Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 13 décembre 2021 et un mémoire enregistré le 13 juin 2022, la société Ferme éolienne de Noyales, représentée par Me Sarah Beau, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 12 août 2021 par lequel le préfet de l'Aisne a autorisé la société Ferme éolienne de la région de Guise à construire et exploiter un parc éolien composé de sept aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes d'Aisonville-et-Bernoville et de Noyales ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a intérêt pour agir contre l'arrêté attaqué ;
- l'arrêté attaqué méconnaît la directive n°2011/92/UE du 31 décembre 2011 dès lors que l'avis de l'autorité environnementale est irrégulier ;
- il méconnaît l'article D. 181-15-2 du code de l'environnement dès lors que le dossier de demande ne comporte pas d'élément précis sur les capacités financières de la pétitionnaire ;
- il méconnaît l'article R. 122-5 du même code dès lors que le dossier de demande ne comporte pas d'analyse suffisante des effets cumulés du projet avec les parcs éoliens existants ou approuvés ;
- il méconnaît l'article L. 511-1 du même code dès lors que le projet porte une atteinte excessive au paysages, à la commodité du voisinage et au patrimoine environnant ;
- il méconnaît l'article R. 515-101 du même code dès lors qu'il limite la garantie financière à 50 000 euros par aérogénérateur.
Par des mémoires en défense enregistrés le 28 février 2022 et le 14 novembre 2022, la société Ferme éolienne de la région de Guise, représentée par Me Antoine Guiheux, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Ferme éolienne de Noyales de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requérante n'a pas intérêt pour agir ;
- à titre subsidiaire, les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés ;
- à titre infiniment subsidiaire, il sera sursis à statuer pour permettre la régularisation des vices qui seraient relevés.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 août 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requérante n'a pas intérêt pour agir ;
- les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, il sera sursis à statuer pour permettre la régularisation des vices qui seraient relevés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n°2014-355 du 20 mars 2014 ;
- l'ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Manon Boenec, représentant le société Ferme éolienne de la région de Guise.
Considérant ce qui suit :
1. La société Ferme éolienne de la région de Guise a sollicité le 28 décembre 2016 une autorisation unique, sur le fondement de l'ordonnance du 20 mars 2014 visée ci-dessus, pour exploiter un parc éolien composé de neuf aérogénérateurs et d'un poste de livraison sur le territoire des communes d'Aisonville-et-Bernoville et de Noyales. Par un arrêté du 12 août 2021, le préfet de l'Aisne n'a autorisé cette société qu'à construire et exploiter sept aérogénérateurs et un poste de livraison. La société Ferme éolienne de Noyales, qui exploite un parc éolien à proximité du projet autorisé, demande l'annulation de cet arrêté.
Sur le cadre juridique du litige :
2. En application des 1° et 2° combinés de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017, si les autorisations uniques sollicitées avant le 1er mars 2017 sur le fondement de l'ordonnance du 12 juin 2014 visée ci-dessus ont été instruites et délivrées dans les conditions prévues par cette dernière ordonnance, elles sont considérées, après leur délivrance, comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 26 janvier 2017 visée ci-dessus.
3. En l'espèce, l'autorisation unique sollicitée le 28 décembre 2016 par la société Ferme éolienne de la région de Guise doit être considérée, depuis sa délivrance le 12 août 2021, comme une autorisation environnementale.
Sur l'intérêt pour agir :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier ". Aux termes de l'article L. 181-12 du même code : " L'autorisation environnementale fixe les prescriptions nécessaires au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4. (...) ". Aux termes de l'article R. 181-50 de ce code : " Les décisions mentionnées aux articles L. 181-12 à L. 181-15-1 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / (...) / 2° Par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3 (...) ".
5. D'autre part, les intérêts mentionnés au I de l'article L. 181-3 du même code sont, par renvoi à l'article L. 511-1 du même code, " la commodité du voisinage ", " la santé, la sécurité, la salubrité publiques ", " l'agriculture ", " la protection de la nature, de l'environnement et des paysages ", " l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers ", " l'utilisation rationnelle de l'énergie ", " la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ".
6. Il résulte de ces dispositions qu'un établissement commercial ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge administratif une autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement délivrée à une entreprise, fût-elle concurrente, que dans les cas où les inconvénients ou les dangers que le fonctionnement de l'installation classée présente pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d'exploitation de cet établissement commercial.
7. Il appartient à ce titre au juge administratif de vérifier si l'établissement justifie d'un intérêt suffisamment direct lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'autorisation en cause, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour lui l'installation classée, appréciés notamment en fonction de ses conditions de fonctionnement, de la situation des personnes qui le fréquentent ainsi que de la configuration des lieux.
8. Il résulte de l'instruction que le projet autorisé par l'arrêté attaqué sera implanté sur le territoire des communes d'Aisonville-et-Bernoville et de Noyales, à l'ouest et au nord-ouest de quatre aérogénérateurs exploités par la société Ferme éolienne de Noyales, qui sont alignés de manière rectiligne selon un axe sud-ouest / nord-est. Trois des sept aérogénérateurs du projet seront implantés, à l'ouest, à plus d'un kilomètre du parc éolien de la requérante, tandis que les quatre autres aérogénérateurs du projet seront construits, au nord-ouest, à moins d'un kilomètre de ce parc, au plus proche à une distance de 442 mètres.
9. La requérante soutient qu'en raison de leur proximité, les aérogénérateurs du projet causeront une " perte de sillage " affectant l'exploitation de son parc. Il résulte toutefois de l'instruction, et notamment de l'étude réalisée par la société Natural Power, que les pertes de sillage directement imputables au projet ne représenteront que 2,1 % de la production d'énergie brute du parc exploité par la requérante et n'entraîneront ainsi qu'une perte de production de 0,515 gigawattheure par an, alors que la production annuelle de ce parc s'élève à 24,6 gigawattheures par an. Compte tenu de ce très faible impact, le projet ne saurait être regardé comme susceptible d'affecter les conditions d'exploitation du parc exploité par la société Ferme éolienne de Noyales. Cette dernière ne justifie dès lors pas d'un intérêt pour agir suffisant.
10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 12 août 2021 doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par la société Ferme éolienne de Noyales et non compris dans les dépens.
12. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Ferme éolienne de Noyales le versement d'une somme de 2 000 euros à la société Ferme éolienne de la région de Guise au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Ferme éolienne de Noyales est rejetée.
Article 2 : La société Ferme éolienne de Noyales versera une somme de 2 000 euros à la société Ferme éolienne de la région de Guise en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme éolienne de Noyales, à la société Ferme éolienne de la région de Guise et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Aisne.
Délibéré après l'audience publique du 24 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,
- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.
.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2022.
Le rapporteur,
Signé:
S. Eustache
Le président de la 1ère chambre,
Signé:
M. A...
La greffière,
Signé:
C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N°21DA02842 2