tort que la Commission nationale a émis un avis défavorable à sa demande pour ce motif.

S'agissant de la compatibilité du projet avec le SCOT :

17. En matière d'aménagement commercial, s'il n'appartient pas aux schémas de cohérence territoriale, à l'exception des cas limitativement prévus par la loi dans lesquels ils peuvent contenir des normes prescriptives, d'interdire par des dispositions impératives certaines opérations de création ou d'extension relevant des qualifications et procédures prévues au titre V du livre VII du code de commerce, ils peuvent fixer des orientations générales et des objectifs d'implantations préférentielles des activités commerciales définis en considération des exigences d'aménagement du territoire, de protection de l'environnement ou de qualité de l'urbanisme. Si de tels objectifs peuvent être pour partie exprimés sous forme quantitative, il appartient aux commissions d'aménagement commercial non de vérifier la conformité des projets d'exploitation commerciale qui leur sont soumis aux énonciations des schémas de cohérence territoriale, mais d'apprécier la compatibilité de ces projets avec les orientations générales et les objectifs qu'ils définissent.

18. Le document d'orientations et d'objectifs du schéma de cohérence territoriales de la région Flandre-Dunkerque approuvé le 13 juillet 2007, en vigueur à la date de la décision contestée, recommande " l'implantation des nouvelles surfaces de commerce de détail " " au plus près des centres de villes ". Il préconise la création de liaisons piétonnes sûres et agréables entre ces commerces et les espaces centraux. Il vise, lorsque l'implantation n'assure pas " une bonne mixité avec l'habitat ou une bonne intégration urbaine ", le confortement des pôles commerciaux structurants dont ne fait pas partie Gravelines, aucune création d'un tel pôle n'étant prévue par le schéma de cohérence territoriale.

19. En l'espèce, le projet litigieux est situé à 1 550 mètres du centre de Gravelines et est plus proche du centre que le magasin actuellement exploité par la société pétitionnaire qu'il remplace et qui se trouve à 1 900 mètres du centre. Il est situé en entrée de ville, le long du contournement de Gravelines et en prolongement, de l'autre côté du rond-point le desservant, d'un lotissement inclus dans l'enveloppe urbaine et situé à 120 mètres seulement du projet. Il est également en face d'un centre de contrôle technique automobile et n'est donc pas isolé dans un espace agricole. La demande précise qu'un cheminement piéton permet de rejoindre ce quartier et le centre-ville. Le projet est situé en zone 1AUEc du plan local d'urbanisme communautaire, zone à urbaniser destinée notamment à des équipements commerciaux, et il n'a donc pas vocation à demeurer à usage agricole.

20. Dans ces conditions, compte tenu de sa situation en entrée de ville et à proximité d'un quartier d'habitation intégré à l'enveloppe urbaine, le projet n'apparaît pas incompatible avec les orientations du document d'orientations et d'objectifs du schéma de cohérence territoriale Flandre- Dunkerque, contrairement à ce qu'a retenu la Commission nationale d'aménagement commercial au premier considérant de son avis.

S'agissant des effets sur les commerces du centre-ville :

21. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008, la densité d'équipement commercial de la zone de chalandise concernée ne figure plus au nombre des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce.

22. Les dispositions relatives à la contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville ajoutées au I de l'article L. 752-6 du code de commerce par la loi du 23 novembre 2018, telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-830 QPC du 12 mars 2020, se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale par les commissions d'aménagement commercial des effets du projet sur l'aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes.

23. La Commission nationale a relevé, au deuxième considérant de son avis, que le site actuellement exploité par la société pétitionnaire le serait désormais sous l'enseigne " Lidl ", " Aldi " ou " Netto " et en a déduit que " l'installation de telles enseignes, outre le présent projet, revient à ajouter de la surface de vente alimentaire potentielle avec de possibles effets sur le centre-ville ". Si la Commission nationale a entendu se prévaloir, non pas de l'insuffisance du dossier de la demande d'autorisation mais de ses effets sur les commerces du centre-ville, il résulte de ce qui a été dit au point 22 que la délivrance de l'autorisation ne peut pas être subordonnée à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes.

S'agissant des coûts indirects pour la collectivité :

24. Le projet nécessite un redimensionnement du rond-point permettant d'y accéder situé à l'est. La société pétitionnaire s'est engagée à prendre en charge ce réaménagement à hauteur de 319 238 euros sur un total de 869 300 euros soit une part 36,7 %. Si le quatrième considérant de l'avis de la Commission nationale a relevé que la part restante serait prise en charge par les collectivités territoriales, il résulte du f) du 1° du I de l'article R. 756-6 du code de commerce que ce coût doit être mis en balance avec les avantages, économiques et autres, que cet aménagement procurera aux collectivités. En tout état de cause, l'existence d'un tel coût ne permettait pas à lui seul de fonder le refus d'autorisation litigieux.

S'agissant de l'accessibilité :

25. Le projet est desservi par les transports en commun, même si la fréquence de ceux-ci est limitée à un bus toutes les trente minutes. Par ailleurs, le projet est aisément accessible par le contournement routier de Gravelines et peut également être rejoint à pied. Dans ces conditions, le sixième considérant de l'avis de la Commission nationale, relatif à la desserte du projet, n'était pas susceptible de justifier un refus.

S'agissant de l'insertion paysagère :

26. Le projet prévoit 58 % de surfaces d'espaces verts, la plantation de 164 arbres de haute tige, la perméabilité des 248 places de stationnement et la constitution d'une prairie et d'une zone humide au sud du projet pour le séparer de la zone agricole. Dans ces conditions, la société Gamajo est fondée à soutenir que c'est à tort que le cinquième considérant de l'avis de la Commission nationale a relevé que le projet " impactera fortement le paysage, celui-ci étant bordé de champs d'un côté et d'une départementale de l'autre ".

27. Il résulte de tout ce qui précède que la société Gamajo est fondée à soutenir que l'avis du 1er avril 2021 de la Commission nationale d'aménagement commercial est illégal et que par suite l'arrêté du 30 avril 2021 du maire de Gravelines doit être annulé en tant qu'il vaut refus d'autorisation commerciale.

Sur les conclusions à fins d'injonction :

28. La Commission nationale d'aménagement commercial ne s'est pas prononcée dans son avis du 1er avril 2021 sur l'ensemble des critères mentionnés par l'article L. 752-6 du code de commerce. Par suite, l'annulation du permis en tant qu'il vaut autorisation commerciale n'implique pas nécessairement qu'il soit enjoint à la Commission nationale de se prononcer favorablement, ni au maire de délivrer le permis sollicité. Il y a donc seulement lieu d'enjoindre à la Commission nationale d'aménagement commercial et au maire de Gravelines de se prononcer à nouveau sur la demande, dans le délai global de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Gamajo, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que réclament les sociétés Auchan hypermarché, Bricomat gravelinois, Distrifolq, Kymadis et Dundis à ce titre.

30. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la société Gamajo sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 30 avril 2021 par lequel le maire de Gravelines a refusé un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à la société Gamajo est annulé.

Article 2 : Il est enjoint à la Commission nationale d'aménagement commercial et au maire de Gravelines de se prononcer à nouveau sur la demande de la société Gamajo, dans le délai global de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la société Gamajo au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions des sociétés Auchan hypermarché, Bricomat gravelinois, Distrifolq, Kymadis et Dundis présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gamajo, à la commune de Gravelines et aux sociétés Auchan hypermarché, Bricomat gravelinois, Distrifolq, Kymadis et Dundis et à la Commission nationale d'aménagement et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience publique du 19 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2023.

Le rapporteur,

Signé : D. Perrin Le président de la première chambre,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au préfet du Nord et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui les concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°21DA01550 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01550
Date de la décision : 16/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : SELARL PARME AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-02-16;21da01550 ?
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