Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 août 2021 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer une carte de résident, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, d'autre part, d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou de réexaminer sa situation, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2107291 du 19 novembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 mars 2022, Mme D..., représentée par Me Foutry, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté du 30 août 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou une carte de résident ou de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 300 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à Me Foutry, sous réserve de sa renonciation à percevoir l'indemnité d'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- la décision lui refusant une carte de résident est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle méconnaît l'article L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant un délai de départ volontaire de trente jours est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant interdiction de retour d'un an sur le territoire français méconnaît les dispositions de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée le 17 mars 2022 au préfet du Nord qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une ordonnance du 20 juillet 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 30 août 2022 à 12 heures.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... D..., ressortissante ukrainienne née le 20 septembre 2001, déclare être entrée en France au cours du mois de novembre 2018, accompagnée de ses parents M. A... D... et Mme C... E... ainsi que de son jeune frère né en 2015. Le 25 septembre 2020, sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Ce refus a été confirmé par la Cour nationale du droit d'asile, le 22 juillet 2021. Par un arrêté du 30 août 2021, le préfet du Nord lui a refusé la délivrance de la carte de résident qu'implique la reconnaissance du statut de réfugié, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme D... relève appel du jugement du 19 novembre 2021 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet du Nord du 30 août 2021.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., jeune majeure âgée de dix-neuf ans à la date de la décision attaquée, est, selon ses déclarations, entrée en France en novembre 2018, accompagnée de son père M. A... D... et de sa mère Mme C... E... ainsi que de son jeune frère âgé de six ans. Ce dernier est atteint de troubles du spectre autistique sévères et de graves retards de développement justifiant la mise en place d'un suivi médico-éducatif pluridisciplinaire avec le centre médico psychologique de Lille et une scolarisation adaptée au sein de l'institut médico éducatif ... de Villeneuve d'Ascq. Compte tenu de la situation liée à l'état de santé de son jeune frère, par deux arrêts du 5 janvier 2023, la cour a annulé les décisions de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire français que le préfet du Nord a opposées aux deux parents de Mme B... D.... Par conséquent, dans les circonstances très particulières de l'espèce, malgré la faible durée de présence en France de l'appelante, la décision du préfet du Nord porte une atteinte disproportionnée au droit de Mme B... D... de mener une vie privée et familiale normale. Mme D... est dès lors fondée à soutenir que le préfet du Nord a méconnu les stipulations citées au point 2 et à en demander l'annulation pour ce motif.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande d'annulation des décisions par lesquelles le préfet du Nord a refusé de lui délivrer une carte de résident, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être éloignée d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
6. En raison du motif qui la fonde, l'annulation de l'arrêté attaqué implique nécessairement, qu'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " soit délivré à Mme D... sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Il y a lieu d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer un tel titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de la munir d'une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
7. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Foutry, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Foutry de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 19 novembre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille et l'arrêté du préfet du Nord du 30 août 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de délivrer à Mme D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir d'une autorisation provisoire de séjour dans cette attente.
Article 3 : L'État versera à Me Foutry, avocat de Mme D..., la somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au préfet du Nord, à Mme B... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Guy Foutry.
Délibéré après l'audience publique du 6 décembre 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Nathalie Massias, présidente,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 janvier 2023.
Le rapporteur,
Signé : F. Malfoy
La présidente,
Signé : N. Massias
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Huls-Carlier
N° 22DA00621 2