Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler les décisions du 7 septembre 2021 par lesquelles le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an, d'enjoindre au préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours suivant la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de condamner l'Etat aux entiers dépens et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que son conseil renonce au bénéfice de l'aide juridictionnelle en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par un jugement n° 2107110 du 19 novembre 2021 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé les décisions du 7 septembre 2021 par lesquelles le préfet du Nord a obligé M. A... à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an, a enjoint au préfet du Nord de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. A... le temps de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et mis à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 900 euros en application des dispositions de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 décembre 2021, le préfet du Nord demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de M. A....
Il soutient qu'il était fondé à prendre à l'encontre de l'intéressé une obligation de quitter le territoire français et ne pouvait valablement envisager la possibilité d'une réadmission en Espagne car l'intéressé ne remplissait pas les conditions posées par l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
M. C... A..., représenté par Me Cardon, a produit, après clôture de l'instruction, le 5 décembre 2022 un mémoire qui n'a pas été communiqué.
Par ordonnance du 28 juin 2022 la date de clôture de l'instruction a été fixée au 22 juillet 2022 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant marocain né le 15 juin 1987, a été interpellé en situation irrégulière sur le territoire français. Il a déclaré lors de son audition administrative être entré en France irrégulièrement en 2014 et n'avoir, depuis, effectué aucune démarche pour régulariser sa situation. Aussi, le préfet du Nord, par arrêté du 7 septembre 2021, l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an. Par un jugement du 19 novembre 2021 le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a notamment annulé cet arrêté du 7 septembre 2021, a enjoint au préfet du Nord de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. A... le temps de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le préfet du Nord relève appel de ce jugement.
Sur le motif d'annulation retenu par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " La décision portant obligation de quitter le territoire français mentionne le pays, fixé en application de l'article L. 721-3, à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office ". Par ailleurs, l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Par dérogation au refus d'entrée à la frontière prévu à l'article L. 332-1, à la décision portant obligation de quitter le territoire français prévue à l'article L. 611-1 et à la mise en œuvre des décisions prises par un autre Etat prévue à l'article L. 615-1, l'étranger peut être remis, en application des conventions internationales ou du droit de l'Union européenne, aux autorités compétentes d'un autre Etat, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas prévus aux articles L. 621-2 à L. 621-7. / L'étranger est informé de cette remise par décision écrite et motivée prise par une autorité administrative définie par décret en Conseil d'Etat. Il est mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix ". Aux termes de l'article L. 621-2 du même code : " Peut faire l'objet d'une décision de remise aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse l'étranger qui, admis à entrer ou à séjourner sur le territoire de cet Etat, a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 311-1, L. 311-2 et L. 411-1, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec cet Etat, en vigueur au 13 janvier 2009 ".
3. Il ressort de ces dispositions que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union Européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen qui l'a autorisé à entrer ou l'a admis au séjour sur son territoire, sur le fondement des articles L. 621-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1 de ce code. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagée l'autre. Toutefois, si l'étranger demande à être éloigné vers l'Etat membre de l'Union Européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, ou s'il est résident de longue durée dans un Etat membre ou titulaire d'une " carte bleue européenne " délivrée par un tel Etat, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat.
4. Pour annuler l'arrêté du 7 septembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a estimé que le préfet du Nord n'avait pas envisagé la possibilité d'une réadmission en Espagne de M. A... alors que celui-ci avait déclaré vouloir entamer des démarches de régularisation en Espagne, avoir un billet pour son retour en Espagne via Toulouse et vouloir s'établir en Espagne, qu'il était titulaire d'une carte de résident à Palma de Majorque et justifiait d'un rendez-vous auprès de l'administration espagnole. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. A... est démuni de tout titre de séjour lui permettant de justifier de la régularité de son séjour sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne et se borne à produire une simple attestation de résidence établie par la mairie de Palma de Majorque qui ne constitue pas un titre de séjour. S'il a effectué une démarche par le biais d'Internet le lendemain de la notification de l'arrêté contesté soit le 8 septembre 2021 afin de bénéficier d'une prise de rendez-vous auprès de l'administration espagnole, qui a été fixé au 13 septembre 2021 - 9h00, une telle démarche postérieure à l'arrêté attaqué est sans incidence sur le fait qu'à la date de cet arrêté le préfet du Nord ne pouvait envisager la possibilité d'une réadmission en Espagne de M. A....
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté en litige pour le motif rappelé ci-dessus.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif.
En ce qui concerne le moyen commun à toutes les décisions :
7. Par un arrêté du 28 mai 2021, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture du Nord n° 122, le préfet du Nord a donné délégation à Mme D... B..., cheffe du bureau de lutte contre l'immigration irrégulière, à l'effet de signer, notamment, la décision attaquée. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
8. La décision attaquée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. En particulier, elle mentionne que M. A... a déclaré sans l'établir être entré sur le territoire national en 2014, qu'il n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine et qu'il ne justifie pas se trouver dans un des cas où il ne pourrait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Dès lors, le moyen tiré du défaut de motivation de l'acte attaqué doit être écarté.
9. Il ressort du procès-verbal de vérification du droit de circulation et de séjour de M. A... qu'il lui a été demandé lors de son audition par les services de police le 6 septembre 2021 s'il avait des observations à formuler en cas d'assignation à résidence ou de placement en rétention dans l'attente d'une mesure d'éloignement dont il pouvait faire l'objet. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe général du droit de l'Union du droit d'être entendu ne peut qu'être écarté.
10. M. A... a indiqué être marié, avec des enfants à sa charge qui résident tous au Maroc ainsi que ses deux parents où il a vécu l'essentiel de son existence et où il n'est ainsi pas isolé. Dans ces conditions, l'obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excessive. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
11. Il ne ressort pas plus des pièces du dossier que le préfet du Nord aurait entaché sa décision d'une erreur de droit, d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'appelant ou d'un défaut d'examen de sa situation.
12. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de l'obligation de quitter le territoire doivent être rejetées.
En ce qui concerne le refus de délai de départ volontaire :
13. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. " L'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile énonce : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...) ".
14. M. A... est entré irrégulièrement en France et n'a pas sollicité de délivrance d'un quelconque titre de séjour. Par suite, il se trouve dans le cas visé au 3° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers cité au point 13, la circonstance qu'il ne représente pas une menace pour l'ordre public étant inopérante.
En ce qui concerne le pays de destination :
15. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée d'illégalité, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination est dépourvue de base légale.
16. Comme il a été dit au point 10 le centre de la vie familiale et privée de M. A... est situé au Maroc où vivent sa femme et ses enfants ainsi que ses deux parents et où il a vécu l'essentiel de son existence. Ainsi la décision fixant le pays de destination ne porte pas une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales le moyen sera donc écarté.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
17. Il résulte de ce qui a été dit plus haut que M. A..., à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français, n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision par laquelle le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français.
18. Aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
19. Il ressort des termes de l'arrêté en litige que le préfet du Nord a motivé expressément sa décision prise à l'encontre de M. A... au regard des quatre critères figurant à l'article L. 612-10 précité. Il a relevé qu'au regard des conditions de son entrée et de son séjour en France, de la circonstance qu'il n'avait pas fait l'objet d'une mesure d'éloignement précédente, de sa situation familiale et de l'absence de menace pour l'ordre public que représentait sa présence sur le sol national, il convenait de fixer à un an la durée de l'interdiction de retour en France, l'intéressé ne justifiant d'aucune circonstance humanitaire propre à empêcher une interdiction de retour. Le moyen tiré du défaut de motivation doit donc être écarté.
20. En outre, la décision litigieuse atteste de la prise en compte par le préfet du Nord, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi. Au regard de ces motifs, qui ne sont pas entachés d'inexactitude, alors qu'ainsi qu'il a été dit au point 4 que M. A... ne justifie pas du droit au séjour en Espagne qu'il allègue, et en l'absence de circonstances humanitaires qui justifieraient que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour, le préfet du Nord a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, prononcer à l'encontre de l'intéressé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
21. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 19 novembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté en litige. Par suite, la demande de M. A... doit être rejetée y compris ses conclusions à fins d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2107110 du 19 novembre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C... A....
Copie sera adressée au préfet du Nord pour information.
Délibéré après l'audience publique du 6 décembre 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 janvier 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : M. E...
La présidente de la cour,
Signé : N. Massiase chambre,
G. Borot
La greffière,
Signé : C Huls-Carlier
La greffière,
C Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Huls-Carlier
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N° 21DA02917