Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers a demandé au tribunal administratif de Lille, par trois demandes distinctes, d'une part, d'annuler les décisions implicites par lesquelles le directeur départemental des finances publiques du Pas-de-Calais a rejeté ses demandes tendant à l'assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, au titre des années 2016, 2017 et 2018, des locaux à usage de centrale à béton et d'usine de fabrication de " Xblocs " et de l'ensemble des biens situés sur le site du port de Calais à la date du 19 février 2015, ainsi que du " buffer " au titre des années 2017 et 2018, d'autre part, d'annuler les décisions implicites par lesquelles le directeur départemental des finances publiques du Pas-de-Calais a rejeté ses demandes tendant à l'assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés non bâties, au titre de l'année 2018, des terrains créés par deux perrés construits dans le cadre du projet " Calais Port 2015 ", enfin, à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 4 529 313 euros en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de la perte des recettes fiscales ainsi escomptées.
Par un jugement nos 1709530, 1801791 et 1810712 du 24 juin 2020, le tribunal administratif de Lille, après avoir joint ces trois demandes, d'une part, a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de ces décisions en tant qu'elles refusent d'assujettir le " buffer " à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2017 et 2018, d'autre part, a annulé ces mêmes décisions en tant qu'elles refusent d'assujettir, au titre des années 2017 et 2018, les locaux à usage d'usine de fabrication de " Xblocs " à la taxe foncière sur les propriétés bâties, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, enfin, a rejeté le surplus des conclusions des demandes de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 août 2020 et le 3 janvier 2022, et un mémoire, enregistré le 4 février 2022, à 9h49, qui n'a pas été communiqué, la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, représentée par Me Quéré puis par la société d'avocats Euroconsult France, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'ensemble des conclusions de ses demandes ;
2°) d'annuler les décisions implicites par lesquelles le directeur départemental des finances publiques du Pas-de-Calais a rejeté ses demandes, en date des 16 août 2017 et 28 août 2018, tendant à l'assujettissement, d'une part, des biens existants sur le site du port de Calais à la date du 19 février 2015, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016, 2017 et 2018, d'autre part, du bien à usage de " buffer ", à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2017 et 2018, enfin, des installations exploitées par la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP en vue de la fabrication de " Xblocs " à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2016, 2017 et 2018 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 753 457 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts ;
4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin de préciser le montant des bases d'imposition omises par l'administration fiscale ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions d'excès de pouvoir relatives à l'assujettissement des locaux à usage de centrale à béton et d'usine de fabrication de " Xblocs " à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dès lors que la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP doit y être assujettie ;
- la société d'exploitation des ports du détroit ne peut prétendre à l'exonération de cotisation foncière des entreprises prévue au 2° de l'article 1449 du code général des impôts dès lors, d'une part, que cette société n'est pas une société d'économie mixte, d'autre part, que la région Hauts-de-France ne détient pas une part notable de son capital ;
- cette exonération est incompatible avec l'article 107 du traité de fonctionnement de l'Union Européenne dès lors qu'il s'agit d'une aide d'Etat qui n'a pas été notifiée à la Commission européenne ;
- la société d'exploitation des ports du détroit ne peut prétendre à l'exonération de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévue à l'article 1586 ter du code général des impôts ;
- elle est fondée à demander l'indemnisation des impositions omises à hauteur de 2 551 020 euros et de 594 262 euros s'agissant de la cotisation foncière des entreprises et de la contribution à la valeur ajoutée des entreprises due par la société d'exploitation des ports du détroit, et de 608 275 euros au titre de la cotisation à la valeur ajoutée des entreprises due par la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2021, et un mémoire, enregistré le 27 janvier 2022, qui n'a pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de la demande du 29 août 2018 sont irrecevables, dès lors que cette demande était prématurée ;
- les moyens invoqués à l'appui des conclusions tendant à l'annulation des décisions implicites de rejet des demandes des 16 août 2017 et 28 août 2018 ne sont pas fondés ;
- aucune précision suffisante n'est apportée s'agissant de l'évaluation du préjudice prétendument subi par la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers.
Par un mémoire, enregistré le 29 décembre 2021, la société d'exploitation des ports du détroit, représentée par la société d'avocats CMS Francis Lefebvre avocats, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 6 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 février 2022, à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et l'article 61-1 ;
- le code de commerce ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la décision n° 2018-733 QPC du 21 septembre 2018 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Baillard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- les observations de Me Tchoudjem, représentant la communauté d'agglomération Terres et Mers, et de Me Bussac ainsi que de Me Moraitou, représentant la société d'exploitation des ports du détroit.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de l'engagement de la première phase des travaux d'extension du port de Calais, devenu propriété en 2007 de la région Nord-Pas-de-Calais, la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers a demandé à l'administration fiscale, par deux courriers des 16 août 2017 et 28 août 2018, d'assujettir, d'une part, à la taxe foncière sur les propriétés bâties, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, les locaux à usage de centrale à béton et d'usine de fabrication de " Xblocs " et l'ensemble des biens situés sur le site du port de Calais à la date du 19 février 2015 au titre des années 2016, 2017 et 2018, ainsi que le " buffer " au titre des années 2017 et 2018, et, d'autre part, à la taxe foncière sur les propriétés non bâties, au titre de l'année 2018, les terrains créés par deux perrés construits dans le cadre du projet " Calais Port 2015 ". En l'absence de réponse de l'administration, la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers a saisi le tribunal administratif de Lille de deux demandes tendant à l'annulation des deux décisions implicites de rejet de ses demandes. Par ailleurs, par une troisième demande, la communauté d'agglomération a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser une somme de 4 529 313 euros en réparation du préjudice financier résultant, selon elle, de la perte des recettes fiscales ainsi escomptées. Par un jugement du 24 juin 2020, le tribunal administratif de Lille, après avoir joint ces trois demandes, a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de ces décisions en tant qu'elles refusent d'assujettir le " buffer " à la taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2017 et 2018, a annulé ces mêmes décisions en tant qu'elles refusent d'assujettir, au titre des années 2017 et 2018, les locaux à usage d'usine de fabrication de " Xblocs " à la taxe foncière sur les propriétés bâties, à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, enfin, a rejeté le surplus des conclusions de ces trois demandes. La communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers relève appel de ce jugement en tant qu'il ne lui a pas donné entière satisfaction.
Sur le bien-fondé du jugement en tant qu'il rejette comme irrecevables certaines des conclusions à fin d'annulation présentées par la communauté d'agglomération Grand Calais Terres Mers :
2. Au point 3 du jugement, le tribunal a relevé que les conclusions de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres Mers tendant à l'annulation des décisions implicites de l'administration fiscale en tant qu'elles refusent d'assujettir les locaux à usage de centrale à béton et d'usine de fabrication de " Xblocs " à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, étaient irrecevables au motif que les sociétés Bouygues Travaux Publics et Bouygues Construction Matériel soutenaient, sans être contredites, s'être conformées à leurs obligations déclaratives en la matière, la communauté d'agglomération ne contestant d'ailleurs pas avoir perçu la fraction de l'imposition lui revenant à ce titre. Si, devant la cour, la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers soutient que la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP aurait dû également être assujettie à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, l'administration observe, sans être contredite, que tel a bien été le cas mais que, faute pour cette société de disposer de la personnalité morale, c'est la société Bouygues Travaux Publics, qui en est la gérante, qui a procédé aux déclarations fiscales, le montant des cotisations dues par la société en participation ayant par ailleurs été fixé pour les années 2016 à 2018. A ce titre, la communauté d'agglomération ne peut utilement se prévaloir de l'inexactitude de la fraction de l'imposition devant lui revenir, dès lors que ses demandes étaient relatives au principe même de l'assujettissement de ces entreprises à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et non aux modalités d'évaluation de la quote-part de l'imposition lui revenant. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que ces conclusions étaient irrecevables et ont entendu les rejeter pour ce motif.
Sur les conclusions d'excès de pouvoir :
En ce qui concerne la recevabilité de certaines des conclusions de première instance :
3. Contrairement à ce que fait valoir l'administration, la circonstance selon laquelle la demande du 28 août 2018 de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers portant sur l'assujettissement à la cotisation foncière des entreprises de l'usine de fabrication des " Xblocs ", du buffer et des biens situés sur le port de Calais pour les années 2017 et 2018, ainsi que sur l'attribution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises correspondant à l'exploitation de ces biens, a été présentée antérieurement à la mise en recouvrement du rôle général de la cotisation foncière des entreprises pour l'année 2018 et à la date limite de déclaration de la cotisation foncière pour les entreprises au titre de la même année, n'est pas de nature à faire obstacle à la naissance d'une décision implicite de rejet de cette demande, susceptible d'être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir. Dès lors, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que la demande présentée devant le tribunal administratif de Lille par la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, en ce qu'elle tend à l'annulation de cette décision implicite, est irrecevable en raison du caractère, selon lui, prématuré de la demande du 28 août 2018.
En ce qui concerne l'assujettissement à la cotisation foncière des entreprises :
4. Aux termes de l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable jusqu'au 31 décembre 2018 : " Sont exonérés de la cotisation foncière des entreprises : / (...) / 2° Les grands ports maritimes, les ports autonomes, ainsi que les ports gérés par des collectivités territoriales, des établissements publics ou des sociétés d'économie mixte, à l'exception des ports de plaisance. ".
5. Il ressort des pièces du dossier que la société d'exploitation des ports du détroit est une société anonyme ayant pour objet, notamment, d'assurer l'exploitation technique et commerciale du service public des ports et leur développement industriel et commercial, et que le capital de cette société est détenu majoritairement par la chambre de commerce et d'industrie des Hauts-de-France, établissement public placé sous la tutelle de l'Etat en application de l'article L. 710-1 du code du commerce. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que la société d'exploitation des ports du détroit est une société d'économie mixte. Toutefois, l'article 1449 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige, en accordant à son 2° une exonération de cotisation foncière des entreprises aux ports gérés notamment par " des sociétés d'économie mixte ", présente une ambiguïté sur sa portée. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2018-733 QPC du 21 septembre 2018, a ainsi déclaré contraires à la Constitution les mots " ou des sociétés d'économie mixte " figurant à cet article après avoir estimé, au point 7. de cette décision, que le législateur avait " réservé le bénéfice de l'exonération aux personnes publiques assurant elles-mêmes la gestion d'un port ainsi qu'aux sociétés à qui elles ont confié cette gestion dont elles détiennent une part significative du capital ", tout en reportant au 1er janvier 2019 la date de l'abrogation de ces mots. Si cette mention, qui ne constitue pas le soutien nécessaire du dispositif de cette décision, n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée, il n'en demeure pas moins qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir de déterminer la portée des dispositions précitées de l'article 1499 du code général des impôts. Or, en l'espèce, eu égard à l'objectif recherché par le législateur d'inciter les investissements publics dans les ports, sous forme soit de gestion directe par la personne publique, soit d'actionnariat public au sein d'une société, les sociétés d'économie mixte mentionnés au 2° de l'article 1449 du code général des impôts pouvant bénéficier de l'exonération prévue à cet article, doivent être regardées comme étant celles dont une partie du capital est détenu par une collectivité territoriale assumant la compétence de gestion des ports. Or, la région Hauts-de-France, qui est titulaire de cette compétence en application de l'article L. 5314-1 du code général des collectivités territoriales, ne détient aucune participation au capital de la société d'exploitation des ports du détroit. Dès lors, cette dernière ne peut être regardée comme une société d'économie mixte pouvant être exonérée de la cotisation foncière des entreprises en application du 2° de l'article 1449 du code général des impôts.
6. Il résulte de ce qui précède que la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions implicite de rejet de ses demandes en ce qu'elles sont relatives à l'assujettissement de la société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises pour les années 2016, 2017 et 2018, et à demander l'annulation, dans cette mesure, de ces décisions.
En ce qui concerne l'assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises :
7. Aux termes de l'article 1586 ter du code général des impôts : " I. - Les personnes physiques ou morales (...) qui exercent une activité dans les conditions fixées aux articles 1447 et 1447 bis et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 € sont soumises à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. / II. - 1. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est égale à une fraction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie à l'article 1586 sexies. / Pour la détermination de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, on retient la valeur ajoutée produite et le chiffre d'affaires réalisé au cours de la période mentionnée à l'article 1586 quinquies, à l'exception (...) de la valeur ajoutée afférente aux activités exonérées de cotisation foncière des entreprises en application des articles 1449 à 1463, à l'exception du 3° de l'article 1459 (...) ".
8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 6 que la société d'exploitation des ports du détroit ne peut bénéficier de l'exonération de cotisation foncière des entreprises en application du 2° de l'article 1449 du code général des impôts. Dès lors, cette société ne pouvait être exonérée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, au titre des années 2016, 2017 et 2018, en application des dispositions de l'article 1586 ter du même code. La communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers est donc fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions implicite de rejet de ses demandes sur ce point, et à demander l'annulation, dans cette mesure, de ces décisions.
9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 8, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête d'appel, que la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers est uniquement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de ses demandes tendant à l'annulation des décisions implicites de rejet de ses demandes des 16 août 2017 et 28 août 2018 en ce qui concerne l'assujettissement, au titre des années 2016, 2017 et 2018, de la société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises ainsi qu'à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
Sur les conclusions indemnitaires :
10. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir perçu des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement. L'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité. S'il appartient, en principe, à la victime d'un dommage d'établir la réalité du préjudice qu'elle invoque, le juge ne saurait toutefois lui demander des éléments de preuve qu'elle ne peut apporter.
11. En premier lieu, la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers demande la condamnation de l'Etat à lui verser les sommes de 2 551 020 euros et de 594 262 euros correspondant, selon ses prétentions, aux montants non-perçus de la cotisation foncière des entreprises et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dus par la société d'exploitation des ports du détroit pour les années 2016 et 2017, et résultant du refus de l'administration d'assujettir cette société à ces impositions. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 8 que l'administration, en refusant de faire doit à la demande de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers tendant à l'assujettissement de la société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, a commis une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Toutefois, cette illégalité, qui consiste à avoir accordé à tort à la société d'exploitation des ports du détroit le bénéfice des exonérations prévues aux articles 1449 et 1586 ter du code général des impôts, n'implique pas, par elle-même, que cette société soit assujettie à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Dès lors, le préjudice dont il est demandé réparation est sans lien avec l'illégalité commise par l'administration.
12. En second lieu, la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 608 275 euros correspondant au montant non-perçu de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dû, selon elle, par la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP pour l'année 2017, et résultant du refus de l'administration d'assujettir cette société à cet impôt. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 2, la société Bouygues Travaux Publics a procédé aux déclarations de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises notamment au titre de l'année 2017, lesquelles font apparaître une cotisation de 98 638 euros. La communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers ne conteste pas sérieusement que cette cotisation a été acquittée et n'apporte aucun élément permettant d'expliquer l'importante différence entre son évaluation et le montant de l'imposition résultant de la déclaration souscrite au nom de la société en participation Génie Civil Calais Bouygues TP. Dès lors, la réalité du préjudice dont il est demandé réparation n'étant pas démontrée, les conclusions indemnitaires de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers doivent être rejetées sur ce point.
13. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les décisions rejetant implicitement les demandes de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers en date des 16 août 2017 et 28 août 2018 sont annulées en tant qu'elles refusent d'assujettir, au titre des années 2016, 2017 et 2018, la société d'exploitation des ports du détroit à la cotisation foncière des entreprises et à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
Article 2 : L'article 4 du jugement du 24 juin 2020 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Grand Calais Terres et Mers, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société d'exploitation des ports du détroit.
Délibéré après l'audience publique du 13 octobre 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Heu, président de chambre,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller,
- M Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 novembre 2022.
Le rapporteur,
Signé : B. BaillardLe président de chambre,
Signé : C. Heu
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°20DA01231
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N°"Numéro"