Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010, 2011 et 2012.
Par un jugement n° 1803794 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Rouen a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer, à concurrence du dégrèvement de 7 692 euros prononcé en cours d'instance en matière de prélèvements sociaux, sur la demande de M. et Mme B... et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 8 décembre 2020, et un mémoire, enregistré le 7 octobre 2022, qui n'a pas été communiqué, M. et Mme B..., représentés par la SELARL Guidet et Associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il ne leur donne pas entière satisfaction ;
2°) de prononcer la décharge des impositions demeurant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal administratif n'a pu, sans entacher son jugement d'une irrégularité constitutive d'une méconnaissance du droit à un procès équitable, tel que protégé par le 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, confirmer le bien-fondé du rehaussement relatif aux revenus regardés comme distribués par l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) en se référant aux mentions d'un procès-verbal qui n'avait pas été versé à l'instruction ;
- les suppléments d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux en litige ont été établis à l'issue d'une procédure irrégulière, dès lors que la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris n'était pas territorialement compétente pour diligenter l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle dont ils ont fait l'objet et que ce service n'était pas en situation de se prévaloir du droit de suite prévu au V de l'article 350 terdecies de l'annexe III au code général des impôts ; ce vice substantiel de procédure est de nature à justifier la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux en litige ; les paragraphes nos 200 à 210 de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-CF-DG-30 confortent leur position quant à l'incompétence territoriale du service vérificateur ;
- contrairement à ce qu'a retenu, à tort, l'administration, ils n'avaient pas maintenu, au cours des années 2011 et 2012 en litige, leur domicile fiscal en France, puisqu'ils avaient transféré, en décembre 2010, le lieu de leur habitation principale en Tunisie, où ils ont pris une villa en location ; le fait qu'ils n'ont pas résilié, dans le même temps, les contrats de distribution d'eau et d'électricité qu'ils avaient souscrits pour le logement dont ils disposaient en France ne constitue pas, à cet égard, un critère significatif, les relevés de consommation que le service a obtenus dans le cadre de l'exercice de son droit de communication confirmant d'ailleurs qu'ils n'ont conservé ce logement que pour un usage occasionnel ; enfin, s'il était besoin d'examiner ce critère subsidiaire, ils ont bien fixé, à compter de décembre 2010, le centre de leurs intérêts vitaux en Tunisie, où est implantée la société Harmonie, qui constitue le centre d'intérêt professionnel principal de M. B..., tandis que les trois sociétés dont il était le gérant en France ont, pour deux d'entre elles, cessé leur activité, et, pour la troisième, été cédée ; enfin, Mme B... a fait valoir ses droits à la retraite en France à la fin de l'année 2010, période à compter de laquelle elle a transféré le centre de ses intérêts vitaux en Tunisie, sans qu'ait d'incidence le fait qu'elle a débuté deux activités, en France, après la période vérifiée et de façon temporaire ;
- les crédits mis en évidence sur un compte bancaire ouvert au nom de M. B... et qui résultent de virements opérés par l'OFAJ, ont été regardés à tort comme correspondant à des revenus distribués, alors qu'il s'agit de règlements qui trouvent leur contrepartie dans des prestations effectuées par la société tunisienne Harmonie ; ces sommes avaient d'ailleurs été remboursées au 31 décembre 2012 ; en conséquence, il ne pouvait être procédé, à ce titre, à un rehaussement de leurs revenus imposables sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- M. et Mme B..., qui, dans leur réclamation, n'ont pas contesté les suppléments d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux mis à leur charge au titre de l'année 2010 et résultant de la réintégration, dans leurs revenus imposables, de sommes regardées comme distribuées par la société Symphonie, ne sont pas recevables à demander au juge de l'impôt, en tenant compte de ce chef de rectification, une décharge d'un montant supérieur à celui mentionné dans cette réclamation ;
- le premiers juges, qui ont seulement exploité les informations produites à l'instruction et dont disposaient les deux parties au litige, n'ont pas entaché leur jugement d'irrégularité en appuyant leur raisonnement sur les mentions d'un procès-verbal d'une assemblée générale des actionnaires de la société de droit tunisien Harmonie que les requérants ont d'ailleurs eux-mêmes communiqué à la vérificatrice et dont ils n'ont pas contesté la teneur ;
- la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris, qui venait d'effectuer une vérification de la comptabilité de la société Symphonie, dont le siège est situé à Paris et dont M. B... était le gérant, a pu se prévaloir de son droit de suite, qui, en vertu de l'article 3 de l'arrêté du 16 mars 2012 relatif aux directions spécialisées de contrôle fiscal, s'exerce dans les mêmes conditions que celles dont disposent ces directions spécialisées, pour procéder à un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de l'intéressé et de l'épouse de celui-ci ; en conséquence, le moyen tiré de l'incompétence territoriale de ce service doit être écarté ; M. et Mme B... ne sont pas fondés à invoquer, à cet égard, les paragraphes nos 200 à 210 de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-CF-DG-30 ;
- dans la mesure où M. et Mme B... disposaient, au cours des années 2011 et 2012, d'un lieu d'habitation en Tunisie et d'un autre en France, il y a lieu de déterminer, pour l'application tant de la loi fiscale que des stipulations de la convention fiscale conclue le 28 mai 1973 entre la France et la Tunisie, le lieu où se situait le centre de leurs intérêts vitaux ; à cet égard, quand bien même M. et Mme B... ont effectivement emménagé, de décembre 2010 à février 2011, dans une villa prise en location en Tunisie, cette circonstance ne peut suffire à déterminer ce lieu comme centre de leurs intérêts vitaux, compte-tenu notamment de l'impossibilité de comparer les niveaux de consommation d'eau et d'électricité, le système de facturation en vigueur en Tunisie étant différent de celui utilisé en France et M. et Mme B... n'ayant communiqué aucune donnée concernant leurs consommations en Tunisie ; en outre, si les intéressés ont précisé, au cours du contrôle, avoir maintenu les abonnements d'eau et d'électricité souscrits pour leur logement situé en France dans l'attente de la revente de celui-ci, ils n'ont apporté aucun élément de nature à justifier des démarches qu'ils auraient accomplies afin de mettre cet immeuble en vente ; par ailleurs, les trois enfants majeurs de M. et Mme B... vivent en France ; en outre, selon les éléments d'information portés à la connaissance de l'administration, Mme B..., qui a créé, en octobre 2012, une société en France, en continuant de mentionner l'adresse de sa résidence française, d'ailleurs reprise dans la déclaration de revenus souscrite en 2011 au titre de l'année 2010, n'a pas informé les organismes qui lui servent une pension de retraite en France, ni l'administration fiscale française, de son adresse en Tunisie ; enfin, Mme B... continuait d'occuper, en 2016, les fonctions de directrice des ressources humaines dans une société créée en 2013 et dirigée par son fils, ce qui, ajouté aux autres indices relevés par le service, manifeste qu'elle et son époux ont entendu, au cours des années 2011 et 2012, maintenir le centre de leurs intérêts vitaux en France, où le couple dispose d'ailleurs de plusieurs comptes bancaires dont les relevés font mention de nombreuses opérations courantes, ainsi que de l'essentiel de leurs revenus, provenant notamment de sociétés dont ils sont les associés ; dans ces conditions et alors que M. et Mme B... n'ont apporté aucun élément de nature à justifier des revenus dont ils disposent en Tunisie, le service était fondé à les regarder comme domiciliés fiscalement en France au cours des années 2011 et 2012 ;
- il ressort des éléments d'information communiqués par l'OFAJ au service, dans le cadre de l'exercice de son droit de communication, que les virements reçus sur l'un des comptes bancaires de M. B... correspondent au paiement de prestations effectuées, pour le compte de l'OFAJ, par la société tunisienne Harmonie, dans le cadre de l'exécution d'une convention conclue en 2009 par cette dernière avec la SA Symphonie ; M. B... ne conteste pas sérieusement avoir eu la disposition des sommes correspondantes, inscrites au débit du compte courant d'associé ouvert à son nom dans la comptabilité de la société Harmonie, ce que confirme d'ailleurs les mentions du procès-verbal de l'assemblée générale du 25 juin 2013 des actionnaires de cette société ; par suite et quand bien même ces sommes auraient été remboursées en 2012, ce dont il n'est justifié par aucune pièce, elles ont été à bon droit regardées comme ayant la nature d'avantages occultes imposables au sein du foyer fiscal de M. et Mme B... sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts, sans bénéfice de l'abattement prévu au 2° du 3 de l'article 158 de ce code.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention entre la France et la Tunisie, tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d'assistance mutuelle administrative en matière fiscale, signée à Tunis le 28 mai 1973, et le protocole qui y est annexé ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'administration a adressé, le 27 juillet 2013, à M. et Mme A... B... un avis les informant de l'engagement prochain d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle, en ce qui concerne la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012. Au cours de ce contrôle, pour les besoins duquel le service a exercé son droit de communication auprès, notamment, des établissements bancaires détenteurs des comptes ouverts au nom des intéressés, la vérificatrice a mis en évidence la perception, par M. B..., de virements bancaires de la part de la société anonyme (SA) Symphonie, dont il est le gérant, ainsi que de la société STA et de l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ). Après avoir estimé que M. et Mme B... avaient, durant les années vérifiées, maintenu leur domicile fiscal en France, l'administration a regardé les sommes perçues de la SA Symphonie, de la société STA, ainsi que de l'OFAJ, comme étant imposables au sein de leur foyer fiscal dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers. L'administration a fait connaître à M. et Mme B... sa position sur ces points par deux propositions de rectification qu'elle leur a adressées les 6 décembre 2012 et 23 juillet 2014, en ce qui concerne, respectivement, l'année 2010 et les années 2011 et 2012. Les observations formulées par M. et Mme B... n'ont pas convaincu l'administration de modifier son analyse. Toutefois, la supérieure hiérarchique de la vérificatrice ayant accepté de tenir compte des remboursements opérés par les intéressés sur le compte-courant détenu par M. B... dans les comptes de la société STA, les rectifications afférentes à l'année 2010 ont été réduites. Les suppléments d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux résultant des rectifications maintenues à la charge de M. et Mme B... ont été mis en recouvrement le 30 septembre 2015, pour un montant total de 156 902 euros, en droits et pénalités.
2. Leurs réclamations ayant été rejetées, M. et Mme B... ont porté le litige devant le tribunal administratif de Rouen, en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont ainsi été assujettis au titre des années 2010, 2011 et 2012. Par un jugement du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Rouen a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer, à concurrence du dégrèvement de 7 692 euros prononcé en cours d'instance en matière de prélèvements sociaux, sur la demande de M. et Mme B... et a rejeté le surplus des conclusions de cette demande. M. et Mme B... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il ne leur donne pas entière satisfaction.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Il ressort des motifs énoncés au point 15 du jugement attaqué que, pour confirmer la qualification de revenus distribués donnée par l'administration aux sommes reçues par M. B... de l'OFAJ, le tribunal s'est référé aux mentions d'un procès-verbal d'une assemblée générale des actionnaires de la société de droit tunisien Harmonie, selon lesquelles ces derniers ont décidé de servir notamment à M. B... une distribution de dividendes d'un montant supérieur aux sommes en cause, reçues de l'OFAJ par cette société en paiement de prestations, par voie d'inscription au compte courant d'associé ouvert à son nom dans la comptabilité de cette société. Or, s'il est constant que ce procès-verbal n'avait pas été versé à l'instruction, il ressort des termes du mémoire en défense, produit devant le tribunal administratif par l'administration, que les énonciations utiles de ce procès-verbal y sont reprises, de sorte que M. et Mme B..., qui ont reçu communication de ce mémoire en temps suffisant avant l'audience et qui y ont d'ailleurs répliqué, ont été mis à même de discuter de la pertinence de cet élément, dont ils n'ont, au demeurant, aucunement contesté la teneur dans leurs écritures contentieuses. Par suite, en appuyant son raisonnement sur les mentions, telles que reprises par le mémoire de l'administration, de ce procès-verbal, que M. et Mme B... avaient, au demeurant, communiqué eux-mêmes à la vérificatrice au cours du contrôle, le tribunal administratif ne peut être regardé comme ayant entaché son jugement d'une irrégularité de procédure qui aurait été de nature à priver les requérants du droit à bénéficier d'un procès équitable.
Sur le lieu du domicile fiscal des contribuables au titre des années 2011 et 2012 :
4. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
Au regard de la loi fiscale :
5. Aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. / (...) ". Aux termes de l'article 4 B du même code : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : / a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; / b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; / c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques. / (...) ".
6. Il est constant que M. et Mme B..., qui avaient jusqu'alors déclaré à l'administration être domiciliés en France, dans le département de l'Eure, ont, à compter du mois de décembre 2010, emménagé dans une villa qu'ils ont prise en location en Tunisie, cet emménagement, incluant le transport, par avion et par bateau, de nombreux meubles et objets personnels, ainsi que de linge, ayant été achevé en février 2011. M. et Mme B... soutiennent avoir, depuis lors, fixé en Tunisie leur domicile fiscal. Toutefois, ainsi que le relève le ministre, ce seul emménagement ne peut suffire aux intéressés, en l'absence d'éléments de nature à permettre d'évaluer les temps de présence respectifs des intéressés en France et en Tunisie au cours des années 2011 et 2012 en litige, à justifier d'un tel transfert de leur domicile fiscal. Dans ces conditions, alors d'ailleurs que les intéressés admettent avoir maintenu les abonnements de distribution d'eau et d'électricité souscrits pour leur logement français et avoir continué, au cours des années 2011 et 2012, à utiliser celui-ci pour de courts séjours, M. et Mme B... doivent être regardés comme disposant, au cours des deux années en cause, d'un lieu de résidence en Tunisie et d'un autre en France, sans que les éléments versés à l'instruction suffisent à permettre de déterminer lequel de ces lieux constituait leur lieu de séjour principal.
7. Il résulte de l'instruction et, notamment, des éléments d'information non contestés avancés par le ministre que M. B... détenait, au cours de l'année 2011 et de la première moitié de l'année 2012, avant de les revendre en juin 2012, 51 % des parts de la SA Symphonie, dont le siège est situé en France et qu'il y exerce une activité effective. Il résulte également de l'instruction que M. B... était le gérant statutaire, jusqu'en juin 2012, de cette société, qui lui a d'ailleurs versé, à compter du mois de février 2011, une indemnité forfaitaire de déplacement et de séjour s'élevant à 2 000 euros par mois, et qu'il était également, durant toute la période couvrant les années 2011 et 2012, le gérant de la société STA, dont l'intégralité du capital était détenue par la SA Symphonie, tandis qu'il dirigeait, en Tunisie, la seule société Harmonie. Dans le même temps, Mme B... était l'associée et la dirigeante d'au moins deux sociétés ayant leur siège en France et qui étaient actives au cours des années 2011 et 2012 en litige. Par ailleurs, il est constant que Mme B... a fait valoir, à la fin de l'année 2010, ses droits à la retraite auprès de la caisse de retraite dont elle relevait en France, laquelle lui verse, depuis lors, une pension de source française. Enfin, il résulte également de l'instruction et, notamment, des éléments avancés par le ministre et qui ne sont pas davantage contestés sur ce point, que M. et Mme B..., qui n'ont apporté aucun élément de nature à permettre de déterminer les ressources de source tunisienne qu'ils seraient susceptibles de percevoir, ni le niveau de leur imposition en Tunisie, sauf à faire état de la direction, par M. B..., de la société de droit tunisien Harmonie, disposaient, en 2011 et 2012, de plusieurs comptes bancaires en France, sur lesquels étaient opérés, de façon habituelle, des prélèvements correspondant à des dépenses courantes, telles des dépenses de télécommunications, d'électricité ou des abonnements à la presse. Dans ces conditions, l'administration était fondée à regarder M. et Mme B... comme disposant, au cours des années 2011 et 2012, du centre de leurs intérêts économiques et professionnels en France, où ils percevaient l'essentiel de leurs revenus, où ils disposaient de la majeure partie de leurs avoirs et où ils exerçaient la plus grande part de leur activité de dirigeants de sociétés. Par suite, l'administration était fondée à estimer, pour l'application des dispositions précitées des articles 4 A et 4 B du code général des impôts, que M. et Mme B... avaient, malgré l'installation, à compter de la fin de l'année 2010, d'un second lieu de résidence en Tunisie, maintenu en France, où résidaient d'ailleurs leurs trois enfants majeurs, leur domicile fiscal au cours des années 2011 et 2012.
Au regard de la convention fiscale bilatérale :
8. Aux termes de l'article 3 de la convention entre la France et la Tunisie, tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d'assistance mutuelle administrative en matière fiscale, signée à Tunis le 28 mai 1973 : " Domicile fiscal / 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. / 2. Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident de chacun des Etats contractants, le cas est résolu d'après les règles suivantes : / a) Cette personne est considérée comme résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent. Lorsqu'elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans chacun des Etats contractants, elle est considérée comme résident de l'Etat contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) / (...) ".
9. Eu égard à ce qui a été dit au point 7, M. et Mme B..., qui disposaient, en 2011 et 2012, d'un foyer d'habitation permanent en France et en Tunisie, doivent être regardés comme disposant en France, au sens des stipulations précitées de l'article 3 de la convention fiscale franco-tunisienne, du centre de leurs intérêts vitaux, dès lors que leurs liens personnels et économiques y étaient, en l'absence de justification du contraire, demeurés les plus étroits. Par suite, les stipulations précitées de l'article 3 de la convention fiscale franco-tunisienne ne font pas obstacle à ce que M. et Mme B... soient regardés comme résidents de la France, au sens de ces stipulations.
10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 9 que l'administration était fondée à retenir, pour mettre à la charge du foyer fiscal de M. et Mme B... des suppléments d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre des années 2011 et 2012, que les intéressés devaient être regardés comme ayant maintenu, au cours de ces deux années, leur domicile fiscal en France, tant au regard de la loi fiscale qu'au regard de la convention fiscale franco-tunisienne, et qu'ils avaient, au titre de ces mêmes années, la qualité de résidents fiscaux français.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
11. En vertu du II de l'article 350 terdecies de l'annexe III au code général des impôts, les fonctionnaires mentionnés au premier alinéa du I de cet article, à savoir les fonctionnaires de la direction générale des finances publiques appartenant à des corps des catégories A et B, peuvent exercer les attributions que ces dispositions leur confèrent, c'est-à-dire celles de fixer les bases d'imposition et de liquider les impôts, taxes et redevances ainsi que de proposer les rectifications, à l'égard des personnes physiques ou morales ou groupements de personne de droit ou de fait qui ont déposé ou auraient dû déposer, dans le ressort territorial du service déconcentré ou du service à compétence nationale dans lequel ils sont affectés, une déclaration, un acte ou tout autre document, ainsi qu'à l'égard des personnes ou groupements qui, en l'absence d'obligation déclarative, y ont été ou auraient dû y être imposés ou qui y ont leur résidence principale, leur siège ou leur principal établissement. Le V du même article dispose que ces fonctionnaires peuvent exercer leurs attributions à l'égard des personnes physiques ou morales et des groupements liés aux personnes ou groupements qui relèvent de leur compétence, et précise que les liens existant entre les personnes ou groupements s'entendent de l'appartenance ou du rattachement à un même foyer fiscal, de l'exercice d'un rôle de direction de droit ou de fait, d'une relation d'association, de subordination ou d'interposition, ou de l'appartenance à un même groupe d'intérêts.
12. Il est constant que les deux propositions de rectification qui ont été adressées le 6 décembre 2012 et le 23 juillet 2014 à M. et Mme B..., à la suite de l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle dont ils ont fait l'objet en ce qui concerne la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012, ont été signées par une inspectrice des finances publiques, c'est-à-dire par un fonctionnaire de catégorie A, en poste à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris. Si le domicile fiscal de M. et Mme B..., situé dans le département de l'Eure, n'était pas inclus dans le ressort territorial de ce service, il résulte de l'instruction que cette inspectrice des finances publiques s'était précédemment livré à une vérification de la comptabilité de la SA Symphonie, dont M. B... était le gérant jusqu'en juin 2012, et dont le siège est situé à Paris, dans le ressort territorial de ce service. Ce fonctionnaire bénéficiait, en conséquence, en application des dispositions, rappelées au point précédent, du V l'article 350 terdecies de l'annexe III au code général des impôts, qui ne trouvent pas exclusivement à s'appliquer aux directions spécialisées de contrôle fiscal, du pouvoir d'exercer ses attributions de contrôle à l'égard des personnes liées à la société vérifiée, dont M. B..., son dirigeant, et du foyer fiscal de celui-ci. Par suite, le moyen tiré de ce que le fonctionnaire qui a procédé à l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de M. et Mme B... et qui leur a ensuite, à l'issue de ce contrôle, notifié les rehaussements en litige était territorialement incompétent doit être écarté. M. et Mme B... ne sont pas fondés à invoquer, à cet égard, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les énonciations des paragraphes nos 200 à 210 de la doctrine administrative publiée le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-CF-DG-30, qui, s'agissant d'une question relative à la régularité de la procédure d'imposition, ne peuvent être regardées comme comportant une interprétation formelle de la loi fiscale susceptible d'être opposée à l'administration.
Sur le bien-fondé de la rectification afférente à des revenus regardés comme distribués :
13. En vertu du c. de l'article 111 du code général des impôts, les rémunérations et avantages occultes, notamment, sont considérés comme des revenus distribués.
14. Au cours de l'examen contradictoire de situation fiscale personnelle dont M. et Mme B... ont fait l'objet, la vérificatrice a constaté que M. B... avait perçu, au cours de la période vérifiée, des virements opérés sur l'un de ses comptes bancaires par l'OFAJ. Dans le cadre de l'exercice, auprès de cet organisme, de son droit de communication, le service vérificateur a obtenu de l'OFAJ l'information selon laquelle ces versements constituaient le paiement de factures qui lui avaient été adressées par la société de droit tunisien Harmonie et par la SA Symphonie et qui concernaient des ventes, ainsi que des prestations de service réalisées auprès de lui par ces sociétés. Au cours des entretiens avec la vérificatrice, M. B... a déclaré que ces factures s'inscrivaient dans le cadre d'une convention conclue en 2009 entre ces deux sociétés.
15. Si M. et Mme B... soutiennent que la société Harmonie a accusé réception de ces paiements auprès de l'OFAJ et a inscrit ceux-ci dans sa comptabilité, ils ne contestent pas que la créance correspondante, constatée dans la comptabilité de cette société au crédit du compte de client ouvert au nom de l'OFAJ, a été soldée non pas par le débit d'un compte de liquidités, mais par le débit du compte courant d'associé ouvert au nom de M. B..., ni que c'est ce dernier qui a perçu, sur l'un de ses comptes bancaires personnels, les sommes correspondantes, soit 105 000 euros en 2010, 57 000 euros en 2011 et 25 300 euros en 2012. Or, sans qu'il soit même besoin d'apprécier la portée de la délibération du 25 juin 2013 de l'assemblée générale des actionnaires de la société Harmonie, produite à la vérificatrice par M. B... au cours du contrôle, décidant une distribution de dividendes, l'inscription des sommes correspondant à ces règlements de factures sur le compte courant d'associé de M. B..., dont celui-ci est réputé avoir la libre disposition, établit, par elle-même, en l'absence d'élément probant contraire, leur appréhension par le foyer fiscal de M. et Mme B..., qui les ont d'ailleurs effectivement perçues par virement bancaire sur un compte personnel. Si les intéressés soutiennent que ces sommes avaient été intégralement remboursées au 31 décembre 2012, ils n'en justifient pas, en tout état de cause, par le tableau qu'ils versent à l'instruction et qui n'est étayé par aucun élément de nature à établir que les remboursements repris dans ce tableau ont bien été effectués. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a regardé les sommes ainsi perçues par M. B... comme ayant la nature de rémunérations occultes imposables au sein de son foyer fiscal, sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.
16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à la décharge des impositions demeurant en litige. Par voie de conséquence, les conclusions qu'ils présentent sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience publique du 13 octobre 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Christian Heu, président de chambre,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller,
- M. Jean-François Papin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2022.
Le rapporteur,
Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,
Signé : C. Heu
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Nathalie Roméro
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N°20DA01952
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N°"Numéro"