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20/10/2022 | FRANCE | N°21DA02249

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 20 octobre 2022, 21DA02249


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 29 avril 2019 par laquelle le directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse Grand Nord a rejeté sa demande de reconnaissance d'accident imputable au service, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de reconnaître imputable au service ses arrêts de travail à compter du 6 septembre 2018 dans un délai d'un mois sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du jugement et de mettr

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 29 avril 2019 par laquelle le directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse Grand Nord a rejeté sa demande de reconnaissance d'accident imputable au service, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de reconnaître imputable au service ses arrêts de travail à compter du 6 septembre 2018 dans un délai d'un mois sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du jugement et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1902061 du 13 juillet 2021, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision du directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse Grand Nord du 29 avril 2019, enjoint au même directeur interrégional de réexaminer la demande de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la mise à disposition du présent jugement et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 septembre 2021 et 7 juillet 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

-le jugement est entaché d'erreur d'appréciation en tant qu'il qualifie d'accident et non de maladie les faits rapportés par M. B... ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les faits qui lui sont reprochés sont établis ;

- sa maladie trouve son origine dans l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre et elle résulte exclusivement de sa faute personnelle.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 17 juin et 26 juillet 2022, M. A... B..., représenté par Me Stienne-Duwez, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 8 juillet 2022 la date de clôture de l'instruction a été fixée au 25 août 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président assesseur,

- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., éducateur de seconde classe de la protection judiciaire de la jeunesse affecté à l'unité éducative d'hébergement collectif de ..., a déposé, le 30 août 2018 une demande de reconnaissance d'accident imputable au service en raison des accusations dont il a fait l'objet le 4 octobre 2017. Par une décision du 29 avril 2019, le directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse Grand Nord a rejeté la demande. Par un jugement du 13 juillet 2021 le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision du 29 avril 2019 précitée, a enjoint au même directeur interrégional de réexaminer la demande de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la mise à disposition du jugement et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. Le garde des sceaux, ministre de la justice relève appel de ce jugement.

2. Aux termes des dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 35. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ".

3. Constitue un accident de service, pour l'application des dispositions citées au point 7, un événement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.

4. Le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que les faits ayant été déclarés par M. B... le 30 août 2018 dans sa demande d'imputabilité au service ne constituent pas un accident. Il ressort des pièces du dossier et notamment de cette déclaration, qu'à compter du 4 octobre 2017, M. B... a fait l'objet au centre éducatif fermé de Cambrai d'accusations, portées à la connaissance de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, de mise en danger d'un mineur, d'incitation à la violence et de manquement aux règles de procédure. L'intéressé n'établit ni même n'allègue qu'un échange avec l'un de ses supérieurs hiérarchiques aurait conduit ce dernier à avoir un comportement ou à tenir des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. M. B... a été placé en arrêt de travail à compter du 6 septembre 2018 par son médecin traitant. Il a été suspendu de ses fonctions du 16 octobre 2017 au 10 février 2018, avec saisine du conseil de discipline ce qui a entraîné des souffrances psychologiques nécessitant depuis le 4 octobre 2017 un suivi par un psychiatre, une psychologue de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et un traitement par anti dépresseurs.

5. Mais ces accusations constituent des événements diffus dans le temps, qui ne mettent pas en évidence un événement précis et sont intervenus dans un contexte de tensions préexistantes avec certains mineurs délinquants. Ainsi ils ne présentent pas un caractère soudain pouvant caractériser un accident de service. Dans ces conditions, l'état de santé de M. B... ne résulte pas d'un événement survenu à une date certaine qui caractériserait un accident de service contrairement à ce qu'on retenu les premiers juges.

6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif d'Amiens.

7. En premier lieu, selon l'article 13 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dans sa rédaction alors applicable, la commission de réforme est consultée notamment en cas de déclaration d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. Aux termes de l'article 12 de ce décret : " Dans chaque département, il est institué une commission de réforme départementale compétente à l'égard des personnels mentionnés à l'article 15. Cette commission, placée sous la présidence du préfet ou de son représentant, qui dirige les délibérations mais ne participe pas aux votes, est composée comme suit : (...) 4. Les membres du comité médical prévu à l'article 6 du présent décret (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article 5 de ce décret, auquel renvoie sur ce point le deuxième alinéa de l'article 6 : " Ce comité comprend deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, pour l'examen des cas relevant de sa qualification, un spécialiste de l'affection pour laquelle est demandé le bénéfice du congé de longue maladie ou de longue durée prévu à l'article 34 (3e et 4e) de la loi du 11 janvier 1984 susvisée ". Enfin, aux termes de l'article 19 de ce décret : " La commission de réforme ne peut délibérer valablement que si la majorité absolue des membres en exercice assiste à la séance ; un praticien de médecine générale ou le spécialiste compétent pour l'affection considérée doit participer à la délibération. / Les avis sont émis à la majorité des membres présents. / Lorsqu'un médecin spécialiste participe à la délibération conjointement avec les deux praticiens de médecine générale, l'un de ces deux derniers s'abstient en cas de vote (...) ".

8. En l'espèce, la commission de réforme réunie le 25 avril 2019, saisie de la demande de reconnaissance d'imputabilité d'un accident pour les faits survenus à compter du 4 octobre 2017 impliquant des pathologies d'ordre psychologique, vise expressément dans son avis du même jour l'expertise du 11 décembre 2018 réalisée par un psychiatre agréé pour la fonction publique. Mais il est constant qu'elle ne comportait pas en son sein de médecin psychiatre. Dès lors, alors que n'était pas présent " le spécialiste compétent pour l'affection considérée " mentionné par l'article 19 du décret du 14 mars 1986 précité, cette absence a méconnu les dispositions citées au point 7 et a privé M. B... d'une garantie.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 18 du décret du 26 mars 1986 dans sa rédaction applicable : " Le médecin chargé de la prévention attaché au service auquel appartient le fonctionnaire dont le cas est soumis au comité médical ou à la commission de réforme est informé de la réunion et de son objet. Il peut obtenir, s'il le demande, communication du dossier de l'intéressé. Il peut présenter des observations écrites ou assister à titre consultatif à la réunion. Il remet un rapport écrit dans les cas prévus aux articles 34, 43 et 47-7. / Le fonctionnaire intéressé et l'administration peuvent, en outre, faire entendre le médecin de leur choix par le comité médical ou la commission de réforme ". Aux termes de l'article 26 du même écrit dans sa rédaction alors en vigueur : " Sous réserve du deuxième alinéa du présent article, les commissions de réforme prévues aux articles 10 et 12 ci-dessus sont obligatoirement consultées dans tous les cas où un fonctionnaire demande le bénéfice des dispositions de l'article 34 (2°), 2° alinéa, de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. Le dossier qui leur est soumis doit comprendre un rapport écrit du médecin chargé de la prévention attaché au service auquel appartient le fonctionnaire concerné. / La commission de réforme n'est toutefois pas consultée lorsque l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident est reconnue par l'administration "

10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le médecin du service de médecine préventive aurait été consulté et aurait remis le rapport prévu par l'article 26 du décret du 26 mars 1986, à la commission de réforme chargée d'émettre un avis sur l'imputabilité au service de l'accident qu'a subi M. B.... Il ne ressort en tout état de cause, pas non plus du procès-verbal de la commission de réforme que, ce médecin aurait été présent lors de la réunion de la commission. Cette commission n'a ainsi pas disposé d'observations éventuelles de ce médecin sur l'état de santé de l'intéressé. Par suite, et alors que la commission a émis un avis défavorable à une reconnaissance d'imputabilité au service de son accident, le vice ayant affecté la procédure suivie devant la commission de réforme a également privé en l'espèce M. B... d'une garantie.

11. La décision du 29 avril 2019 du directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse Grand Nord rejetant la demande de reconnaissance d'accident imputable au service, doit, dès lors, être annulée pour les motifs exposés aux points 9 et 11.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 13 juillet 2021, le tribunal administratif d'Amiens a annulé la décision du 29 avril 2019 et lui a enjoint de réexaminer la demande de M. B....

Sur les frais de l'instance :

13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

14. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par M. B... doivent dès lors être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du garde des sceaux, ministre de la justice est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A... B...

Délibéré après l'audience publique du 4 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2022.

Le président-rapporteur,

Signé : M. C...

La présidente de chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière

C. Huls-Carlier

2

N° 21DA02249


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA02249
Date de la décision : 20/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : STIENNE-DUWEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-10-20;21da02249 ?
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