Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 6 décembre 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a refusé de rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil dont il bénéficiait en qualité de demandeur d'asile et qui étaient suspendues depuis le 22 octobre 2019.
Par un jugement n° 2000253 du 13 avril 2022, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision.
Procédure devant la cour :
I - Par une requête, enregistrée sous le n°22DA01245 le 13 juin 2022 et un mémoire enregistré le 28 juillet 2022, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par la SCP d'avocats Nervo et Poupet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la requête de M. B....
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- il n'est pas établi que M. B... a présenté une demande d'asile en Espagne et il n'appartenait pas à l'Office de se rapprocher des autorités espagnoles ; l'Office était donc fondé à refuser de rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.
Par une ordonnance du 18 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 21 novembre 2022.
La requête a été communiquée à M. B... qui n'a pas produit de mémoire.
II - Par une requête, enregistrée sous le n° 22DA01652, le 28 juillet 2022, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par la SCP d'avocats Nervo et Poupet, demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement n° 2000253 du 13 avril 2022 du tribunal administratif de Lille.
Il soutient que :
- il présente des moyens sérieux de nature à justifier l'annulation du jugement ;
- à titre subsidiaire, il sollicite le sursis sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative ;
- l'exécution du jugement entraînera des conséquences difficilement réparables ;
- à titre infiniment subsidiaire, il sollicite le sursis sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-16 du code de justice administrative.
La requête a été communiquée à M. B... qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 17 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 4 novembre 2022.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la Constitution ;
- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Baes-Honoré présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Raphaëlle Poupet, représentant l'office français de l'immigration et de l'intégration.
Une note en délibéré présentée par l'OFII a été enregistrée le 9 janvier 2023, dans l'affaire N° 22DA01245.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant guinéen né le 16 mars 1997, a déposé une demande d'asile auprès de la préfecture du Nord le 10 octobre 2016. La consultation du fichier Eurodac ayant établi que l'Espagne était responsable de l'examen de cette demande, le préfet du Nord a saisi les autorités de ce pays d'une demande de reprise en charge, laquelle a été acceptée le 27 janvier 2017. Par un arrêté du 10 mars 2017, le préfet du Nord a décidé de transférer M. B... aux autorités espagnoles. Ce dernier a fait l'objet d'un transfert vers l'Espagne le 21 juin 2018.
2. M. B... est revenu en France, a déposé une nouvelle demande d'asile le 11 octobre 2019 et a bénéficié, à compter du même jour, des conditions matérielles d'accueil. Toutefois, par un courrier du même jour, M. B... a été informé de l'intention de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de suspendre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil. Par une décision du 6 décembre 2019, le directeur général de l'OFII a refusé de rétablir ces conditions. Saisi par M. B..., le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision par un jugement du 13 avril 2022. L'OFII relève régulièrement appel de ce jugement.
Sur la jonction :
3 L'appel et la demande de sursis à exécution présentées par l'OFII sont formés contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 22DA01245 :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
4. Il résulte du point 5 du jugement que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre aux arguments de la défense, ont exposé les motifs pour lesquels ils estimaient que la décision était entachée d'une illégalité. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement doit donc être écarté.
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
5. Aux termes de l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, sont proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile par l'autorité administrative compétente, en application du présent chapitre. Les conditions matérielles d'accueil comprennent les prestations et l'allocation prévues au présent chapitre (...) ". Aux termes de l'article L. 744-8 du même code :
" Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être : (...) 2° Refusé si le demandeur présente une demande de réexamen de sa demande d'asile ... ".
6. L'article D. 744-34 du même code dispose : " Le versement de l'allocation prend fin, sur demande de l'Office français de l'immigration et de l'intégration : (...) 2° A compter de la date du transfert effectif à destination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile ". Enfin, l'article D. 744-37 de ce code dispose : " Le bénéfice de l'allocation pour demandeur d'asile peut être refusé par l'Office français de l'immigration et de l'intégration : 1° En cas de demande de réexamen de la demande d'asile ; (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions, ainsi que de celles de la directive du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres qu'elles visent à transposer et qui ont notamment été interprétées par la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 27 septembre 2012, CIMADE et GISTI, C-179/11, que lorsqu'un demandeur d'asile a été transféré vers l'Etat responsable de l'examen de sa demande, c'est à ce dernier de lui assurer les conditions matérielles d'accueil. En cas de retour de l'intéressé en France sans que la demande n'ait été examinée et de présentation d'une nouvelle demande, l'OFII peut refuser le bénéfice de ces droits, sauf si les autorités en charge de cette nouvelle demande décident de l'examiner ou si, compte tenu du refus de l'Etat responsable d'examiner la demande précédente, il leur revient de le faire.
8. Si, dans les observations qu'il a adressées à l'OFII en réponse à l'intention de ce dernier de lui refuser le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, M. B... a indiqué que les autorités espagnoles ne lui avaient proposé aucune prise en charge sociale et administrative et qu'il n'avait ainsi pas été mis en mesure de déposer effectivement une demande d'asile, il n'a apporté à l'appui de ce dire aucun élément sérieux et suffisamment circonstancié susceptible d'établir qu'il aurait été mis dans l'impossibilité de présenter une demande d'asile en raison de l'absence de prise en charge administrative en Espagne. Il est en outre constant que les autorités espagnoles n'ont pas refusé d'examiner sa demande dès lors que M. B... reconnaît n'avoir déposé aucune demande d'asile.
9. Il résulte de ce qui précède que l'OFII est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler la décision contestée, le tribunal administratif de Lille a retenu une illégalité commise par l'OFII au motif que ce dernier n'apportait pas la preuve du refus d'examen de la demande d'asile par les autorités espagnoles.
10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B....
En ce qui concerne la légalité externe :
11. En premier lieu, par une décision du 1er août 2019, publiée au bulletin officiel du ministère de l'intérieur du 15 septembre 2019 et sur le site internet de l'OFII, le directeur général de cet établissement public a donné délégation à M. C... D..., directeur territorial, à l'effet de signer les décisions telles que celle en litige, laquelle relève des missions dévolues à sa direction. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
12. En deuxième lieu, la décision contestée comporte l'énoncé des circonstances de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Elle précise ainsi notamment que l'intéressé a présenté une nouvelle demande d'asile après avoir été transféré vers l'Etat membre responsable de l'instruction de sa demande, et que sa situation personnelle et familiale ne fait pas apparaître de facteur particulier de vulnérabilité au sens de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
13. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il n'aurait pas été procédé à un examen particulier de la situation de M. B... avant l'édiction de la décision en litige. Ce moyen doit, par suite, être écarté.
14. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'un examen de la vulnérabilité de M. B... a été diligenté préalablement à l'édiction de la décision contestée, à la suite d'un entretien réalisé avec l'intéressé assisté d'un interprète, et il résulte des motifs de la décision contestée que l'OFII a examiné les motifs évoqués par l'intéressé dans son courrier du 18 octobre 2019. Par suite, les moyens tirés de l'existence d'un vice de procédure doivent être écartés.
En ce qui concerne la légalité interne :
15. En premier lieu, aux termes de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors applicable : " A la suite de la présentation d'une demande d'asile, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de procéder, dans un délai raisonnable et après un entretien personnel avec le demandeur d'asile, à une évaluation de la vulnérabilité de ce dernier afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d'accueil. Ces besoins particuliers sont également pris en compte s'ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d'asile. Dans la mise en œuvre des droits des demandeurs d'asile et pendant toute la période d'instruction de leur demande, il est tenu compte de la situation spécifique des personnes vulnérables. / L'évaluation de la vulnérabilité vise, en particulier, à identifier les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes atteintes de maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, telles que des mutilations sexuelles féminines. / L'évaluation de la vulnérabilité du demandeur est effectuée par des agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ayant reçu une formation spécifique à cette fin. (...) ".
16. Si M. B... soutient qu'il n'a pas de solution d'hébergement pérenne et ne dispose d'aucune ressource, ces seuls éléments ne suffisent pas à établir l'existence d'une situation particulière de vulnérabilité, au sens des dispositions précitées, justifiant le rétablissement des conditions matérielles d'accueil. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.
17. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'après son arrivée en 2018 en Espagne, désigné Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile, M. B... est revenu sur le territoire français et a présenté une nouvelle demande d'asile le 11 octobre 2019. Dès lors que la nouvelle demande d'asile présentée par le requérant a été alors enregistrée selon la procédure " Dublin ", l'Etat français ne peut pas être regardé comme s'étant ainsi reconnu responsable de l'examen de cette demande. Il en résulte, ainsi que des points 6 et 7, qu'en suspendant le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, l'OFII n'a pas porté atteinte au droit d'asile et au droit au bénéfice des conditions matérielles d'accueil.
18. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors applicable : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil prévues à l'article L. 744-1 est subordonné : 1° A l'acceptation par le demandeur de la proposition d'hébergement ou, le cas échéant, de la région d'orientation déterminée en application de l'article L. 744-2. Ces propositions tiennent compte des besoins, de la situation personnelle et familiale de chaque demandeur au regard de l'évaluation prévue à l'article L. 744-6, des capacités d'hébergement disponibles et de la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région ; / 2° Au respect des exigences des autorités chargées de l'asile, notamment en se rendant aux entretiens, en se présentant aux autorités et en fournissant les informations utiles afin de faciliter l'instruction des demandes. / Le demandeur est préalablement informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, que le fait de refuser ou de quitter le lieu d'hébergement proposé ou la région d'orientation mentionnés au 1° du présent article ainsi que le non-respect des exigences des autorités chargées de l'asile prévues au 2° entraîne de plein droit le refus ou, le cas échéant, le retrait du bénéfice des conditions matérielles d'accueil (...) ".
19. La décision contestée a été notamment motivée par la circonstance que M. B... ne justifiait pas des raisons pour lesquelles il n'avait pas respecté les obligations auxquelles il avait consenti lors de l'acceptation de l'offre de prise en charge de l'OFII. Si M. B... soutient que cette décision est entachée d'erreur de droit au regard des dispositions précitées des articles L. 744-1 et L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en ce que l'OFII n'apporte pas la preuve du non-respect de ses obligations, il résulte de la décision contestée que l'OFII a également fait grief à l'intéressé d'avoir présenté une nouvelle demande d'asile en France après avoir été transféré vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande.
20. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'OFII n'a pas commis d'erreur de droit en opposant ce dernier motif de refus à M. B..., dès lors que l'intéressé ne s'est pas vu opposer un refus par les autorités espagnoles et dès lors que les autorités françaises ne se sont pas reconnues responsables de l'examen de la demande d'asile présentée en 2019, et il résulte de l'instruction que l'OFII aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur ce seul motif. Par suite le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 744-1 et L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit être écarté.
21. En quatrième et dernier lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
22. Si M. B... soutient qu'il n'a ni hébergement ni ressources, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il se trouve dans un état de vulnérabilité tel que la décision en litige puisse être regardée comme constitutive d'un traitement inhumain ou dégradant au sens de ces stipulations. Dès lors, le moyen invoqué à ce titre doit être écarté.
23. Il résulte de tout ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 6 décembre 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a refusé de rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.
Sur la requête n° 22DA01652 :
24. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement n° 2000253 du 13 avril 2022 du tribunal administratif de Lille, les conclusions de la requête n° 22DA01652 tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Dès lors, il n'y a plus lieu d'y statuer.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 22DA01652 de l'OFII tendant au sursis à exécution du jugement n° 2000253 du 13 avril 2022 du tribunal administratif de Lille.
Article 2 : Le jugement n° 2000253 du 13 avril 2022 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience publique du 5 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,
- M. Stéphane Eustache premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2023.
La présidente-rapporteure,
signé : C. Baes-HonoréLe président de la 1ère chambre,
signé : M. E...
La greffière,
signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
Nos 22DA01245,20DA01652 2