Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
A la suite d'une ordonnance n° 1711090 du 16 mars 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à M. B... A... une provision d'un montant de 129 679,97 euros, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a demandé au tribunal de fixer le montant définitif de la dette de l'Etat sur le fondement de l'article R. 541-4 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1803285 du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Lille a fixé ce montant à la somme de 136 841,99 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2012.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 septembre 2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation demande à la cour de réformer ce jugement en tant qu'il l'a condamné à indemniser M. A... du préjudice de minoration de pension pour la période du 1er juin 2018 au 17 juillet 2020.
Il soutient que :
- le tribunal ne pouvait pas le condamner à verser une somme correspondant à la période du 31 mai 2018 au 17 juillet 2020 dès lors que seul le préjudice résultant de la minoration des pensions échues au titre des régimes général et complémentaire de retraite entre le 1er avril 2010 et le 31 mai 2018 présente un lien de causalité avec la faute de l'Etat constituée par l'absence d'affiliation aux régimes de retraite de M. A... ;
- la période suivant le 31 mai 2018, date à laquelle le ministre a versé à l'intéressé la provision allouée par le juge des référés, ne peut pas faire l'objet d'une indemnisation dès lors que M. A... pouvait, à cette date, régulariser sa situation auprès des caisses de retraite.
Par des mémoires, enregistrés les 12 novembre 2020 et 31 mars 2021, la caisse des dépôts et consignations informe la cour que l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (IRCANTEC) n'a pas été saisie par le ministre de l'agriculture, ni par M. A... d'une demande de régularisation de la situation de l'intéressé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2021, M. B... A..., représenté par la SCP Yves Richard, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de fixer la dette de l'Etat à la somme de 192 010,04 euros sauf à parfaire au regard notamment d'une éventuelle modification à intervenir du taux de rachat des cotisations sociales, assortie de l'intérêt au taux légal à compter du 3 octobre 2012, et de condamner l'Etat à lui verser cette somme ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le moyen soulevé par le ministre n'est pas fondé dès lors que le montant calculé par le tribunal ne concerne pas la période postérieure à 2018 ;
- en s'abstenant de déclarer son activité auprès des organismes de retraite, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- il a droit au versement, d'une part, des cotisations patronales et salariales qu'il aura à acquitter en lieu et place de l'Etat pour la période allant de l'année 1974 au 31 décembre 1989 et, d'autre part, au versement des pensions de retraite au titre de la période comprise entre le 1er mars 2010 et la date de versement par l'Etat de la somme précédente ;
- compte tenu de l'ancienneté des salaires versés par l'Etat entre les années 1974 et 1989, le calcul des cotisations non versées peut être effectué sur la base de l'assiette forfaitaire visée à l'article R. 351-11 du code de la sécurité sociale ;
- la somme de 136 841,99 euros au versement de laquelle l'Etat a été condamné doit être portée à 192 010,04 euros.
La requête a été communiquée à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) Hauts de France, qui n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance du 15 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 juillet 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le décret du 23 décembre 1970 portant création d'un régime de retraite complémentaire des assurances sociales en faveur des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., vétérinaire libéral, a exercé à titre accessoire des missions de prophylaxie collective animale pour le compte de l'Etat jusqu'à son départ en retraite le 1er avril 2010. Par lettre du 3 octobre 2012, il a demandé au directeur départemental chargé de la protection des populations de la préfecture du Nord de l'indemniser du préjudice subi du fait de l'absence d'affiliation par l'Etat à la Caisse de retraite et de la santé au travail (CARSAT) et à l'Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques (IRCANTEC) au titre des salaires qu'il a perçus dans l'exercice de son mandat sanitaire entre 1975 et 1989. L'Etat n'a pas contesté le principe de sa responsabilité et lui a proposé de procéder à une évaluation de son préjudice. M. A..., estimant que cette proposition ne couvrait pas l'intégralité de son préjudice, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser une provision de 192 010,04 euros. Par une ordonnance du 16 mars 2018, l'Etat a été condamné à lui verser la somme de 129 679,97 euros à titre de provision.
2. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a alors demandé au juge du fond de fixer définitivement sa dette à l'égard M. A... à la somme de 96 966,80 euros, sur le fondement de l'article R. 541-4 du code de justice administrative. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation relève appel du jugement n° 1803285 du 17 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille a fixé le montant définitif de la dette de l'Etat à l'égard de M. A... à la somme de 136 841,99 euros. M. A... forme appel incident en tant que le tribunal n'a pas pris en compte la totalité de ses années d'exercice dans le calcul de son préjudice.
Sur l'appel principal du ministre de l'agriculture et de l'alimentation :
3. En vertu des dispositions de l'article 215-8 du code rural issues de l'article 10 de la loi du 22 juin 1989 modifiant et complétant certaines dispositions du livre deuxième du code rural ainsi que certains articles du code de la santé publique, reprises jusqu'à l'ordonnance n° 2011-863 du 22 juillet 2011 relative à la modernisation des missions des vétérinaires titulaires d'un mandat sanitaire à l'article L. 221-11 du code rural et de la pêche maritime, puis, en substance, à l'article L. 203-11 de ce code : " Les rémunérations perçues au titre de l'exercice du mandat sanitaire] sont assimilées, pour l'application du code général des impôts et du code de la sécurité sociale, à des revenus tirés de l'exercice d'une activité libérale. Ces dispositions sont applicables à compter du 1er janvier 1990 ". Jusqu'à cette date, les vétérinaires titulaires d'un mandat sanitaire devaient être regardés comme des agents non titulaires de l'Etat relevant du régime général de la sécurité sociale en application de l'article L. 311-2 du code de la sécurité sociale ainsi que du régime de retraite complémentaire des agents publics non titulaires de l'Etat. A ce titre, l'Etat avait l'obligation, dès la date de prise de fonction, d'assurer leur immatriculation à la caisse primaire de sécurité sociale ainsi qu'à l'IRCANTEC en application des dispositions, d'une part, de l'article R. 312-4 du code de la sécurité sociale et, d'autre part, des articles 3 et 7 du décret du 23 décembre 1970 portant création d'un régime de retraite complémentaire des assurances sociales en faveur des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités publiques, et de verser les cotisations correspondant aux rémunérations perçues en vertu des actes de prophylaxie.
4. Les sommes mises à la charge de l'Etat par l'ordonnance du juge des référés du 16 mars 2018 et payées à M. A... le 31 mai 2018, devaient légalement lui permettre de procéder lui-même au versement aux organismes gestionnaires des régimes général et complémentaire des arriérés de cotisations de retraite dues par l'employeur afin d'obtenir ses droits à la retraite. Ainsi, le ministre, qui ne conteste ni avoir commis une faute en omettant de faire procéder à l'immatriculation de M. A... à la CARSAT et à l'IRCANTEC, ni les modalités de calcul retenues par les premiers juges, est fondé à soutenir que seul le préjudice résultant de la minoration des pensions de retraite perçues par M. A... entre le 1er avril 2010 et le 31 mai 2018, soit une période de 98 mois, présente un lien de causalité direct avec la faute de l'Etat. Il est, dès lors, fondé à soutenir que c'est tort que le tribunal a calculé ce préjudice pour une période de 123 mois allant du 1er avril 2010 au 17 septembre 2020. Par suite, il y a lieu de ramener la somme de 29 728,08 euros que le tribunal a accordée au titre des arrérages échus de pension de retraite, à la somme de 23 685,62 euros et de ramener la somme de 34 852,55 euros que le tribunal a accordée au titre des arrérages échus de pension de retraite complémentaire, à la somme de 27 768,70 euros et de réformer le jugement sur ce point.
Sur l'appel incident de M. A... :
5. M. A... demande à la cour de réformer le jugement du 17 juillet 2020 en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande pour les années 1974, 1978, 1979, 1980, 1986 et 1987.
6. Dans sa dernière proposition d'assiette du 24 juillet 2017, le ministre de l'agriculture a retenu, au titre des salaires perçus par M. A..., 478 francs pour l'année 1974, 17 332 francs pour l'année 1978, 11 600 francs pour l'année 1979, 17 516 francs pour l'année 1986 et 14 742 francs pour l'année 1987. Faute pour M. A... d'apporter des éléments suffisamment probants permettant de majorer ces sommes, notamment au titre de l'année 1974 pour laquelle sa déclaration de revenus fait apparaître qu'il a seulement perçu 80 000 francs de bénéfices non commerciaux liés à son activité de vétérinaire libéral sans établir qu'il aurait bénéficié de salaires à raison de son mandat sanitaire pour le compte de l'Etat, il y a lieu de retenir les sommes admises par l'Etat dans sa dernière proposition du 24 juillet 2017 pour les années 1974, 1978, 1979, 1986 et 1987, aucun élément du dossier faisant obstacle à leur prise en compte.
7. Par ailleurs, la déclaration de revenus au titre de l'année 1980 fait apparaître que M. A... a perçu, outre des bénéfices non commerciaux, une somme de 134 473 francs au titre de salaires ce qui permet d'établir que l'intéressé a exercé ses fonctions au titre du mandat sanitaire qu'il détient. Dès lors, l'intéressé est fondé à demander que cette somme soit prise en compte dans l'assiette des cotisations de retraite.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a refusé de prendre en compte les années 1974, 1978, 1979, 1980, 1986 et 1987 pour le calcul des cotisations et de l'indemnité correspondant à ses arrérages de pension de retraite au titre du régime général et complémentaire. Néanmoins, la cour n'est pas en mesure de calculer le montant des cotisations au régime général et complémentaire de retraite que l'administration aurait dû verser, ni les arrérages échus de pension de retraite des régime général et complémentaire qui devraient être versés à M. A... au titre des salaires visés aux points 6 et 7 pour les années 1974, 1978, 1979, 1980, 1986 et 1987, pour la période du 1er avril 2010 au 31 mai 2018. Par suite, il y a lieu de renvoyer M. A... devant le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire pour le calcul des cotisations et de l'indemnité à laquelle il a droit au titre de ces six années.
En ce qui concerne les intérêts :
9. L'indemnité prévue au point 8 sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2012, date de réception de la réclamation que M. A... a adressée à l'Etat.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 29 728,08 euros que le tribunal a accordée à M. A... au titre des arrérages échus de pension de retraite est ramenée à 23 685,62 euros. La somme de 34 852,55 euros que le tribunal lui a accordée au titre des arrérages échus de pension de retraite complémentaire est ramenée à 27 768,70 euros.
Article 2 : Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire versera à M. A... une indemnité au titre de l'absence de versement de cotisations au régime général et complémentaire de retraite pour les années 1974, 1978, 1979, 1980, 1986 et 1987 et des arrérages échus de pension de retraite des régime général et complémentaire afférents aux mêmes années, pour la période allant du 1er avril 2010 au 31 mai 2018. M. A... est renvoyé devant l'administration pour le calcul de ce montant dans les conditions mentionnées au point 8. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 8 octobre 2012, date de réception de sa demande préalable par l'administration.
Article 3 : Le jugement n° 1803285 du tribunal administratif de Lille du 17 juillet 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à M. B... A....
Copie sera adressée à la Caisse des dépôts et consignations.
Délibéré après l'audience publique du 10 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLa présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
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N°20DA01463