Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 février 2021, et un mémoire enregistré le 18 février 2022, la société Chemin de la Milaine, représentée par Me François Versini-Campinchi, demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du 22 octobre 2020 par lequel le préfet du Nord lui a imposé des prescriptions complémentaires pour la poursuite d'exploitation du parc éolien Le chemin de la Milaine, situé sur le territoire de la commune de Boursies ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté en tant qu'il prévoit, à l'article 5, l'arrêt des machines en cas de nidification d'espèce patrimoniale, et de remplacer cette mesure par la mise en place d'un système de détection et d'effarouchement, tel que présenté dans le porter à connaissance déposé auprès du préfet ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- dès lors qu'elle n'a pas été mise à même de faire valoir ses droits devant la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS), le préfet a méconnu l'article R. 181-45 du code de l'environnement ;
- la prescription est inadaptée en raison de son inutilité et de l'absence d'adaptation au projet litigieux ;
- elle est en outre susceptible d'affecter la situation financière de l'exploitant et pourrait être remplacée par une autre solution technique à moindre coût.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 25 mars 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Baes-Honoré présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Jean-Baptiste Duclercq, représentant la société Le chemin de la Milaine.
Une note en délibéré présentée par la société Le chemin de la Milaine a été enregistrée le 28 octobre 2022.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 10 juin 2014, le préfet du Nord a autorisé la société d'exploitation de parc éolien (SEPE) " Le chemin de la Milaine " à exploiter cinq aérogénérateurs et un poste de livraison situés sur le territoire de la commune de Boursies. Les résultats du suivi de la mortalité concernant l'avifaune et les chiroptères réalisé en 2018 et en 2019 ont conduit le préfet du Nord à prendre un arrêté du 22 octobre 2020, par lequel il a imposé des prescriptions complémentaires pour la poursuite d'exploitation du parc éolien. La SEPE Le chemin de la Milaine demande à la cour, à titre principal d'annuler cet arrêté et à titre subsidiaire d'annuler les prescriptions de l'article 5 portant sur l'arrêt des machines en cas de nidification d'espèce patrimoniale.
Sur la légalité externe :
2. En premier lieu, l'arrêté contesté indique notamment que le suivi post-implantatoire réalisé en 2019 a mis en évidence une mortalité élevée pour le parc et que cette mortalité présente un danger ou un inconvénient pour la protection de la nature et de l'environnement, enjeux cités à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 181-45 du code de l'environnement : " Les prescriptions complémentaires prévues par le dernier alinéa de l'article L. 181-14 sont fixées par des arrêtés complémentaires du préfet, après avoir procédé, lorsqu'elles sont nécessaires, à celles des consultations prévues par les articles R. 181-18 et R. 181-22 à R. 181-32. (...) / Le préfet peut solliciter l'avis de la commission ou du conseil mentionnés à l'article R. 181-39 sur les prescriptions complémentaires ou sur le refus qu'il prévoit d'opposer à la demande d'adaptation des prescriptions présentée par le pétitionnaire. Le délai prévu par l'alinéa précédent est alors porté à cinq mois. L'exploitant peut se faire entendre et présenter ses observations dans les conditions prévues par le même article. Ces observations peuvent être présentées, à la demande de l'exploitant, lors de la réunion. Dans ce cas, si le projet n'est pas modifié, les dispositions du deuxième alinéa du présent article ne sont pas applicables. (...) ".
4. Aux termes de l'article R. 181-39 de ce code alors en vigueur : " Dans les quinze jours suivant l'envoi par le préfet du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur au pétitionnaire, le préfet transmet pour information la note de présentation non technique de la demande d'autorisation environnementale et les conclusions motivées du commissaire enquêteur : 1° A la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur une carrière et ses installations annexes ou une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent ; (...) / Le préfet peut également solliciter l'avis de la commission ou du conseil susmentionnés sur les prescriptions dont il envisage d'assortir l'autorisation ou sur le refus qu'il prévoit d'opposer à la demande. Il en informe le pétitionnaire au moins huit jours avant la réunion de la commission ou du conseil, lui en indique la date et le lieu, lui transmet le projet qui fait l'objet de la demande d'avis et l'informe de la faculté qui lui est offerte de se faire entendre ou représenter lors de cette réunion de la commission ou du conseil ".
5. S'il résulte du compte rendu de la réunion de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) du 14 octobre 2020, dans sa formation spécialisée " éoliennes ", qu'en complément de l'ordre du jour, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) a présenté le projet d'arrêté imposant à la SEPE Le chemin de la Milaine des prescriptions complémentaires, il résulte de l'instruction qu'il ne s'agissait que d'une simple information informelle n'ayant donné lieu à aucun avis de la commission. Dans ces conditions, il ne peut être reproché à l'administration de ne pas avoir informé la société requérante de la tenue de la réunion de la CDNPS selon les modalités prévues par l'article R. 181-39 du code de l'environnement.
Sur la légalité interne :
6. Aux termes de l'article L. 181-14 du code de l'environnement : " (...) L'autorité administrative compétente peut imposer toute prescription complémentaire nécessaire au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4 à l'occasion de ces modifications, mais aussi à tout moment s'il apparaît que le respect de ces dispositions n'est pas assuré par l'exécution des prescriptions préalablement édictées. ". Selon l'article L. 181-3 du même code : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...) ". L'article L. 511-1 du même code dispose : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients (...) soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages (...) ".
7. Il résulte de ces dispositions que des prescriptions complémentaires peuvent être édictées par le préfet lorsqu'elles sont nécessaires pour garantir la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
8. En l'espèce, l'article 5 de l'arrêté contesté prévoit, en cas de découverte d'une nidification d'espèce patrimoniale située à moins de 500 mètres du mat d'une machine, un arrêt de la rotation des pales de la machine jusqu'à l'envol des jeunes.
9. En premier lieu, il résulte du rapport de suivi de la mortalité de l'avifaune et des chiroptères en phase post-installation des éoliennes, réalisé par la société Auddicé, que dans le cadre de ce suivi effectué sur trois éoliennes du parc de septembre 2017 à septembre 2018, à raison de 4 passages par éolienne et par mois et à 3 jours d'intervalle, en avril, mai, juin, août et septembre, 10 cadavres d'oiseaux ont été retrouvés. Les suivis réalisés d'avril à septembre 2019 et 2020 sur l'ensemble des éoliennes, suivant la même intensité de prospection, ont permis de trouver respectivement 14 et 9 cadavres d'oiseaux à proximité des éoliennes. Au vu de ces résultats, les rédacteurs de l'étude de suivi de 2020 ont estimé que, selon les différentes formules utilisées, le parc était à l'origine de la mortalité de 125,7 à 1 025,4 individus par an pour les oiseaux (page 36).
10. Il résulte également de cette étude, que parmi les cadavres d'oiseaux trouvés en 2019, trois Busards des roseaux, espèce vulnérable, ont été retrouvés près des éoliennes B1, B4 et B5, ce qui constitue un " impact non négligeable sur la population locale de l'espèce ". Cette même année, a été trouvé un cadavre de Bruant proyer, espèce en danger dont la sensibilité à l'éolien est élevée au niveau régional. En 2020, un Busard Saint-Martin, espèce en danger, a été retrouvé près de l'éolienne B5, ainsi que deux cadavres appartenant à des espèces vulnérables, soit l'Alouette des champs et le Goëland Argenté, lequel présente en outre une sensibilité très élevée à l'éolien.
11. La société requérante soutient que la prescription en litige est inadaptée. Elle souligne ainsi qu'au titre des années 2017 et 2018, la présence de nids de Busards à moins de 500 mètres des éoliennes aurait conduit à en arrêter certaines alors qu'aucun cadavre de Busard n'a été retrouvé, et qu'au titre des années 2019 et 2020, la mesure n'aurait pas permis d'éviter certains cadavres et aurait conduit à arrêter certaines éoliennes qui ne sont pas à l'origine de cadavres de Busards. Cette circonstance n'est cependant pas de nature à établir l'inutilité de la mesure contestée, dès lors, d'une part, que la prescription en litige n'a pas été exclusivement adoptée pour les Busards, mais l'a été pour l'ensemble des espèces présentant un statut de menace " CR " (en danger critique d'extinction), " EN " (en danger) ou " VU " (vulnérable) en vertu de la liste rouge des espèces menacées en Nord-Pas-de-Calais, et d'autre part, que les données de suivi ne résultent que de prospections ponctuelles et non d'observations exhaustives.
12. Si la société requérante soutient que le lien entre la proximité d'une nidification et la mortalité n'est pas établi, il résulte de l'étude de suivi de 2020 que, selon le rapport de la ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de 2017, " La seule solution efficace à ce jour, pour éviter la mortalité directe des rapaces par collision avec les éoliennes, consiste à éviter de les implanter dans le rayon d'action des sites de reproduction et à préserver leurs espaces vitaux ". Il résulte par ailleurs des études de suivi, que parmi les trois cadavres de Busards des Roseaux se trouvaient un mâle faisant possiblement partie d'un couple s'apprêtant à nicher au sein de la zone, un mâle probablement nicheur au sein de la zone et un jeune de l'année issu d'une nichée située au sein de la zone d'étude. Le Busard Saint-Martin de 2020 était possiblement une femelle faisant partie d'un couple nicheur au sein de la zone d'étude.
13. Il résulte de ce qui précède, qu'eu égard à l'impact du parc sur des espèces protégées, et alors même que la mesure en litige n'aurait pas permis d'éviter certaines mortalités de Busards constatées en 2019 et 2020, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les prescriptions complémentaires ne sont pas nécessaires pour assurer la protection des espèces protégées et garantir la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il n'est pas davantage établi qu'une distance de 250 mètres entre les mâts des machines et les nids serait plus adaptée pour éviter les mortalités d'espèces patrimoniales.
14. En deuxième lieu, si la société requérante demande à la cour, à titre subsidiaire, de substituer à la prescription en litige, l'installation d'un dispositif " Safe Wind Bird " de détection d'oiseaux et de bridage de machines sur les éoliennes B1, B3 et B4, l'efficacité de ce dispositif n'est pas établie. Il résulte en outre du rapport de l'inspecteur des installations classées émis dans le cadre de l'étude du porter à connaissance portant sur l'installation de ce dispositif, que cette technique entraînerait une perte de territoire pour les déplacements et la chasse, estimée à près de 60 hectares, et que ce territoire ne serait plus disponible pour la nidification.
15. En dernier lieu, pour contester l'adoption d'une mesure prise en application de l'article L. 511-1 du code de l'environnement en vue de protéger la nature et notamment l'avifaune, la société Chemin de la Milaine ne peut utilement soutenir que la prescription en litige entraînerait une perte financière excessive.
16. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la société requérante tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 octobre 2020 doivent être rejetées, ainsi que les conclusions subsidiaires dirigées contre l'article 5 de l'arrêté.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Chemin de la Milaine demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Chemin de la Milaine est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Chemin de la Milaine et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Une copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 20 octobre 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,
- M. Stéphane Eustache, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 novembre 2022.
La présidente- rapporteure,
Signé : C. Baes-HonoréLe président de la 1ère chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N° 21DA00431 2