La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/11/2022 | FRANCE | N°21DA01317

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 10 novembre 2022, 21DA01317


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La chambre de commerce et d'industrie Seine-Estuaire (CCISE) a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, de condamner la société des transports pétroliers par pipeline (TRAPIL) à lui verser la somme de 1 701 776,59 euros au titre du remboursement des frais de déplacement des canalisations dont elle a assuré le préfinancement en vertu de la convention signée par elle, le 28 mai 2015 et par la société TRAPIL, le 4 juin 2015 et d'assortir cette condamnation des intérêts de droit à

compter de l'introduction de la requête, et de la capitalisation des intérêts...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La chambre de commerce et d'industrie Seine-Estuaire (CCISE) a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, de condamner la société des transports pétroliers par pipeline (TRAPIL) à lui verser la somme de 1 701 776,59 euros au titre du remboursement des frais de déplacement des canalisations dont elle a assuré le préfinancement en vertu de la convention signée par elle, le 28 mai 2015 et par la société TRAPIL, le 4 juin 2015 et d'assortir cette condamnation des intérêts de droit à compter de l'introduction de la requête, et de la capitalisation des intérêts dans les conditions prescrites par l'article 1154 du code civil. A titre subsidiaire, la CCISE a demandé à ce tribunal de constater la nullité de la convention signée en mai-juin 2015 en tant qu'elle est entachée d'un vice du consentement et de condamner la société des transports pétroliers par pipeline à lui verser la somme de 1 701 776,59 euros au titre de remboursement des frais de déplacement des canalisations. Dans tous les cas, elle a demandé de mettre à la charge de la société TRAPIL une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1801121 du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête sommaire, un mémoire ampliatif et des mémoires complémentaires enregistrés le 15 juin 2021, le 6 juillet 2021, le 5 novembre 2021, le 14 février 2022 et le 11 avril 2022, la chambre de commerce et d'industrie Seine-Estuaire, représentée par Me Marc de Monsembernard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) au titre de l'effet dévolutif de l'appel, de statuer à nouveau sur le litige et de condamner la société TRAPIL à lui verser la somme de 1 701 776,59 euros au titre du remboursement des frais de déplacement des canalisations dont elle a assuré le préfinancement en vertu de la convention signée par elle, le 28 mai 2015 et par la société TRAPIL, le 4 juin 2015 ;

3°) d'assortir cette condamnation des intérêts de droit à compter de l'introduction de la requête, et de la capitalisation des intérêts dans les conditions prescrites par l'article 1154 du code civil ;

4°) de mettre à la charge de la société TRAPIL la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal s'est mépris sur l'interprétation de la commune intention des parties à la convention signée les 28 mai et 4 juin 2015 ;

- elle n'a jamais entendu renoncer à l'application tant des dispositions de l'article L. 113-3 du code de la voirie routière et de l'article R. 555-36 du code de l'environnement que de la jurisprudence constante, en vertu desquelles les frais de déplacement de canalisations empruntant le domaine public sont à la charge du transporteur ;

- son intention de procéder à un simple préfinancement des travaux de déplacement des canalisations de transport d'hydrocarbures appartenant à la société TRAPIL et non à leur prise en charge définitive ressort clairement de la rédaction de la convention ainsi que des échanges qui ont précédé la signature de la convention depuis 2012 ;

- dès lors qu'aucun accord ne peut légalement intervenir pour déroger aux principes fixés par le code de la voirie routière et le code de l'environnement ainsi que la jurisprudence, la convention qui indemnise les frais engagés pour les travaux de déplacement des ouvrages appartenant à la société TRAPIL est illicite ;

- par son objet, la convention méconnait par ailleurs le principe général du droit qui interdit à une personne publique de consentir une libéralité ;

- par son comportement, la société TRAPIL a exercé sur elle une contrainte pour aboutir à la signature de la convention, de sorte que cette dernière est entachée d'un vice du consentement ;

- compte tenu de l'illicéité de la convention, elle est en droit d'obtenir le remboursement de la somme de 1 701 776,59 euros, correspondant au préfinancement des travaux de déplacement des canalisations de transport d'hydrocarbures appartenant à la société TRAPIL.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 septembre 2021, le 3 janvier 2022 et le 14 mars 2022, la société des transports pétroliers par pipeline (TRAPIL), représentée par Me Jean-Nicolas Clément, conclut au rejet de la requête d'appel et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la CCI Seine Estuaire sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il ne ressort, ni des termes de la convention de mai-juin 2015, ni des éléments extérieurs à celle-ci, que la CCISE ait entendu procéder à un simple préfinancement des travaux ;

- les dispositions de l'article R. 555-36 du code de l'environnement prévoient la possibilité, pour les parties, de déroger au principe selon lequel le bénéficiaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public doit supporter sans indemnité les frais de déplacement des installations aménagées au titre de cette autorisation en cas de déplacement requis pour un motif d'intérêt général ; ces mêmes dispositions prévoient une procédure de consultation que la CCISE s'est abstenue de mettre en œuvre ;

- aucun vice du consentement n'affecte la convention signée en mai-juin 2015 ; elle n'a exercé aucune violence pour obtenir le consentement de la CCISE ; les contraintes telles que les procédures en référé ou les délais fixés pour les travaux de réaménagement du Pont de Tancarville lui sont extérieures ; les changements apportés en 2014 au projet par la CCISE ont contribué à rallonger les délais d'instruction des demandes de modification du tracé de ses installations ; les exigences de préoccupation environnementale ont été imposées par les deux autorisations préfectorales accordées en janvier 2015.

Par une ordonnance du 15 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 11 avril 2022 à 12 h 00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de la voirie routière ;

- la loi n° 49-1060 du 2 août 1949 ;

- le décret n° 2011-166 du 10 février 2011 ;

- le décret n° 2012-615 du 2 mai 2012 ;

- le décret n° 2015-1642 du 11 décembre 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Bouillié, représentant la société TRAPIL.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention signée le 18 décembre 1950, l'Etat a concédé à la chambre de commerce et d'industrie (CCI) du Havre, la construction et l'exploitation du Pont de Tancarville. Cet ouvrage routier, mis en service en 1959, nécessitait d'importants travaux de modernisation consistant, notamment, à adapter l'infrastructure routière à l'évolution projetée du trafic tout en y améliorant la sécurité routière. Ces travaux et leur date d'achèvement au 31 décembre 2016 ont été prévus et imposés à la CCI du Havre par la voie d'un avenant au contrat de concession initial, approuvé par un décret du 10 février 2011. Par un arrêté inter-préfectoral du 21 août 2013, les préfets de la Seine-Maritime et de l'Eure ont déclaré d'utilité publique ce projet. Les travaux envisagés par la CCI du Havre impliquaient la modification du tracé des ouvrages de transport d'hydrocarbures exploités par la société des transports pétroliers par pipeline (TRAPIL), situés dans l'emprise du projet et des désaccords sont apparus dès 2012 sur la question du financement des travaux de déplacement de ces canalisations. Cependant, les 28 mai et 4 juin 2015, la CCI du Havre et la société TRAPIL ont finalement signé une convention " Etudes et Travaux " aux termes de laquelle la CCI a assuré l'entier financement des travaux de déplacement des ouvrages appartenant à la société TRAPIL. La CCI du Havre, devenue chambre de commerce et d'industrie Seine-Estuaire (CCISE) en vertu du décret du 11 décembre 2015 portant création de la chambre de commerce et d'industrie territoriale Seine Estuaire, relève appel du jugement du 15 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes tendant à obtenir la condamnation de la société TRAPIL à lui rembourser, avec intérêts de droit, la somme de 1 701 776,59 euros correspondant aux travaux qu'elle avait financés en vertu de la convention des 28 mai et 4 juin 2015 précitée.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, si la CCISE fait valoir que sa contribution financière aux travaux de déplacement des canalisations de la société TRAPIL consistait en un préfinancement, cette allégation est démentie par les stipulations claires de la convention, qui, comme l'a relevé à bon droit le tribunal administratif, ne révèlent aucune manifestation d'une volonté exprimée par la CCI, de ne pas assumer définitivement les coûts de l'opération dès lors qu'elles indiquent sans aucune réserve les conditions dans lesquelles la CCI effectue, sur présentation de factures et justificatifs, le règlement de toutes les dépenses occasionnées par l'opération. En outre, contrairement à ce que soutient l'appelante, l'indication, dans la convention, d'un montant " Toutes taxes comprises " plutôt que " Hors Taxes " ne suffit pas, en elle-même, à révéler qu'il s'agirait d'un préfinancement.

3. De même, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, si, notamment, par ses lettres du 20 novembre 2012 puis du 13 février 2015, antérieures à la signature de la convention, la CCI a fait connaître à la société TRAPIL son analyse juridique quant à l'obligation pour le transporteur, d'assumer seul le coût de déplacement de ses installations et si elle a engagé successivement, en 2013 et en 2015, deux procédures en référé pour la contraindre à engager ces travaux, ces éléments extérieurs et antérieurs à la convention ne sont pas de nature à révéler son intention de ne pas finalement supporter la charge définitive de ces travaux. Par ailleurs, dès lors que le courrier que le directeur de la CCI a adressé le 24 avril 2015 à la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer ne fait aucune référence aux modalités financières envisagées pour le déplacement des canalisations, une telle intention, ne peut être regardée comme ayant animé les signataires de la convention définitive.

4. Il s'ensuit qu'en estimant qu'il ne ressortait d'aucune stipulation contractuelle, ni des éléments extérieurs à la convention, que l'engagement de la CCISE dans le financement des travaux de déplacement des canalisations exploitées par la société TRAPIL se serait limité à un strict préfinancement impliquant un remboursement ultérieur de ceux-ci, les premiers juges ne se sont pas mépris sur l'interprétation de la commune intention des parties.

5. En deuxième lieu, d'une part, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel. Ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige. Par exception, il en va autrement lorsque, eu égard, d'une part, à la gravité de l'illégalité et, d'autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat.

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 113-3 du code la voirie routière : " Sous réserve des prescriptions prévues à l'article L. 122-3, les exploitants de réseaux de télécommunications ouverts au public les services publics de transport ou de distribution d'électricité ou de gaz et les canalisations de transport d'hydrocarbures ou de produits chimiques déclarées d'utilité publique ou d'intérêt général peuvent occuper le domaine public routier en y installant des ouvrages, dans la mesure où cette occupation n'est pas incompatible avec son affectation à la circulation terrestre. / Le gestionnaire du domaine public routier peut, dans l'intérêt de la sécurité routière, faire déplacer les installations et les ouvrages situés sur ce domaine aux frais de l'occupant dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ". En vertu de l'article R. 113-6 du même code : " L'utilisation du domaine public routier pour la construction des oléoducs d'intérêt général est régie par les dispositions des articles 23,24,25,27,28,29 et 32 du décret n° 59-645 du 16 mai 1959 relatif à l'application de l'article 11 de la loi de finances n° 58-336 du 29 mars 1958 relatif à la construction dans la métropole des pipe-lines d'intérêt général destinés aux transports d'hydrocarbures liquides ou liquéfiés sous pression ".

7. Le décret du 2 mai 2012 relatif à la sécurité, l'autorisation et la déclaration d'utilité publique des canalisations de transport de gaz, d'hydrocarbures et de produits chimiques, qui a abrogé le décret du 16 mai 1959 mentionné à l'article R. 113-6 du code de la voirie routière cité au point précédent, prévoit à son article 6 que : " Les canalisations de transport d'hydrocarbures liquides ou liquéfiés qui présentent un intérêt général parce qu'elles contribuent à l'approvisionnement énergétique national ou régional au sens de l'article L. 555-25 du code de l'environnement sont soumises aux dispositions du chapitre V du titre V du livre V du code de l'environnement et aux dispositions complémentaires suivantes. Les II, IV, V et VI du présent article s'appliquent également aux canalisations d'intérêt général dont la date du décret d'autorisation est antérieure à la date de publication du présent décret. / (...) ".

8. Aux termes de l'article R. 555-36 du code de l'environnement : " La déclaration d'utilité publique prévue à l'article R. 555-33, le cas échéant, ou l'autorisation de construire et d'exploiter pour les canalisations de gaz naturel ou assimilé relevant de la mission du service public de l'énergie, confère au bénéficiaire de l'autorisation le droit d'exécuter sur et sous l'ensemble des dépendances du domaine public, tous travaux nécessaires à l'établissement, à l'entretien et à la protection de la canalisation, en se conformant aux règlements de voirie et à toutes autres dispositions en vigueur, notamment à celles figurant dans le code général de la propriété des personnes publiques relatives aux autorisations d'occupation du domaine public et dans le code général des collectivités territoriales ainsi qu'aux conditions particulières qui pourraient être demandées par les services publics affectataires. / Les occupations du domaine public sont strictement limitées à celles qui sont nécessaires. Elles ont lieu à titre onéreux. / Des arrêtés du ministre chargé du domaine, pris après avis du ministre chargé de la sécurité du transport par canalisation, fixent les tarifs et les modalités d'assiette et de perception des redevances dues pour l'occupation du domaine public de l'Etat par les canalisations mentionnées au présent chapitre. / Le transporteur est tenu de déplacer ses canalisations à toute demande des autorités dont relève le domaine public qu'elles empruntent. /Le déplacement ou la modification des installations sont exécutés aux frais du transporteur, s'ils ont lieu dans l'intérêt de la sécurité publique ou bien dans l'intérêt de l'utilisation, de l'exploitation ou de la sécurité du domaine public emprunté par les canalisations ou affecté par leur fonctionnement. Toutefois, l'autorité affectataire du domaine public et le service chargé du contrôle se concertent soit au moment de l'établissement des canalisations, soit lorsque le déplacement de celles-ci pour l'un des motifs indiqués à l'alinéa précédent apparaît nécessaire, afin de rechercher, le cas échéant, un accord sur les conditions du déplacement. En cas de désaccord, la décision appartient au préfet ".

9. Les travaux portant sur l'amélioration des accès au Pont de Tancarville en rives Nord et Sud de la Seine, consistant à déplacer la gare de péage Sud, à réaménager la tête nord de l'ouvrage et à procéder à la dénivellation d'un giratoire d'accès à l'autoroute A31 et à la réhabilitation de la RN 182, ont été entrepris dans l'intérêt du domaine public routier concédé à la CCI. La CCI Seine Estuaire soutient que la convention qu'elle a signée présente un caractère illicite dès lors qu'elle a pour objet de prévoir des modalités de financement des travaux de déplacement des ouvrages empruntant le domaine public routier, contraires aux dispositions des articles L. 113-3 du code de la voirie routière et R. 555-36 du code de l'environnement et au principe jurisprudentiel selon lequel le bénéficiaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public doit, quelle que soit sa qualité, supporter sans indemnité les frais de déplacement ou de modification des installations aménagées en vertu de cette autorisation lorsque ce déplacement est la conséquence de travaux entrepris dans l'intérêt du domaine public occupé et que ces travaux constituent une opération d'aménagement conforme à la destination de ce domaine.

10. Les dispositions textuelles citées aux points 6 à 8 rappellent le principe selon lequel l'autorité affectataire du domaine public peut décider que le déplacement des canalisations résultant de travaux réalisés dans l'intérêt du domaine public doit être supporté par le transporteur sans qu'il puisse en demander la réparation pécuniaire. Pour autant elles n'interdisent pas que cette autorité fasse un choix différent. Notamment les dispositions de l'article R. 555-36 du code de l'environnement permettent à l'autorité affectataire du domaine public et au service chargé du contrôle d'engager une concertation afin de rechercher un accord sur les conditions du déplacement, cet accord concernant nécessairement le transporteur. Par suite, ni ces dispositions, ni la jurisprudence, qui ne s'oppose pas à ce qu'une convention contraire en dispose autrement, ne font obstacle, à ce que le transporteur et l'affectataire du domaine public, décident, par la voie contractuelle, que les frais consécutifs aux travaux de déplacement des canalisations concernées seront en totalité ou en partie assumés par ce dernier, sans remboursement. Dès lors, en s'engageant pour un tel objet, les parties à la convention signée les 28 mai et 4 juin 2015 n'ont méconnu ni les dispositions précitées des codes de la voirie routière et de l'environnement, ni le principe cité au point 9, ni aucun principe qui serait d'ordre public. La convention en litige, qui prévoit le financement définitif, par la CCI Seine-Estuaire, des études et travaux de déviation et de protection des canalisations de transport d'hydrocarbures de la société TRAPIL, n'a donc pas un objet illicite.

11. En troisième lieu, compte tenu de l'intérêt s'attachant pour la CCISE à la réalisation dans un délai raisonnable des travaux de déplacement des canalisations situées dans l'emprise du Pont de Tancarville qu'elle exploite et entretient, le moyen tiré de la violation du principe selon lequel une personne publique ne peut payer une somme qu'elle ne doit pas, ne peut qu'être écarté alors que les frais qu'elle a accepté de prendre en charge correspondent aux seules dépenses que la société TRAPIL a effectivement engagées pour cette opération.

12. En dernier lieu, la CCISE reproche au tribunal administratif de Rouen d'avoir commis une erreur de droit et d'appréciation des faits en ne retenant pas l'existence d'un vice du consentement emportant la nullité de la convention. Selon l'appelante, ce vice résulterait du comportement adopté par la société TRAPIL depuis 2012, consistant, d'une part, à persister dans son refus de réaliser à ses frais les travaux de déplacement de ses ouvrages et d'autre part, à faire preuve d'une inertie empêchant l'avancement de ces travaux, alors même qu'elle était informée de ce que l'opération de modernisation des accès du Pont de Tancarville dont l'échéance était fixée au 31 décembre 2016 ne pouvait être réalisée tant que le déplacement de ses propres canalisations de transport d'hydrocarbures n'était pas effectif.

13. Il résulte de l'instruction que, par un courriel du 25 octobre 2012, la société TRAPIL a fait connaître à la CCI son analyse juridique concluant qu'il appartenait à la chambre consulaire de supporter les conséquences financières des travaux de déviation de ses canalisations de transport d'hydrocarbures et n'a ensuite jamais modifié sa position. Toutefois, comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, les échanges de correspondances qui ont précédé la signature de la convention définitive par la CCI révèlent que c'est en toute connaissance de cause que cette dernière a adressé un projet de convention prévoyant son engagement de financer l'intégralité des travaux incombant à la société TRAPIL. Il résulte également de l'instruction que la société TRAPIL a parallèlement engagé, dès 2013, auprès des autorités de l'Etat concernées, les démarches administratives pour l'obtention des autorisations nécessaires aux travaux de déplacement de ses ouvrages et a travaillé en concertation avec les services de la CCI pour organiser et planifier la coordination, le phasage et le calendrier prévisionnel des différents travaux. A cet égard, il ressort d'un échange de courriels entre la DREAL Haute-Normandie et la société TRAPIL, datés des 18 et 19 février 2014, qu'une modification du projet de réaménagement de la zone Nord du Pont de Tancarville faite à l'initiative de la CCI, a contraint la société TRAPIL à revoir son propre projet de dévoiement de ses conduites d'hydrocarbures, nécessitant la suspension de l'instruction de sa demande d'autorisation déposée auprès des services de l'Etat. Pour ce motif, qui ne peut être imputé à la société TRAPIL, ce n'est finalement que les 16 et 23 janvier 2015 que les autorisations préfectorales requises pour le déplacement de ses canalisations au titre de l'article R. 555-22 du code de l'environnement lui ont été accordées. Il est constant que ces autorisations étaient assorties de prescriptions lui imposant notamment, une coordination avec la CCI du Havre en ce qui concerne les mesures de protection ou mesures compensatoires Natura 2000 ainsi que l'intervention d'un écologue avant la phase de travaux afin de privilégier les solutions techniques affectant le moins l'environnement. L'intervention de ces événements extérieurs à la volonté de la société TRAPIL ne saurait ainsi être regardée comme constitutive de manœuvres de cette dernière, visant à retarder la réalisation du chantier de déviation de ses canalisations de transport d'hydrocarbures dans l'emprise du Pont de Tancarville. Pour ces mêmes raisons tenant à la modification de son projet initial, les deux procédures que la CCI a engagées en 2013 et 2015 auprès du juge des référés du tribunal administratif de Rouen ne sauraient davantage être regardées comme la conséquence de l'inertie de la société TRAPIL. Il en résulte que les conditions dans lesquelles la CCI Seine-Estuaire a donné son consentement ne révèlent aucune pression ou manœuvre de la part de la société TRAPIL, de nature à emporter la nullité de la convention signée les 28 mai et 4 juin 2015. Le dernier moyen tiré du vice du consentement doit donc être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la chambre de commerce et d'industrie Seine-Estuaire n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions à fin d'injonction.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société TRAPIL, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la CCISE, au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CCISE la somme de 2 000 euros à verser à la société TRAPIL sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la chambre de commerce et d'industrie Seine-Estuaire est rejetée.

Article 2 : La chambre de commerce et d'industrie Seine-Estuaire versera la somme de 2 000 euros à la société TRAPIL au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la chambre de commerce et d'industrie Seine-Estuaire et à la société des transports pétroliers par pipeline.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Seine-Maritime, préfet de la Région Normandie.

Délibéré après l'audience publique du 18 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 novembre 2022.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

C. Huls-Carlier

N° 21DA01317 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01317
Date de la décision : 10/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : KGA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-11-10;21da01317 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award