La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/11/2022 | FRANCE | N°21DA02165

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 24 novembre 2022, 21DA02165


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Prairie de Choigny a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 266 105 euros, augmentée des intérêts de retard et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis en raison de carences de l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police des installations classées pour la protection de l'environnement.

Par un jugement n° 1903136 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etat

verser à la SCI Prairie de Choigny une somme de 10 000 euros, augmentée des inté...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Prairie de Choigny a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 266 105 euros, augmentée des intérêts de retard et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis en raison de carences de l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police des installations classées pour la protection de l'environnement.

Par un jugement n° 1903136 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etat à verser à la SCI Prairie de Choigny une somme de 10 000 euros, augmentée des intérêts de retard au taux légal à compter du 18 juillet 2019 et de leur capitalisation à compter du 18 juillet 2020.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 septembre 2021 et des mémoires enregistrés le 1er octobre 2022 et le 10 octobre 2022, la SCI Prairie de Choigny, représentée par Me Jean-Nicolas Clément, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a seulement condamné l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 3 410 909, 49 euros, augmentée des intérêts de retard et de leur capitalisation ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'Etat de procéder à la remise en état du site lui appartenant situé avenue de l'Europe à Nogent-sur-Oise et de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 1 710 909, 49 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'Etat a commis une faute en s'abstenant de faire usage de ses pouvoirs de police spéciale des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- l'indisponibilité de ses terrains lui a causé un préjudice de 1 263 924 euros et a mis à sa charge une somme de 387 211 euros correspondant au montant des taxes foncières ;

- le coût des travaux de remise en état des bureaux s'élève à 400 000 euros et celui des travaux de dépollution du site à 1 300 000 euros ;

- les frais d'avocat exposés s'élèvent à la somme de 19 774, 49 euros et son préjudice moral à 40 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 juillet 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut :

1°) à titre incident, à l'annulation du jugement du 8 juillet 2021 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la SCI Prairie de Choigny une indemnité de 10 000 euros ;

2°) au rejet de l'ensemble des demandes indemnitaires de cette société.

Il soutient que :

- aucune carence fautive ne saurait être imputée aux services de l'Etat dans l'exercice des pouvoirs de police spéciale des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- l'appelante ne démontre pas le caractère direct et certain des préjudices qu'elle invoque.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Laure Dufour, représentant la société civile immobilière Prairie de Choigny.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Prairie de Choigny, propriétaire de terrains situés avenue de l'Europe à Nogent-sur-Oise, sur lesquels la société Lorge et compagnie a exploité de 1987 à 2012 une activité de stockage de déchets, a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 3 266 105 euros en réparation des préjudices ayant résulté de carences de l'Etat dans l'exercice de ses pouvoirs de police des installations classées pour la protection de l'environnement. Par un jugement du 8 juillet 2021, le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à la SCI Prairie de Choigny une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral. Cette société relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté une partie de ses conclusions et demande que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 3 410 909,49 euros. A titre incident, l'Etat interjette appel de ce jugement en tant qu'il a partiellement accueilli les conclusions indemnitaires de cette société.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le cadre juridique du litige :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 512-6-1 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsqu'une installation autorisée avant le 1er février 2004 est mise à l'arrêt définitif, son exploitant place son site dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et qu'il permette un usage futur du site déterminé conjointement avec le maire (...) et, s'il ne s'agit pas de l'exploitant, le propriétaire du terrain sur lequel est sise l'installation. / A défaut d'accord entre les personnes mentionnées au premier alinéa, lorsque l'installation est mise à l'arrêt définitif, son exploitant place son site dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et qu'il permette un usage futur du site comparable à celui de la dernière période d'exploitation de l'installation mise à l'arrêt. / Toutefois, dans le cas où la réhabilitation prévue en application de l'alinéa précédent est manifestement incompatible avec l'usage futur de la zone, apprécié notamment en fonction des documents d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle l'exploitant fait connaître à l'administration sa décision de mettre l'installation à l'arrêt définitif et de l'utilisation des terrains situés au voisinage du site, le préfet peut fixer, après avis des personnes mentionnées au premier alinéa, des prescriptions de réhabilitation plus contraignantes permettant un usage du site cohérent avec ces documents d'urbanisme (...) ".

3. D'autre part, aux termes du I de l'article L. 553-6 du même code dans sa rédaction applicable au présent litige " En cas de pollution des sols ou de risques de pollution des sols présentant des risques pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques et l'environnement au regard de l'usage pris en compte, l'autorité titulaire du pouvoir de police peut, après mise en demeure, assurer d'office l'exécution des travaux nécessaires aux frais du responsable. L'exécution des travaux ordonnés d'office peut être confiée par le ministre chargé de l'environnement et par le ministre chargé de l'urbanisme à un établissement public foncier ou, en l'absence d'un tel établissement, à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. L'autorité titulaire du pouvoir de police peut également obliger le responsable à consigner entre les mains d'un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser, laquelle sera restituée au fur et à mesure de l'exécution des travaux. Les sommes consignées peuvent, le cas échéant, être utilisées pour régler les dépenses entraînées par l'exécution d'office. (...) ".

4. Enfin, aux termes de l'article R. 512-39-1 de ce code dans sa rédaction applicable au présent litige : " I.- Lorsqu'une installation classée soumise à autorisation est mise à l'arrêt définitif, l'exploitant notifie au préfet la date de cet arrêt trois mois au moins avant celui-ci. / II.- La notification prévue au I indique les mesures prises ou prévues pour assurer, dès l'arrêt de l'exploitation, la mise en sécurité du site. (...) / III.- En outre, l'exploitant doit placer le site de l'installation dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et qu'il permette un usage futur du site déterminé selon les dispositions des articles R. 512-39-2 et R. 512-39-3 ".

5. Aux termes du II de l'article R. 512-39-2 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable au présent litige : " Au moment de la notification prévue au I de l'article R. 512-39-1, l'exploitant transmet au maire ou au président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme et au propriétaire du terrain d'assiette de l'installation les plans du site et les études et rapports communiqués à l'administration sur la situation environnementale et sur les usages successifs du site ainsi que ses propositions sur le type d'usage futur du site qu'il envisage de considérer. Il transmet dans le même temps au préfet une copie de ses propositions. /En l'absence d'observations des personnes consultées dans un délai de trois mois à compter de la réception des propositions de l'exploitant, leur avis est réputé favorable. / L'exploitant informe le préfet et les personnes consultées d'un accord ou d'un désaccord sur le ou les types d'usage futur du site ".

6. Aux termes des III à V du même article : " III. - A défaut d'accord entre les personnes mentionnées au II et après expiration des délais prévus au IV et au V, l'usage retenu est un usage comparable à celui de la dernière période d'exploitation de l'installation mise à l'arrêt. / IV. - Dans les cas prévus au troisième alinéa de l'article L. 512-6-1, le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale peuvent transmettre au préfet, à l'exploitant et au propriétaire du terrain, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du désaccord mentionnée au troisième alinéa du II, un mémoire sur une éventuelle incompatibilité manifeste de l'usage prévu au III avec l'usage futur de la zone tel qu'il résulte des documents d'urbanisme. Le mémoire comprend également une ou plusieurs propositions de types d'usage pour le site. / V. - Dans un délai de deux mois après réception du mémoire, ou de sa propre initiative dans un délai de deux mois à compter de la notification du désaccord prévue au troisième alinéa du II, et après avoir sollicité l'avis de l'exploitant et du propriétaire des terrains, le préfet se prononce sur l'éventuelle incompatibilité manifeste appréciée selon les critères mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 512-6-1. Il fixe le ou les types d'usage qui devront être pris en compte par l'exploitant pour déterminer les mesures de remise en état ".

7. Aux termes du I de l'article R. 512-39-4 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " A tout moment, même après la remise en état du site, le préfet peut imposer à l'exploitant, par arrêté pris dans les formes prévues à l'article R. 181-45, les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. En cas de modification ultérieure de l'usage du site, l'exploitant ne peut se voir imposer de mesures complémentaires induites par ce nouvel usage sauf s'il est lui-même à l'initiative de ce changement d'usage ".

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

8. Il résulte de l'instruction que le préfet de l'Oise, par un arrêté du 27 novembre 1987 modifié le 1er août 2011, a autorisé la société Lorge et compagnie à exploiter, sur des terrains d'une superficie de 2,2 hectares situés avenue de l'Europe à Nogent-sur-Oise, d'une part, une activité de " dépôt de composants, d'appareils et de matériels imprégnés usagés ou de produits neufs ou usagés " contenant des " polychlorobiphényles et des polychloroterphényles " relevant de la rubrique n° 1180-2a de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement et, d'autre part, une activité de " transit, regroupement, tri ou préparatoire en vue de la réutilisation de métaux ou de déchets non dangereux " relevant de la rubrique n° 2713 de la même nomenclature.

S'agissant du suivi par l'Etat des risques sanitaires :

Quant à la période de 2011 à 2013 :

9. Il résulte de l'instruction qu'après l'identification en mars 2011 de polychlorobiphényles dans le réseau de collecte des eaux pluviales du site, le préfet de l'Oise a demandé à la société Lorge et compagnie, par un arrêté du 24 mars 2011, un renforcement du suivi de l'exploitation et la réalisation d'un diagnostic de l'état des sols. Au vu d'un premier diagnostic réalisé par la société Axe en juin et septembre 2011, le préfet de l'Oise a demandé à la société Lorge et compagnie, par un arrêté du 24 avril 2012, la réalisation d'un diagnostic approfondi ainsi que la réalisation d'un plan de gestion des risques de pollution et une étude d'interprétation de l'état des milieux. La société Axe a réalisé ce diagnostic en juillet 2012 et a remis ce plan et cette étude le 22 octobre 2012 à la société Lorge et compagnie. Cette dernière, qui a été placée en liquidation judiciaire le 18 juillet 2012, a cessé l'exploitation du site à cette même date et a résilié le 9 octobre 2012 le bail commercial conclu avec la SCI Prairie de Choigny.

10. A la demande de l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement, la société Axe a réalisé des études complémentaires dont les résultats ont été remis le 9 septembre 2013 au liquidateur judiciaire de la société Lorge et compagnie. Ces études ont permis de révéler des risques sanitaires graves pour les travailleurs sur site et pour les riverains, en particulier les habitants du lotissement situé au sud des terrains en cause, tout en proposant des mesures de réhabilitation permettant de maintenir un usage industriel du site.

11. Contrairement à ce que soutient l'appelante, alors que la société Lorge et compagnie avait cessé toute activité présentant des risques de pollution dès juillet 2012 et alors que des mesures de mise en sécurité du site avaient été mises en œuvre par le liquidateur judiciaire dès septembre 2012, il résulte de l'instruction que les services de l'Etat n'étaient pas suffisamment éclairés pour prescrire, y compris en urgence, d'autres mesures de protection du site et de ses abords, avant, au plus tôt, la remise de l'étude complémentaire réalisée par la société Axe, mentionnée au point précédent.

Quant à la période de 2013 à 2016 :

12. Alors que les études réalisées par la société Axe avaient relevé l'existence de " risques sanitaires majeurs " et alors que les lacunes et erreurs méthodologiques entachant ces études n'étaient pas de nature à remettre en cause leurs principales conclusions, il résulte de l'instruction que les services de l'Etat se sont abstenus de prendre dans un délai raisonnable de premières mesures d'urgence, en particulier pour faire cesser la pollution des eaux de ruissellement et protéger ainsi les populations fréquentant les espaces publics et les jardins privés situés au sud du site, même après avoir reçu un courrier du 2 février 2015 de la SCI Prairie de Choigny leur signalant l'absence de mesures de prévention et de dépollution prises par le liquidateur de la société Lorge et compagnie.

13. Dans les circonstances de l'espèce, compte tenu des informations dont disposaient alors les services de l'Etat et de la gravité des risques encourus, cette abstention dans l'usage des pouvoirs de police prévus au livre V du code de l'environnement, et notamment par les dispositions précitées de l'article R. 512-39-4 de ce code, doit être regardée comme constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

Quant à la période de 2016 à 2019 :

14. Il résulte de l'instruction que la société Ineris, chargée d'effectuer une contre-expertise, a établi un premier rapport le 25 avril 2014 et un second le 21 décembre 2016. Ces rapports ont précisé la localisation des pollutions dans le site et son environnement immédiat, en particulier dans les jardins du lotissement proche et le fossé de collecte des eaux pluviales, tout en proposant des mesures de prévention et de réhabilitation du site.

15. En dépit de la gravité des risques ainsi identifiés, en particulier sanitaires, que ces rapports confirmaient, les services de l'Etat n'ont pas édicté, dans un délai raisonnable après la remise en mai 2017 de ces nouvelles études, de mesures, y compris d'urgence, au titre de leurs pouvoirs de police des installations classées pour la protection de l'environnement. Il s'ensuit que la carence fautive relevée aux points 12 et 13 s'est alors poursuivie.

Quant à la période de 2019 à mai 2021 :

16. Il résulte de l'instruction que le préfet de l'Oise a enjoint au liquidateur de la société Lorge et compagnie, par un courrier du 29 mars 2019, de lui remettre dans un délai de six mois un plan de gestion des pollutions et les justificatifs de mise en sécurité du site, alors que la procédure de liquidation judiciaire de cette société avait été close le 13 mars 2019 pour insuffisance d'actifs. Toutefois, alors qu'aucune mesure préventive n'avait été prise et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les risques précédemment identifiés seraient devenus moindres, les services de l'Etat n'ont sollicité que le 10 mai 2021 le préfet de la région des Hauts-de-France afin que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) assure les travaux de dépollution du site. Dans ces conditions, la carence fautive des services de l'Etat, relevée aux points 12 à 15, s'est poursuivie jusqu'au 10 mai 2021.

Quant à la période courant à partir de mai 2021 :

17. Contrairement à ce que soutient l'appelante, il ne résulte pas de l'instruction qu'à partir de mai 2021, une inaction fautive soit imputable aux services de l'Etat. A ce titre, par un courrier du 13 juillet 2021, le préfet de la région des Hauts-de-France a répondu favorablement à la réalisation par l'ADEME des travaux nécessaires à la dépollution du site, sous réserve que soient préalablement effectuées des investigations actualisées, dont le caractère nécessaire n'est pas sérieusement contesté compte tenu du délai écoulé depuis les dernières études réalisées par la société Ineris.

S'agissant du suivi de la procédure de cessation d'activité :

18. Il résulte de l'instruction que le liquidateur judiciaire de la société Lorge et compagnie a notifié le 3 octobre 2012 aux services de l'Etat, en application des dispositions précitées de l'article R. 512-39-1 du code de l'environnement, la mise à l'arrêt définitif de ses activités à compter du 18 juillet 2012. Par ailleurs, en application des dispositions précitées de l'article R. 512-39-2 du même code, le liquidateur judiciaire a proposé le maintien d'un usage industriel du site par des courriers du 10 décembre 2012 adressés au maire de Nogent-sur-Oise et à la SCI Prairie de Choigny, en sa qualité de propriétaire du site.

19. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'en réponse à ce courrier, le maire de Nogent-sur-Oise s'est borné à indiquer, par un courrier du 8 février 2013, que " le plan d'occupation des sols de la ville de Nogent-sur-Oise fait actuellement [l'objet] d'une procédure de révision et de transformation en plan local d'urbanisme. Le changement d'usage de ce site sera possible lorsque cette procédure sera terminée dans le courant du 2ème semestre de l'année 2013. A l'occasion des travaux préparatoires du futur document d'urbanisme, des orientations d'aménagement et de programmation ont été définies afin d'accompagner la reconversion du site ". Contrairement à ce que soutient l'appelante, si le maire de Nogent-sur-Oise a ainsi envisagé la possibilité d'un changement d'usage du site, en précisant que ce changement dépendrait de l'issue de la procédure de révision du document d'urbanisme existant, il ne saurait être regardé comme ayant exprimé, par ce courrier du 8 février 2013, un avis défavorable au maintien, en l'état, d'un usage industriel du site.

20. Il est par ailleurs constant que la SCI Prairie de Choigny n'a pas émis d'observations en réponse au courrier du 10 décembre 2012 mentionné au point 18 et qu'elle devait être ainsi réputée, conformément à l'article R. 512-39-2 du code de l'environnement, avoir émis un avis favorable, à l'expiration du délai de trois mois prévu par cet article, sur le maintien d'un usage industriel du site.

21. En second lieu, si le maire de Nogent-sur-Oise a envisagé, dans son courrier du 8 février 2013, l'éventualité d'une reconversion du site en zone d'habitation et si le plan local d'urbanisme approuvé en 2013 a effectivement reclassé le site en zone urbaine pavillonnaire, il ne résulte pas de l'instruction que la SCI Prairie de Choigny, qui a notamment pris l'attache en décembre 2019 d'un promoteur immobilier en vue de construire des logements individuels et collectifs sur le site, ait été défavorable à une telle reconversion.

22. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de désaccord exprimé entre le maire de Nogent-sur-Oise et la SCI Prairie de Choigny, en sa qualité de propriétaire du site, les services de l'Etat n'étaient pas tenus de faire usage des pouvoirs de police prévus au troisième alinéa de l'article L. 512-6-1 du code de l'environnement et aux III à V de l'article R. 512-39-2 du même code. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à invoquer l'existence d'une carence fautive des services de l'Etat pour s'être abstenus de faire usage de ces pouvoirs de police mentionnés ci-dessus.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant des frais de remise en état des immeubles :

23. L'appelante demande le versement d'une indemnité de 400 000 euros en réparation des dégradations causées par des actes de vandalisme aux immeubles implantés sur le site. Alors que le liquidateur judiciaire de la société Lorge et compagnie avait pris des mesures de mise en sécurité du site dès septembre 2012 et alors qu'il appartenait à la SCI Prairie de Choigny, en tant que propriétaire du site, d'assurer la sécurité des lieux après la départ de sa locataire, il ne résulte pas de l'instruction que ces dégradations aient été susceptibles d'entraîner ou d'aggraver des risques de pollution justifiant l'édiction de mesure de protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. L'appelante ne justifie pas ainsi du caractère direct du préjudice ainsi invoqué.

S'agissant des frais de dépollution du site :

24. D'une part, si l'appelante demande le versement d'une indemnité de 1 300 000 euros en réparation des frais de dépollution du site, il résulte de l'instruction que la pollution du site est imputable non pas à une faute commise par les services de l'Etat mais à l'activité de l'ancienne exploitante du site. D'autre part et en tout état de cause, il résulte de l'instruction qu'en raison de la clôture, le 13 mars 2019, de la procédure de liquidation de la société Lorge et compagnie pour insuffisance d'actifs, le préfet de la région Hauts-de-France a pris l'engagement, par un courrier du 13 juillet 2021, de faire réaliser et financer par l'ADEME la dépollution du site. Dans ces conditions, l'appelante ne justifie pas du caractère direct du préjudice qu'elle invoque.

S'agissant des préjudices nés de l'indisponibilité du site :

25. L'appelante demande le versement d'une indemnité de 1 263 924 euros en réparation de l'indisponibilité de ses terrains et de l'impossibilité de les louer ou vendre, ainsi que d'une indemnité de 387 211 euros à raison du paiement de taxes foncières. Toutefois, l'appelante n'a produit aucun élément précis et circonstancié sur ses projets d'utilisation de ses terrains et elle n'a pas davantage produit une proposition ferme de location ou d'achat. A ce titre, si elle se prévaut d'un courrier daté du 2 novembre 2019 reçu d'un promoteur immobilier " spécialisé dans la conception et la réalisation d'opérations de logements individuels et petits collectifs ", ce courrier s'est borné à formuler une première déclaration d'intérêt pour les parcelles en cause et à solliciter un entretien, sans faire état d'un engagement quelconque, ni d'un projet précis de construction. Par suite, l'appelante ne justifie pas de la réalité du préjudice allégué.

S'agissant des frais de conseil :

26. L'appelante demande le versement d'une indemnité de 19 774,49 euros en réparation des frais de conseil juridique qu'elle a exposés. Elle soutient, sans être contredite par le ministre, que ces frais " correspondent aux différents courriers adressés aux services de l'Etat avant l'introduction de la requête de première instance " et produit, à l'appui de ses allégations, des factures établies par des cabinets d'avocats de février 2015 à juillet 2019, mentionnant en objet la pollution des terrains en cause. Dès lors, ces frais de conseil, qui ne sont pas inclus dans la somme mise à la charge de l'Etat par le jugement attaqué en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être regardés comme présentant un lien direct avec la faute commise par les services de l'Etat. Par suite, l'appelante est fondée à demander l'indemnisation de ce chef de préjudice à hauteur de la somme de 19 774,49 euros qu'elle réclame.

S'agissant du préjudice moral :

27. L'appelante demande le versement d'une indemnité de 40 000 euros en réparation de son préjudice moral. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard aux démarches entreprises par la SCI Prairie de Choigny et aux troubles qu'elle a subis qui étaient directement imputables à la faute relevée ci-dessus, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en fixant le montant de la réparation due à la somme de 5 000 euros.

28. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité des conclusions de la requête en ce qu'elles ont majoré en appel le montant de certaines des indemnités sollicitées en première instance, que la SCI Prairie de Choigny est seulement fondée à demander le versement d'une indemnité totale de 24 774,49 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

29. D'une part, il résulte de l'instruction que, par un courrier du 18 juillet 2019, reçu le 22 juillet 2019, la SCI Prairie de Choigny a demandé à l'Etat le versement d'une indemnité totale de 2 785 567 euros, notamment au titre de frais d'avocat exposés et de son préjudice moral. Il s'ensuit qu'elle a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité mentionnée au point précédent à compter du 22 juillet 2019.

30. D'autre part, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. En l'espèce, la société Prairie de Choigny a demandé la capitalisation des intérêts le 24 septembre 2019 dans sa requête enregistrée devant le tribunal administratif d'Amiens. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 22 juillet 2020, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

31. La personne qui subit un préjudice direct et certain du fait du comportement fautif d'une personne publique peut former devant le juge administratif une action en responsabilité tendant à ce que cette personne publique soit condamnée à l'indemniser des conséquences dommageables de ce comportement. Elle peut également, lorsqu'elle établit la persistance du comportement fautif de la personne publique responsable et du préjudice qu'elle lui cause, assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets. De telles conclusions à fin d'injonction ne peuvent être présentées qu'en complément de conclusions indemnitaires.

32. Il résulte de ce qui précède que la carence fautive des services de l'Etat a cessé en mai 2021. Il suit de là que l'appelante ne peut pas se prévaloir d'une persistance du comportement fautif des services de l'Etat pour présenter des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à ces services de faire usage de leurs pouvoirs de police des installations classées pour la protection de l'environnement. Ces conclusions doivent donc être rejetées.

33. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Prairie de Choigny est seulement fondée à demander que l'indemnité que le tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etat à lui verser soit portée à la somme de 24 774,49 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019. Les intérêts échus à la date du 22 juillet 2020 puis à chaque échéance à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Sur les frais liés à l'instance :

34. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à la SCI Prairie de Choigny au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 10 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à la société civile immobilière Prairie de Choigny par le jugement du 8 juillet 2021 du tribunal administratif d'Amiens est portée à 24 774,49 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019. Les intérêts échus à la date du 22 juillet 2020 puis à chaque échéance à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le surplus des conclusions présentées par la société civile immobilière Prairie de Choigny est rejeté.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 8 juillet 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la société civile immobilière Prairie de Choigny une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Prairie de Choigny et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Oise.

Délibéré après l'audience publique du 10 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2022.

Le rapporteur,

Signé : S. Eustache

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°21DA02165 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02165
Date de la décision : 24/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : GIDE LOYRETTE NOUEL A.A.R.P.I

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-11-24;21da02165 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award