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04/01/2023 | FRANCE | N°22DA00265

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 04 janvier 2023, 22DA00265


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 24 juillet 2019 par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Lille a rejeté son recours hiérarchique formé contre la sanction disciplinaire prononcée le 4 juin 2019 par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil.

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Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2022, le ga...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 24 juillet 2019 par laquelle la directrice interrégionale des services pénitentiaires de Lille a rejeté son recours hiérarchique formé contre la sanction disciplinaire prononcée le 4 juin 2019 par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil.

Par un jugement n° 1907061 du 10 décembre 2021, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision du 24 juillet 2019.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lille.

Il soutient que :

- le tribunal ne lui a pas communiqué le mémoire du 27 juillet 2020 qui comprenait le moyen d'annulation retenu par le tribunal ; le jugement doit donc être annulé pour défaut de respect du principe du contradictoire ;

- le tribunal aurait dû faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour vérifier la régularité de la composition de la commission de discipline ;

- la commission de discipline était régulièrement composée ;

- les droits de la défense ont été respectés ;

- la sanction n'est pas disproportionnée ;

- il reprend, s'agissant des autres moyens, ses écritures de première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2022, M. C..., représenté par l'association d'avocats à responsabilité professionnelle Thémis, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que le jugement est régulier et doit être confirmé. Il soutient à titre subsidiaire que les droits de la défense n'ont pas été respectés, que les faits reprochés sont inexactement qualifiés et que la sanction infligée est disproportionnée.

M. C... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 septembre 2022 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., incarcéré au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, a fait l'objet, le 4 juin 2019, d'une sanction de déclassement de la formation en vue de l'obtention du certificat d'aptitude professionnelle " employé de commerce multi-spécialités " qu'il suivait au sein du centre. La directrice interrégionale des services pénitentiaires de Lille a confirmé cette sanction par une décision du 24 juillet 2019. Le garde des sceaux, ministre de la justice fait appel du jugement du 10 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a, à la demande de M. C..., annulé la décision du 24 juillet 2019.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ".

3. Il résulte du deuxième et du troisième alinéas de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, qui sont destinés à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur, ou tout mémoire contenant des éléments nouveaux, est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pas pu préjudicier aux droits des parties.

4. En l'espèce, il résulte de l'instruction conduite par la cour que le tribunal administratif de Lille n'a pas communiqué le mémoire présenté pour M. C... par son conseil et enregistré le 27 juillet 2020 avant la clôture de l'instruction. Or, ce mémoire soulevait pour la première fois le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission de discipline qu'a retenu le tribunal administratif pour annuler, par le jugement contesté, la décision du 24 juillet 2019. Dès lors, le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à soutenir que le principe du contradictoire n'a pas été respecté.

5. Par suite, le jugement du tribunal administratif de Lille du 10 décembre 2021 doit être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen d'irrégularité invoqué par le ministre et tiré de l'absence de mise en œuvre de ses pouvoirs d'instruction par le tribunal.

6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lille.

Sur la légalité de la décision du 24 juillet 2019 :

En ce qui concerne l'impartialité de l'enquête :

7. Aux termes de l'article R. 57-7-13 du code de procédure pénale dans sa rédaction en vigueur : " En cas de manquement à la discipline de nature à justifier une sanction disciplinaire, un compte rendu est établi dans les plus brefs délais par l'agent présent lors de l'incident ou informé de ce dernier. L'auteur de ce compte rendu ne peut siéger en commission de discipline ". Aux termes de l'article R. 57-7-14 du même code : " A la suite de ce compte rendu d'incident, un rapport est établi par un membre du personnel de commandement du personnel de surveillance, un major pénitentiaire ou un premier surveillant et adressé au chef d'établissement. Ce rapport comporte tout élément d'information utile sur les circonstances des faits reprochés à la personne détenue et sur la personnalité de celle-ci. L'auteur de ce rapport ne peut siéger en commission de discipline. ".

S'agissant du compte-rendu d'incident :

8. Si M. C... estime que l'agent pénitentiaire qui a rédigé le compte rendu de l'incident qui s'est déroulé le 17 mai 2019, a fait preuve de partialité en rapportant des propos qu'il n'avait pas tenus, il ressort en tout état de cause des pièces du dossier que les faits mentionnés par ce premier compte rendu n'ont pas été retenus pour fonder la sanction infligée à l'intéressé.

S'agissant du rapport d'enquête :

9. Il ressort du rapport d'enquête établi par un premier surveillant en application de l'article R. 57-7-14 du code de procédure pénale le 24 mai 2019 à la suite de deux comptes rendus d'incidents impliquant M. C... survenus les 17 et 20 mai 2019, que l'intéressé a été entendu ainsi que deux détenus présents lors des faits. L'auteur du rapport indique également qu'il " a interrompu l'enquête car le détenu souhaitait refaire l'enquête à sa façon ".

10. Si ce rapport comprenait une appréciation de son rédacteur sur la personnalité du détenu résultant de la manière dont s'était déroulée l'enquête, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce seul élément ait exercé une influence sur le sens de la décision attaquée, dès lors que ce rapport comportait en annexe le compte rendu de l'audition du détenu et que celui-ci ne soutient pas que ses propos, qui reconnaissaient partiellement les faits, y étaient déformés.

11. Dans ces conditions, le moyen de M. C... tiré du défaut d'impartialité de l'enquête doit être écarté.

En ce qui concerne la composition de la commission de discipline :

12. Aux termes de l'article R. 57-7-8 du code de procédure pénale dans sa rédaction en vigueur : " Le président de la commission de discipline désigne les membres assesseurs. / Le premier assesseur est choisi parmi les membres du premier ou du deuxième grade du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'établissement. / Le second assesseur est choisi parmi des personnes extérieures à l'administration pénitentiaire qui manifestent un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires, habilitées à cette fin par le président du tribunal de grande instance territorialement compétent. La liste de ces personnes est tenue au greffe du tribunal de grande instance. ".

13. En premier lieu, il ressort du rôle de la commission de discipline du 4 juin 2019, d'une part, que deux assesseurs étaient présents, d'autre part, que le premier assesseur était distinct des personnels auteurs respectivement des comptes rendus d'incident et du rapport d'enquête et, enfin, que le deuxième assesseur avait été spécialement habilité à cette fin, le 22 janvier 2015, par le président du tribunal de grande instance de Béthune.

14. En deuxième lieu, il ressort également des pièces du dossier que la présidente de la commission de discipline avait reçu délégation à cette fin en application de l'article R. 57-7-5 du code de procédure pénale, par une décision du chef d'établissement du 17 octobre 2018, régulièrement publiée au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais du 27 mai 2019.

15. Dans ces conditions, le moyen de M. C... tiré de l'irrégularité de la composition de la commission de discipline doit être écarté.

En ce qui concerne les droits de la défense :

16. Aux termes de l'article R. 57-7-16 du code de procédure pénale dans sa rédaction applicable : " En cas d'engagement des poursuites disciplinaires, les faits reprochés ainsi que leur qualification juridique sont portés à la connaissance de la personne détenue. Le dossier de la procédure disciplinaire est mis à sa disposition. / La personne détenue est informée de la date et de l'heure de sa comparution devant la commission de discipline ainsi que du délai dont elle dispose pour préparer sa défense. Ce délai ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. / Elle dispose de la faculté de se faire assister par un avocat de son choix ou par un avocat désigné par le bâtonnier de l'ordre des avocats et peut bénéficier à cet effet de l'aide juridique. (...) ".

17. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... a eu connaissance de l'ensemble de la procédure disciplinaire le 29 mai 2019 et que son conseil a également eu communication de ces pièces dès le 27 mai 2019, soit bien avant la séance de la commission de discipline tenue le 4 juin 2019. Rien ne démontre, comme le soutient l'intéressé, que celui-ci n'aurait pas pu conserver une copie des pièces de la procédure pour préparer sa défense.

18. En deuxième lieu, il ressort de la motivation de la décision de la commission de discipline du 4 juin 2019 que M. C... a pu s'exprimer ainsi que son conseil devant cette commission.

19. Dans ces conditions, le moyen de M. C... tiré de la méconnaissance des droits de la défense doit être écarté.

En ce qui concerne la matérialité des faits :

20. En premier lieu, M. C... conteste la matérialité des faits repris par le compte-rendu de l'incident du 17 mai 2019. Toutefois, ces faits n'ont pas été retenus pour fonder la sanction disciplinaire contestée.

21. En deuxième lieu, M. C... ne conteste pas la matérialité des faits mentionnés dans le second compte-rendu d'incident du 24 mai 2019. Le moyen tiré de l'inexactitude matérielle des faits ne peut donc qu'être écarté.

En ce qui concerne la qualification de faute disciplinaire :

22. Aux termes de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale dans sa rédaction en vigueur : " Constitue une faute disciplinaire du deuxième degré le fait, pour une personne détenue : / 1° De formuler des insultes, des menaces ou des outrages à l'encontre d'un membre du personnel de l'établissement, d'une personne en mission ou en visite au sein de l'établissement pénitentiaire ou des autorités administratives ou judiciaires ; (...) ".

23. Pour déterminer si un manquement constitue une faute disciplinaire du deuxième degré, peuvent être pris en compte les faits commis par l'intéressé et le contexte dans lequel ils sont intervenus, à l'exclusion de son comportement général depuis le début de son incarcération. Ce dernier élément ne peut être pris en compte que pour les choix, dans la limite prévue par les dispositions du code de procédure pénale, du quantum de la sanction.

24. En premier lieu, il est constant que M. C... a déclaré à propos de la formatrice, le 20 mai 2019, lors d'une séance de la formation qu'il suivait : " Je croyais qu'elle avait démissionné la meuf ". Ces propos, qui ont été tenus en présence de la formatrice, manifestaient un manque de respect à son encontre et apparaissent comme une volonté du détenu de remettre en cause l'autorité et le rôle de la formatrice.

25. En deuxième lieu, il ressort du rapport rédigé par la formatrice, le 23 mai 2019, que M. C... perturbait régulièrement la formation par son comportement et qu'il a été reçu en entretien par le responsable local de l'enseignement pour une mise au point mais a persisté dans son attitude inappropriée. Il ressort également du rapport d'enquête qu'un autre participant à la formation a confirmé les propos de la formatrice et M. C... ne conteste pas sérieusement le constat ainsi effectué par la formatrice.

27. En troisième lieu, la présidente de la commission de discipline a retenu non seulement les propos tenus le 20 mai mais également le contexte de perturbation de la formation par l'attitude de M. C....

28. Dans les circonstances de l'espèce, l'administration n'a pas inexactement qualifié les propos de M. C... en les assimilant à des insultes ou à des outrages.

En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction :

29. Aux termes de l'article R. 57-7-34 du code de procédure pénale dans sa version en vigueur : " Lorsque la personne détenue est majeure, les sanctions disciplinaires suivantes peuvent également être prononcées : / 1° La suspension de la décision de classement dans un emploi ou une formation pour une durée maximum de huit jours lorsque la faute disciplinaire a été commise au cours ou à l'occasion de l'activité considérée ; / 2° Le déclassement d'un emploi ou d'une formation lorsque la faute disciplinaire a été commise au cours ou à l'occasion de l'activité considérée ; (...) "

30. Ainsi qu'il a été dit, M. C... a perturbé le déroulement de la formation tant par son comportement général qu'en tenant, le 20 mai 2019, des propos insultants ou outrageants à l'égard de la formatrice, en sa présence et celle d'autres détenus. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la sanction du déclassement de la formation qu'il suivait infligée à M. C... n'apparaît pas disproportionnée par rapport aux faits fautifs qui lui sont reprochés.

31. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées à la demande de première instance par le garde des sceaux, ministre de la justice, que les conclusions de M. C... à fin d'annulation de la sanction du 24 juillet 2019 doivent être rejetées.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

32. L'Etat n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Par suite, la demande de M. C... tendant à la condamnation de l'Etat, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, à lui verser une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens doit être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1907061 du 10 décembre 2021 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : Les demandes de M. C... devant le tribunal administratif de Lille et devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, à M. A... C... et à l'association d'avocats à responsabilité professionnelle Thémis.

Délibéré après l'audience publique du 8 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 janvier 2023.

Le rapporteur,

Signé:

D. PerrinLe président de chambre,

Signé:

M. B...

La greffière,

Signé:

C. Sire

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière en chef,

Par délégation, la greffière

Christine Sire

2

N°22DA00265


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00265
Date de la décision : 04/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : AARPI THEMIS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-01-04;22da00265 ?
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