Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Uranie International a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge en droits et pénalités, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010, d'autre part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er juillet 2007 au 31 mai 2011, enfin, du rappel de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2010.
Par un jugement n° 1701552 du 29 décembre 2017, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.
Procédure initialement suivie devant la Cour :
Par une requête n° 18DA00488 et un mémoire, enregistrés le 6 mars 2018 et le 18 octobre 2018, la SAS Uranie International, représentée par Me Philippe Lelievre, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la réduction, en droits et pénalités, des impositions en litige à concurrence d'une somme totale de 305 793 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été privée d'un débat oral et contradictoire sur les informations recueillies par l'administration dans le cadre de l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, alors que certaines des pièces comptables que le service vérificateur a consultées à cette occasion ont été utilisées par lui pour procéder aux rectifications contestées ;
- la communication, qui lui a été faite avant la mise en recouvrement des impositions en litige mais après le terme de la vérification de comptabilité, des documents ainsi recueillis n'est pas de nature à purger ce vice qui entache la régularité de la procédure à l'issue de laquelle ces impositions ont été établies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 septembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les pièces comptables figurant parmi les éléments saisis par l'autorité judiciaire et que le service vérificateur a consultés n'ont pas été utilisées pour établir les impositions en litige ;
- les documents utilisés n'ont pas la nature de pièces comptables de l'entreprise vérifiée et ont d'ailleurs été communiqués à cette dernière avant la mise en recouvrement des impositions en litige ;
- l'administration n'était pas tenue de soumettre les factures établies par des fournisseurs de l'entreprise vérifiée à un débat oral et contradictoire avec cette dernière.
Par un arrêt n° 18DA00488 du 18 juin 2020, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête de la SAS Uranie International.
Par une décision n° 442599 du 22 avril 2022, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 18 juin 2020 et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Douai.
Nouvelle procédure devant la cour après renvoi :
Par une lettre du 26 avril 2022, les parties ont été informées de la reprise d'instance après cassation sous le n°22DA00883.
Par un mémoire, non communiqué, enregistré le 22 juin 2022, la SAS Uranie International, représentée par Me Philippe Lelievre, conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.
Par un mémoire en défense, non communiqué, enregistré le 24 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen de l'appelant est inopérant pour les impositions notifiées pour la période du 1er juillet 2007 au 30 juin 2008 dès lors que l'administration n'a pas fait référence aux éléments issus de la procédure judiciaire pour motiver les rehaussements au titre des frais de réception ;
- pour la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2010, le service a fondé les rehaussements sur l'incapacité de la société à justifier que les dépenses avaient été engagées dans l'intérêt de l'exploitation et les déclarations recueillies par les autorités judiciaires n'ont été citées que pour conforter le fait que les dépenses n'avaient pas été engagées dans l'intérêt de l'exploitation.
Par une ordonnance du 2 juin 2022, l'instruction a été clôturée le 30 juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Sauveplane, président-assesseur,
- les conclusions de M. Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Philippe Lelievre, représentant la SAS Uranie International.
Une note en délibéré présentée par la SAS Uranie International a été enregistrée le 15 novembre 2022.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet et l'étendue du litige :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Uranie International exerce, tant directement que par l'intermédiaire de sociétés filiales, une activité industrielle d'écroutage, de rectification et de chromage de barres d'acier, ainsi qu'une activité d'alésage et de galetage de tubes et de négoce de ces produits. Elle a été placée, par un jugement du 8 janvier 2014 du tribunal de commerce de Compiègne, en procédure de sauvegarde. Elle a fait l'objet, du 14 septembre 2011 au 13 juin 2012, d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er juillet 2007 au 30 juin 2010, étendue au 31 mai 2011 en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée.
2. Par une première proposition de rectification adressée le 22 décembre 2011, l'administration a porté à la connaissance de la société Uranie International les rectifications auxquelles elle envisageait de procéder, en matière de taxe sur la valeur ajoutée sur la période du 1er juillet 2007 au 30 juin 2008, et en matière d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2007 et 2008. Par une seconde proposition de rectification, adressée le 26 juillet 2012, le service a porté à la connaissance de la société les autres rectifications qu'il se proposait d'appliquer aux bases imposables en matière de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er juillet 2008 au 31 mai 2011, et en matière d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2009 et 2010. La société Uranie International a présenté des observations, qui ont été partiellement admises. Elle a alors formé un recours hiérarchique, puis a demandé que le différend l'opposant au service soit porté devant l'interlocuteur fiscal départemental, devant la commission nationale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires puis devant l'interlocuteur fiscal interrégional. Une partie des rectifications ayant été abandonnée à l'issue de ces démarches, les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales ainsi que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et les suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises correspondants ont été mis en recouvrement le 18 décembre 2014, pour les montants respectifs de 444 070 euros, 126 829 euros et 1 764 euros en droits et pénalités.
3. Sa réclamation ayant été rejetée, la société Uranie International a porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens. Elle relève appel du jugement du 29 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la décharge en droits et pénalités, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010, d'autre part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er juillet 2007 au 31 mai 2011, enfin, du rappel de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2010.
4. Dans le dernier état de ses écritures d'appel, la société Uranie International demande une décharge partielle, à concurrence de la somme totale de 305 793 euros en droits et pénalités, des impositions en litige se rapportant aux rectifications en matière d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée sur les dépenses de réception ayant résulté de la proposition de rectification du 26 juillet 2012. Dès lors, elle doit être regardée comme limitant ses conclusions d'appel au rappel de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2010 et aux cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés des exercices 2009 et 2010. Toutefois, l'administration fait valoir que la majoration de 40 % appliquée au rappel de taxe sur la valeur ajoutée a été mise en recouvrement pour une somme de 30 016 euros et non de 32 031 euros, de sorte que le litige se limite à la somme de 303 778 euros en droits et pénalités.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
5. D'une part, l'article L. 101 du livre des procédures fiscales impose à l'autorité judiciaire de communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu.
6. D'autre part, en vertu de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, dans le cadre d'une vérification de comptabilité, les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par ce livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. L'article R. 13-1 de ce livre précise que les vérifications de comptabilité comportent notamment la comparaison des déclarations souscrites par les contribuables avec les écritures comptables et avec les registres et documents de toute nature, notamment ceux dont la tenue est prévue par le code général des impôts et par le code de commerce, et qu'elles impliquent aussi l'examen de la régularité, de la sincérité et du caractère probant de la comptabilité à l'aide, particulièrement, des renseignements recueillis à l'occasion de l'exercice du droit de communication, et de contrôles matériels.
7. Eu égard aux garanties dont le livre des procédures fiscales entoure la mise en œuvre d'une vérification de comptabilité, l'administration est tenue, lorsque, faisant usage de son droit de communication, elle consulte, au cours d'une vérification, des pièces comptables saisies et détenues par l'autorité judiciaire, de soumettre l'examen de ces pièces à un débat oral et contradictoire avec le contribuable. A défaut, les impositions résultant de l'examen de ces pièces sont entachées d'irrégularité. Il n'en va cependant pas de même lorsque l'administration consulte des pièces détenues par l'autorité judiciaire qui ne présentent pas le caractère de pièces comptables de l'entreprise vérifiée, ou qu'elle n'utilise pas ces pièces pour fonder les rectifications contestées.
8. Il résulte des mentions de la proposition de rectification du 26 juillet 2012 que l'administration a refusé la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux dépenses de réception facturée par l'établissement " Hostellerie du Royallieu " aux motifs, d'une part, que les comptes de charges 6257 " réception " et 6185 " colloques, séminaires " de la société Uranie mentionnaient d'importantes dépenses sans faire état " d'aucune précision concernant les clients ou fournisseurs invités ", que " par une demande écrite du 12 janvier 2012 renouvelée oralement et par courrier adressé le 9 février 2012 " la société Uranie avait été " invitée à communiquer les références des personnes ayant participé aux prestations de restaurants-séminaires et à justifier de l'intérêt professionnel de ces dépenses " et qu'une partie de ces dépenses n'avait " donné lieu jusqu'à présent à aucune explication ", d'autre part, que l'exercice du droit de communication auprès de l'autorité judiciaire avait permis de consulter les procès-verbaux de l'audition, les 6 et 7 octobre 2010, du gérant de la SARL Hostellerie du Royallieu et que celui-ci avait alors reconnu que cette société avait émis, pour " combler [son] déficit ", des " fausses factures " établies au nom de la société Uranie qui avaient été " placées sous scellés ".
9. L'administration a tiré de ces faits la conclusion que les dépenses de réception n'ayant " donné lieu jusqu'à présent à aucune explication " correspondaient à des dépenses dont " la fréquence associée à la quantité de personnes conviées ainsi qu'à la variation des tarifs de location de salle " rendaient " impossible la réalité des prestations facturées ou leur engagement dans l'intérêt de l'entreprise " de sorte que, d'une part, ces dépenses devaient être regardées comme utilisées par l'assujetti à plus de 90 % à des fins étrangères à son entreprise, d'autre part, la taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces dépenses n'était pas déductible sur le fondement de 1° du 2 du IV de l'article 206 de l'annexe II au code général des impôts. L'administration a également renvoyé, dans la proposition de rectification, à ces mêmes motifs tirés de l'absence de réalité des prestations et de l'absence d'intérêt pour la SAS Uranie International pour refuser la déduction de la base de l'impôt sur les sociétés des dépenses de réception facturées par l'hostellerie du Royallieu.
10. Les factures émises par les fournisseurs d'une société et comptabilisées par elle constituent, pour cette dernière, des pièces comptables au sens de la règle énoncée au point 6 ci-dessus. Par suite, les factures émises par la SARL Hostellerie du Royallieu et comptabilisées par la SAS Uranie International avaient la nature de pièces comptables de l'entreprise vérifiée.
11. D'une part, il résulte de l'instruction, et en particulier de la motivation de la proposition de rectification, que l'administration, pour fonder les rectifications en litige, a nécessairement soumis préalablement au débat oral et contradictoire les factures émises par la SARL Hostellerie du Royallieu et comptabilisées par la SAS Uranie International, puisqu'elle a demandé à cette dernière, au cours du débat oral et contradictoire, de justifier de la déductibilité de ces charges, après avoir constaté que le nombre de convives, le nombre des prestations et la variation inexpliquée des tarifs rendaient impossible la réalité des prestations facturées ou leur engagement dans l'intérêt de l'entreprise.
12. D'autre part, si l'administration a appuyé son raisonnement, à titre subsidiaire, par un extrait des procès-verbaux d'audition issus de la procédure judiciaire faisant ressortir que la SARL Hostellerie du Royallieu avait établi de fausses factures, ces procès-verbaux n'avaient toutefois pas eux-mêmes la qualité de pièces comptables et n'avaient donc pas à être soumis au débat oral et contradictoire.
13. Dans ces conditions, si l'administration était tenue de soumettre les factures de la SARL Hostellerie du Royallieu à un débat oral et contradictoire, elle l'a effectivement fait en demandant à la SAS Uranie International, au cours de la vérification de comptabilité, de justifier du caractère déductible de ses charges. Par suite, l'unique moyen de la requête manque en fait et doit donc être écarté.
14. Il résulte de ce qui précède que la SAS Uranie International n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions aux fins de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférents à la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2010 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2009 et 2010.
15. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions de la SAS Uranie International présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Uranie International est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Uranie International et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience publique du 10 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,
- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2022.
Le président-rapporteur,
Signé : M. SauveplaneLe président de chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N°22DA00883 2